La médecine en délibération

« La médecine en délibération »,
colloque organisé les 17 et 18 mai 2018
à l’ENS de Lyon

4 décembre 2017, Date limite d’envoi des propositions de communication

Réunions de concertation pluridisciplinaires sur des cas cliniques, comités d’éthique dans les hôpitaux, commissions des agences sanitaires, groupe de travail pour l’élaboration d’une recommandation médicale, expertises collectives ou réunions de synthèse entre équipes médico-sociales sont autant d’espaces relativement récents dans lesquels des collectifs divers discutent de la médecine. Qu’ils traitent de situations individuelles ou statuent sur des normes générales, édictant parfois des recommandations et des orientations, ces espaces collectifs ont en commun de répondre à une demande d’expertise et de mobiliser des savoirs scientifiques, au premier rang desquels les savoirs médicaux. Ils répondent également à une double exigence de participation (convoquer les représentants des différentes parties prenantes de la question traitée) et de délibération. Les savoirs médicaux se trouvent ainsi soumis à l’épreuve de la délibération dans des espaces collectifs (plus ou moins) élargis, non limités aux seules disciplines médicales et ouverts aux préoccupations sociales, économiques ou éthiques.

On peut rapporter l’apparition de ces divers collectifs délibératifs à deux évolutions concomitantes : d’une part, le développement de nouvelles formes de collégialités au sein de la médecine, dans un contexte de division croissante du travail médical qui rend difficile la synthèse des connaissances (Pinell, 2005 ; Cambrosio, Keating, 2006) et d’autre part, la diffusion dans les politiques de santé d’un nouveau principe de légitimité démocratique, reposant sur la participation et la délibération.

Qu’est susceptible de produire l’extension à la médecine de cet « impératif délibératif » (Elster, 1999 ; Blondiaux, Sintomer, 2002) ? Quelles formes concrètes revêt-elle ? C’est à ces questions que sera consacré le colloque « La médecine en délibération » qui s’intéressera à la mise en délibération (1), à la formalisation de la délibération (2) ainsi qu’à ses effets sur les prises de décisions (3).

 

1. Origines et diversité de la mise en délibération

Un premier axe visera à saisir dans une perspective historique la diversité des formes prises par la mise en délibération de la médecine, afin d’en identifier les spécificités contemporaines. On se demandera, en particulier, dans quelle mesure la mise en délibération est un indicateur d’une « ouverture » de la médecine et de l’administration de la santé, en réponse aux critiques émises à l’encontre de prises de décisions confinées et opaques (Dodier, 2003 ; Benamouzig, Besançon, 2005).

Certes, jusqu’à une période récente, la médecine clinique semble avoir privilégié le face-à-face entre le patient et son médecin et laissé peu de place à la coopération professionnelle et à la discussion, ne serait-ce qu’entre pairs (Castel, 2008). Cependant, le développement de l’hygiène publique s’est accompagné depuis le 19ème siècle, de la création de toute une série de comités (Comité consultatif d’hygiène publique, conseils départementaux d’hygiène). Si ces espaces semblent avoir eu quelque peine à peser sur la décision publique (Murard, Zylberman, 2010, Viet, 2014), l’analyse des motifs de la sollicitation de tels comités, de leurs modes d’organisation et de fonctionnement pourrait utilement éclairer la compréhension des développements plus récents de commissions et comités en médecine s’affichant le plus souvent comme délibératifs.

On cherchera ainsi à identifier plus précisément les motifs qui conduisent à constituer des espaces de discussion entre représentants de différentes disciplines médicales et d’autres acteurs non médicaux. S’agit-il de faire face aux incertitudes scientifiques ou de pallier les limites d’un savoir trop parcellisé ? De partager des dilemmes éthiques, de confronter des points de vue divergents ? De rechercher des effets de réputation, de favoriser la légitimité des décisions prises ou encore d’éviter le recours au contentieux ? Comment ces différents enjeux de la délibération s’actualisent-ils et dans quels contextes institutionnels, politiques, professionnels changeants ? Peut-on rendre compte d’une évolution des objets portés à la discussion ? Quels sont les objets ou sujets qui échappent à la mise en délibération ?

Une attention particulière sera portée aux disciplines et professions convoquées pour suppléer ou s’adjoindre aux savoirs médicaux voire pour les encadrer ou les contrôler. À quelles conditions des savoirs non médicaux sont-ils jugés légitimes pour participer à la mise en débat de la médecine ? À cet égard, les savoirs économiques, et particulièrement les analyses coûts-bénéfices, sont depuis plusieurs années mobilisés dans diverses instances délibératives, venant mettre à mal le mythe selon lequel la santé serait un bien en soi, non discutable (Boudia, 2014). Les sciences humaines et sociales (la philosophie et la sociologie notamment) sont également régulièrement sollicitées et il conviendrait de mesurer la portée de leur contribution à la délibération, ainsi que les motivations sous-tendant leur sollicitation.

