Analyse des pratiques de la concertation en France

Décider ensemble analyse les pratiques de la concertation sur projet

L’association Décider ensemble a rendu publics les résultats de son étude sur les pratiques françaises de la concertation sur projet, entreprise en 2009 grâce au soutien de l’ADEME et avec la participation de l’Université de Technologie de Compiègne.

Menée auprès de maîtres d’ouvrages privés et publics, d’entreprises et de collectivités locales, l’étude de Décider ensemble fait émerger des pratiques, des méthodes et des outils de concertation portant sur des projets d’aménagement, des projets industriels ou des projets de politique publique.


L’étude s’adresse aux praticiens de la concertation en charge de porter des projets dans les territoires ainsi qu’aux décideurs nationaux en charge de construire une gouvernance prenant acte des récentes évolutions en matière de participation des parties prenantes et du public.


L’étude de Décider ensemble comprend :

  • 69 fiches techniques remplies par des maîtres d’ouvrage dont les projets ont fait l’objet de concertation (accessibles pour les adhérents sur le site Internet de l'association,
  • 3 études de cas : la concertation pour l’implantation des parcs éoliens, la concertation territoriale pour la mise en place d’une ligne à grande vitesse et la concertation pour un projet de terminal méthanier,
  • Un rapport de synthèse comprenant l’analyse des questionnaires ainsi que les trois études de cas.

Les résultats de l’étude ont été présentés mardi 10 mai 2011, au salon 3D de la Questure de l’Assemblée nationale.

« Cette analyse nous permet de faire la "preuve par l’exemple" qu’une concertation bien menée peut être très bénéfique pour le projet, pour le territoire et pour les parties prenantes. Il ne faut pas être naïf, les conflits ne se règleront pas d’un coup de baguette magique, mais la concertation peut permettre d’apaiser certains débats qui nécessitent de prendre le temps de la réflexion et de l’expertise », a déclaré Bertrand Pancher, Président de Décider ensemble et Député de la Meuse.

Parmi les conclusions de ce travail : la nécessité de définir les règles du jeu avant de démarrer une concertation, de connaître les réalités du territoire et du projet, de se poser les bonnes questions (la concertation par qui ? Quand ? Pour qui ? Comment ?), d’envisager le recours à des outils tels qu’une Charte ou un garant, de motiver la décision finale au regard de la concertation ou encore de favoriser la mise en place d’un « continuum de la gouvernance ».


Pour commenter ces conclusions sont intervenus :

  • Damien Siess, Directeur de cabinet du Président de l’ADEME,
  • Philippe Deslandes, Président de la CNDP,
  • Jacques Breton, Président de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs (CNCE),
  • Jo Spiegel, Président délégué de Mulhouse Alsace Agglomération, Secrétaire national de l’Assemblée des communes de Frances (AdCF),
  • Jean-Louis Rohou, Secrétaire général de RFF.

Apuparavant Laurence Monnoyer-Smith, professeur à l’Université de technologie de Compiègne, qui présidait le Comité de pilotage de l'étude, en a présenté les résultats. Voici son allocution.

Résultats de l’étude Analyse des pratiques de la concertation en France

Bonjour à tous et merci à l'Association Décider Ensemble, à Bertrand Pancher et à Aurélien Sautière de m'avoir permis de travailler sur la question des pratiques de la concertation avec les maîtres d'ouvrage et les institutions qui ont collaboré à la mise en oeuvre de cette étude.

Celle-ci avait une vocation assez ambitieuse dans la mesure où il est difficile de faire un état de l'art sur des pratiques de concertation tant elles sont diversifiées, localisées, plus ou moins réussies, ce qui peut limiter la volonté de les publiciser. Cette étude est néanmoins importante à l'heure où, comme le rappelle Bertrand Pancher, les réformes notamment issues du Grenelle de l'Environnement s'attachent à reconfigurer les formes de la gouvernance et du processus décisionnel. J'irai même plus loin, ce type de travaux, comme celui de I'ADEME, qui vise à favoriser une culture de décision partagée est cruciale aujourd'hui, dans nos sociétés qui, confrontées à la crise et à des mutations socioéconomiques profondes, ont une tendance naturelle au repli sur soi. On ne le dira jamais assez, la décision partagée permet de construire du collectif et participe à l'élaboration de valeurs communes à partir desquelles il est possible de penser un avenir ensemble. C'est à mon sens une des meilleures réponses à apporter à toutes les formes de discours d'exclusion.

Sur le plan méthodologique, le choix du questionnaire et des études de cas se rapproche des études scientifiques réalisées par les universitaires : l'élaboration de la grille du questionnaire a été parfaitement libre et ouverte et il n'a jamais été question de censurer certain type de questions parce qu'elles auraient gêné un maître d'ouvrage. Nous avons cherché à appréhender toutes les phases de la concertation, de sa conception et l'établissement de son périmètre à la prise de décision, en passant par toutes les étapes du processus d'élaboration. L'objectif de description des pratiques n'a été restreint que par la difficulté à obtenir des enquêtés à rendre compte de leurs difficultés, ce qu'ils ont fait avec sincérité, mais sans doute en prenant des exemples de concertations plutôt réussies. Néanmoins, comme l'on apprend autant de ses échecs que de ses réussites, Décider Ensemble a su établir une atmosphère de confiance avec les maîtres d'ouvrage pour que ceux‑ci partagent en confiance leurs doutes et leurs difficultés. Sans être exhaustive, l'enquête rend compte de pratiques et de contextes suffisamment diversifiés pour que l'on puisse en tirer des enseignements assez riches et profitables à tous. Sur un plan qualitatif, toutes les situations de concertation ont été représentées (qu'elles relèvent de concertation obligatoire ou non), tous les périmètres (locaux, intercommunaux, et nationaux), ainsi que toutes les échelles de coûts.

Sans pouvoir revenir sur l'ensemble des résultats de l'étude, qui sont riches d'enseignements, je voudrais insister sur 4 points qui m'apparaissent particulièrement saillants, qui soulignent à la fois les difficultés inhérentes à la mise en oeuvre de la concertation dans les territoires et à l'évolution de notre culture politique que cela suppose.

1‑ La place du conflit dans la concertation

Selon les maîtres d’ouvrage, une des principales difficultés rencontrées dans la concertation concerne l'existence de conflits qui au mieux perturbent les échanges, et au pire minent profondément le processus de concertation. Certes, la concertation n'est pas un long fleuve tranquille. En voulant prévenir les conflits, la concertation peut les raviver, voire les exacerber. On a semble-t-il, trop insisté sur une forme de culture du consensus qui constituerai une des vertus de la concertation, voire une de ses exigences. Or il apparaît clairement à travers l'enquête, et cela rejoint de nombreux résultats de travaux académiques, que le conflit constitue un passage obligé de la grande majorité des procédures de concertation. Il faut bien comprendre que c'est justement par l'expression de ce conflit que sont révélés les antagonismes de valeurs ou de procédure et que c'est à partir d'eux qu'il convient de bâtir des accords durables. Il ne faut pas sous‑estimer la dimension cathartique des dispositifs de concertation : l'expression des désaccords est nécessaire et chercher à tout prix à les éviter ne peut conduire qu'à la frustration des parties prenantes. J'ai tendance à penser que plus le projet est abordé en amont, plus il est possible d'anticiper les noeuds de conflits avant que le projet ne soit avancé et ainsi de permettre un accord sur les grands principes de l'action publique.

2‑ Les objectifs de la concertation

Selon les enquêtés, un des premiers objectifs de la concertation porte sur l'information vers le public et la remontée d'information du public. Cet objectif est cohérent et il est important que la concertation permette de lever des ambiguïtés et coupe court à toute forme d'information mal intentionnée ou erronée, susceptible d'alimenter des anxiétés et des réticences. Il reste que cette dimension de la concertation porte la marque d'un paternalisme parfois mal déguisé et véhicule une conception centralisée de l'appréhension de l'intérêt général qui ne saurait être mis en discussion. L'implication du public n'a aujourd'hui de sens que si on suppose une valeur ajoutée à la participation de ce dernier au processus décisionnel. Soit que l'on considère, dans une perspective démocratique, que les grands choix d'aménagement notamment doivent faire l'objet d'un accord large, et la concertation devient alors un outil d'aménagement du territoire, soit que l'on considère (et cela n'est pas incompatible) qu'il existe dans le public une expertise profane susceptible d'améliorer la nature du projet et de faire émerger des solutions innovantes à un problème complexe.