 

2. Formalisation et processus de délibération

Si l’impératif délibératif se diffuse aussi bien au sein des institutions de la science règlementaire (Borraz, Demortain, 2015) que dans des lieux de décision au plus près des patients, il s’accompagne le plus souvent d’un cadrage formel de la délibération (Blondiaux, Sintomer, 2002). Les débats qui s’y tiennent sont encadrés par la formulation d’une question circonscrite et d’un cahier des charges, par des règles de sélection des participants et par des procédures relatives à l’expression des contradictions et des accords ou à la formulation des conclusions (avis, recommandations ou décisions sur un cas clinique).

Cette formalisation est censée conférer efficacité et légitimité au travail réalisé dans ces collectifs en garantissant, à la fois, l’équité dans la représentation et la prise de parole et, à la fois, la transparence des débats.

Certains travaux de sciences sociales concluent que ces diverses procédures, en cadrant les débats en amont, ne feraient que conforter les acteurs disposant déjà de ressources en pouvoir et en expertise, au détriment d’une ouverture vers d’autres acteurs (disciplines moins reconnues ou savoirs expérientiels des patients). Ces dispositifs de délibération auraient finalement pour effet, voire pour fonction, d’atténuer toute velléité de mobilisation collective ou de contestation des savoirs établis (Blatrix, 2008 ; Barrault-Stella, 2012).

Au delà du constat que les procédures peuvent être contournées ou détournées de leurs objectifs (Granjou, 2004 ; Joly, 2015), il s’agira de questionner à la fois :

  • ce que la formalisation fait aux savoirs médicaux : quels sont les effets de cette procéduralisation sur les savoirs médicaux ?
  • et ce qu’elle fait au processus de délibération : produit-elle des entraves ou des stimulations à l’émergence de certaines formes de participation, favorise-t-elle l’apparition de controverses, favorise-t-elle la mobilisation de certains arguments plus que d’autres, interdit-elle le recours aux émotions (Urfalino, 2005) ?

On s’interrogera également sur les effets des cadrages de la délibération sur les savoirs médicaux eux-mêmes, insérés dans des contextes organisationnels à la fois bureaucratiques et délibératifs ? (Benamouzig, Borraz, 2015). Ces cadrages et ces contextes produisent-ils des apprentissages collectifs ? Renforcent-ils des jurisprudences locales de traitement des cas (Benamouzig, Dourlens, 2015) ? Font-ils émerger de nouvelles relations avec des acteurs jusque-là tenus à distance des processus de décision ou de production des savoirs, etc. ?

 

3. Délibérer pour décider ?

Le colloque abordera également les effets attendus et produits par la délibération sur les prises de décision.

On peut supposer, en effet, que dans la mesure où elles réunissent souvent des professionnels de la médecine et des non-professionnels (profanes ou experts non médicaux), jouissant de statuts divers, appartenant parfois à plusieurs institutions et disposant de compétences hétérogènes, les instances de délibération visent le rapprochement des points de vue et la convergence des pratiques. Il importe, dès lors, d’analyser selon quelles procédures et au terme de quelles étapes se construisent ces rapprochements. En effet, en dépit des velléités de convergences ou de rapprochements, ces instances sont aussi sources d’exclusion et de résistances. Elles définissent le cercle des acteurs pertinents, voire dissuadent certains acteurs de participer. Comment les participants sont-ils sélectionnés ? Par qui et selon quelles modalités, les règles de fonctionnement de ces instances sont-elles définies ? À partir de quelles transactions, de quelle composition d’intérêts, de quels rapports de force se construisent les accords ? Comment s’opère (si elle s’opère) la convergence de savoirs dont les légitimités sont très inégalement établies ? Quelle est en particulier la place accordée à l’expérience des patients ? Comment celle-ci parvient-elle à se confronter à l’expertise médicale (Buton, 2009) ? Lorsqu’ils sont réalisés, les compromis sont-ils énoncés de façon explicite ? Sont-ils au contraire plutôt euphémisés ou occultés derrière l’annonce de l’obtention d’un consensus ?

Un autre volet de questionnement concerne le champ d’application des décisions prises au terme de la délibération. La délibération peut en effet avoir une portée générale (élaboration de recommandations médicales, par exemple). Dans quels cas, vise-t-elle alors la construction d’une proposition substantielle qui tranche entre différentes options (recommandation d’un traitement type, autorisation d’un médicament) ? Dans quelles conditions aboutit-elle plutôt à une proposition de type procédural qui indique des démarches à suivre plutôt que des actions précises à accomplir (Callon, Barthe, 2005) ?

Dans d’autres situations, l’objet de la délibération peut concerner la résolution de cas singuliers (décisions thérapeutiques ou avis éthiques sur le traitement de situations difficiles, par exemple). Comment s’opère alors l’examen de ces cas successifs ? Au regard de quels cadres cognitifs, de quelles normes générales? De quelle manière, les différents cas sont-ils ou non mis en perspective ?

Enfin, quel type de savoirs ces pratiques de délibération sont-elles susceptibles de produire ? Permettent-elles de stabiliser un socle de savoirs et de pratiques communes ? Permettent-elles de fermer, au moins momentanément, les écarts de perspectives et les controverses en cours ? À quelles conditions, dans quels contextes, la mise en délibération aboutit-elle parfois à explorer de nouvelles formes de savoirs, de nouvelles modalités d’action et à ouvrir de nouveaux objets de discussion ?