Une des difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage concerne la participation du public aux procédures de concertation. Une des réponses (il y en a d'autres) consiste à s'interroger sur la place effective accordée au public dans la concertation. S'il ne s'agit que de faire de l'information, il est peu probable que l'on parvienne à mobiliser les parties prenantes. Celles‑ci ne se déplaceront que si l'enjeu de leur participation est réel et que l'impact lié à leur mobilisation se mesure concrètement dans les décisions prises.

3‑ La concertation implique des coûts financiers et organisationnels

La démocratie coûte cher et doit s'organiser. De nombreux maîtres d'ouvrage ont pris la mesure, parfois durement, de ce que la concertation suppose de temps, d'argent et de réorganisation des services concernés.

Deux points me paraissent ici importants à souligner. D'une part que ces coûts sont à mettre en rapport avec les coûts induits par l'absence de concertation, en particulier dans les situations conflictuelles : coûts contentieux, retards dans la mise en oeuvre des projets, dégradations liées à des violences, grèves etc. D'autre part, certains de ces coûts peuvent être considérés comme des investissements et seront amortis si la collectivité concernée s'engage dans une politique participative de manière récurrente. Ainsi, la formation des personnels, la réorganisation des services dédiés, la création de portails Internet constituent des investissements initiaux qui seront mobilisables pour toutes les concertations à venir. La concertation paraît toujours d'autant plus onéreuse qu'elle n'est pas conçue comme forme à part entière de prise de décision, mais comme une expérience ad hoc. Si on considère au contraire qu'elle est un instrument de politique publique au même titre qu'une expertise ou qu'une campagne de communication, alors elle doit être prise au sérieux et se voir attribuer les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre. De plus en plus de collectivités locales réorganisent leurs structures pour centraliser dans un service dédié toutes les activités en lien avec la participation du public de façon à rentabiliser les investissements de structure, de personnels et d'organisation afférents.

4‑ Les modalités de la concertation

Enfin, j'en termine par là, j'ai été particulièrement frappée par la sous‑utilisation par les maîtres d'ouvrage des TIC dans l'organisation des concertations et leur manque de créativité. Ceux‑ci recourent encore très largement à des méthodologies traditionnelles type réunion publiques, information dans la presse et distribution de tracts. Non que ces méthodes soient critiquables, les médias locaux sont d'excellents vecteurs d'information particulièrement prisés par les citoyens. On peut cependant émettre deux réserves quant à cette approche de la concertation. D'une part, elle exclut un important public : tous ceux qui ne peuvent, pour une raison ou une autre, se rendre aux réunions et favorise une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles supérieures, des retraités, et des associatifs bien organisés au détriment de tous les autres, ceux précisément que la concertation cherche à atteindre.D'autre part, elle se prive des nombreuses possibilités d'interaction qu'autorisent aujourd'hui les TIC : forums, échanges sur Facebook, consultations en ligne, panels de citoyens etc. Les possibilités sont nombreuses qui offrent un éventail très varié de modalités de concertation, sur un temps plus ou moins long, tout en capitalisant les échanges et les informations mises à disposition du public. Ce sont également des dispositifs qui permettent la construction d'une mémoire collective, ce qui peut s'avérer très précieux lorsque les projets en question durent plusieurs années, voire une ou deux décennies. J'ai donc tendance à militer pour une grande créativité en la matière afin de coller au plus près aux spécificités du territoire et du public concerné : il faut prendre conscience de ce que les habitudes des natifs numériques ne sont pas celles des générations précédentes et qu'on ne communique pas de la même façon dans de larges zones urbaines que dans des zones rurales.

En conclusion

Évidemment je n'ai pas pu aborder tous les aspects de la concertation, notamment ce qu'il convient d'appeler son périmètre de pertinence. Si j'appelle à une culture de la décision partagée, je reconnais cependant qu'il est des situations dans lesquelles la concertation n'est peut-être pas le meilleur mode de décision. Soit que le processus décisionnel se révèle trop complexe du fait de la multiplication des interventions des acteurs institutionnels, soit que le territoire soit meurtri par de violents conflits qui minent toute discussion (ou pour toute autre raison). Se lancer dans un dispositif de concertation suppose donc qu'on ait bien pris la mesure de l'enjeu de la mobilisation du public et qu'on s'en donne les moyens.

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