 

Quelques références bibliographiques

Barrault-Stella L. (2012), Participer sous l’aile de la bureaucratie. Les effets de la concertation avec les familles dans la fabrique de la sectorisation scolaire, Participations, 2, 103-125.

Benamouzig D., Besançon J. (2005), Administrer un monde incertain : les nouvelles bureaucraties techniques. Le cas des agences sanitaires, Sociologie du travail, vol. 47, n° 3, p. 301-322.

Benamouzig D., Borraz O. (2015). Bureaucratie, organisations et formalisation des savoirs, L’année sociologique, 2015, 3, p. 1-22.

Benamouzig D., Dourlens C. (2015) Expertise par cas. In Henry H., Gilbert C., Jouzel J-N., Marichalar P. (dir) Dictionnaire critique de l’expertise, Paris, Presses de SciencesPo, p. 156-163.

Blatrix C. (2004) Concertation et débat public, In Borraz O. (dir), Politiques publiques 2. Presses de Sciences Po, 2004.

Blondiaux L., Sintomer Y. (2002) L’impératif délibératif. Politix, 57, p. 17-35.

Borraz O., Demortain D. (2015) Science réglementaire, In Henry E. et al (dir). Dictionnaire critique de l’expertise. Paris, Presses de Sciences Po, p. 279-285.

Boudia S. (2014) Gouverner par les instruments économiques. La trajectoire de l’analyse coût-bénéfice dans l’action publique, In Pestre D. (dir), Le gouvernement des technosciences, Paris, La découverte, p. 231-259.

Buton F. (2009) Comment les mouvements sociaux s’imposent face aux experts. Fluidité des positions et mobilisation des émotions dans la lutte contre le sida en France, Politique et sociétés, 28, 1, P. 63-89.

Callon M., Barthe Y. (2004) Décider sans trancher. Négociations et délibération à l’heure de la démocratie dialogique, Négociations, 2, 4 ; p. 115-129.

Cambrosio A, Keating K, Schlich T, Weisz G. (2006) Regulatory objectivity and the generation and management of evidence in medicine, Social science in medicine, 63, 189-199.

Castel P. (2008) La gestion de l'incertitude médicale : approche collective et contrôle latéral en cancérologie, Sciences sociales et santé, 26, 1, p. 9-32.

Dodier N. (2003) Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS.

Elster J. (1999) Deliberative Democracy, Cambridge, Cambridge University Press.

Granjou C. (2004) Le travail des experts : analyse d’un dispositif d’évaluation des risques alimentaires, Sociologie du travail, 46, 329-345.

Joly P-B. (2015), Procéduralisation. In Henry H., Gilbert C., Jouzel J-N., Marichalar P. (dir) Dictionnaire critique de l’expertise, Paris, Presses de SciencesPo, p. 250-258.

Murard L., Zylberman P. (2010) Administrer, gouverner : l'expertise et l'hygiène en France (1848-1945), Les Tribunes de la santé, 27, 2, p. 25-32.

Pinell P. (2005) Champ médical et processus de spécialisation, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 156-157, p. 4-36.

Urfalino P. (2005) La délibération n’est pas une conversation, Négociations, 2, 4, p. 99-114.

Viet V. (2014), L'hygiène en l'État. La collection numérique des travaux du Comité consultatif d'hygiène publique de France (1872-1910), Revue française des affaires sociales, 1, p. 255-278.

Modalités de soumission

Les propositions de communication de 6000 signes maximum (de préférence en français ou éventuellement en anglais) sont attendues pour le 4 décembre 2017. Elles sont à envoyer à Christine Dourlens (christine.dourlens@univ-st-etienne.fr), Gwenola Le Naour (gwenola.le.naour@sciencepo-lyon.fr) et Magali Robelet (Magali.robelet@univ-lyon2.fr ).

Les textes des communications retenues (de 40 000 signes environ) seront remis pour le 6 avril 2018.

La participation au colloque est gratuite

>>>>Télécharger l'appel à communications

Membres du comité scientifique :

Yannick Barthe (EHESS-LIER) ; Daniel Benamouzig (SciencesPo Paris-CSO) ; Isabelle von Bueltzingsloewen (Université Lyon 2-LARHRA) ; Loïc Blondiaux (Université paris 1 – CESSP et CRPS) ; Thomas Bujon (UJM-Triangle) ; François Buton (Triangle, Lyon) ; Jean-Hughes Déchaux (Université Lyon 2 – Centre Max Weber) ; Volonola Raberaharisoa (Mines Paris Tech-CSI) ; Deena White (Université de Montreal, invitée du Collegium de l’UDL).

 

Membres du comité d’organisation :

Christine Dourlens (UJM-Triangle) ; Gwenola Le Naour (SciencesPo Lyon-Triangle) ; Magali Robelet (Université Lyon 2, Centre Max Weber)

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