34-Gouvernance de l’énergie en bien commun

Une expérience de gouvernance de l’énergie en bien commun dans le cadre d’un ambitieux projet de transition écologique tendant à rendre un village entièrement autonome en électricité à partir d’énergies renouvelables

Résumé

Il s’agit, à partir de l’implication conjointe de techniciens, d’élus et d’habitants, d’imaginer et de mettre en œuvre des formes innovantes de gouvernance d’un commun, l’énergie, sur le territoire d’une petite commune riche en ressources en ce domaine, notamment hydrauliques, dotée d’une régie électrique autonome, et qui ambitionne de couvrir, d’ici 2021, la totalité des besoins en électricité de ses administrés à partir d’énergies renouvelables.

Grâce à l’utilisation de technologies émergentes, il devient maintenant possible de faire interagir production d’énergie, gouvernance locale et initiative citoyenne.

L’objet de cette expérimentation sera de vérifier comment, en renforçant l’interdépendance entre les trois niveaux pré-cités, en associant les habitants de la commune à la gouvernance du réseau mais aussi à la production d’électricité (solaire...), il devient possible d’optimiser la consommation (et, donc, le coût) de l’énergie et, par là, de pérenniser une culture locale de l’engagement citoyen : les fins environnementales et démocratiques se confortant l’une l’autre.

Cette expérimentation passe par la mise en place d’une « régie de données » dotée d’outils innovants :

  • technologiques, notamment numériques (de type blockchain), permettant de capter, stocker et traiter la donnée énergétique
  • juridiques ou organisationnels, permettant la gestion commune du réseau à partir de règles préalablement définies par les acteurs eux-mêmes.

Le rôle des chercheurs, regroupés dans le programme de recherche DAISEE, sera d’explorer les conditions favorables à la co-construction de systèmes et d’infrastructures distribuées (de données et physiques) dans le monde de l’énergie, permettant l’échange pair-à-pair d’électricité et la constitution d’organisations autonomes décentralisées.

Ce projet associe donc production d’énergie, technologies émergentes et démocratie locale.

L’ensemble du patrimoine immatériel créé dans le cadre de ce projet sera partagé en open source et open data afin d’assurer la réplicabilité de l’expérience en France et partout ailleurs dans le monde.

Terrain

Il s’agit d’expérimenter l’autonomie énergétique non plus à l’échelle d’un immeuble ou d’un quartier mais à l’échelle d’une commune d’un peu plus d’un millier d’habitants, Prats-de-Mollo-la-Preste, dans les Pyrénées Orientales.

Depuis 1917, du fait d’une volonté politique locale favorisée par une abondance de ressources disponibles sur le territoire, la gestion du réseau électrique de la commune est déléguée à une ELD (Entreprise Locale de Distribution), constituant la “régie électrique municipale” de Prats-de-Mollo-la-Preste.

Actuellement, cette régie travaille sur un ambitieux plan de transition destiné à couvrir d’ici 2021 la totalité des besoins en électricité des habitants de la commune à partir d’énergies renouvelables (hydraulique, photovoltaïque, méthanisation, biomasse, géothermie) – à terme, l’enjeu étant de couvrir l’ensemble des besoins énergétiques de la commune.

Pour engager cet effort, est en cours de création une Société d’Économie Mixte (SEM), Prats’EnR, co-détenue par la commune à 60%, la régie électrique à 20% et un collectif de citoyens constitués en SCIC (société coopérative d’intérêt collectif ) E.CO.CIT à 20%. Sa mission est de concevoir et déployer les différentes filières énergétiques ainsi qu’une filiale de Recherche Stratégie et Développement en partenariat avec le collectif DAISEE.

Prats’EnR se veut “territoire de recherche et d’expérimentation” ce qui se traduit par la fédération (en cours) d’acteurs issus d’univers multiples : de la recherche (CNRS PROMES, INSA de Lyon, Cité du Design, etc.), de l’industrie (Talium, Acklio, etc.), de la banque et de l’assurance (groupe BPCE, Crédit Coopératif) et des collectivités territoriales (la Région Occitanie, le Pays Pyrénées-Méditerranée).

Cette expérience entend produire de la connaissance ouverte pour soutenir d’autres dynamiques de transition dans le cadre d’une mise en autonomie progressive des communes/territoires.

Description

À l’image d’une coopérative, le réseau de distribution d’électricité peut être pensé comme la mutualisation d’une ressource entre l’ensemble des acteurs participant au bon fonctionnement et à l’usage de cette ressource ; cela exige de concevoir et mettre en place des règles de gouvernance partagée.

Trois niveaux de gouvernance sont à considérer :

  • l’infrastructure du réseau (producteurs, consommateurs, réseau extérieur)
  • l’infrastructure des données (de production, de consommation et de flux)
  • l’infrastructure de gouvernance des infrastructures mentionnées ci-dessus

Auxquels s’ajoutent :

  • un axe de développement sur l’hybridation des usages (à travers l’introduction de l’autoconsommation et la gouvernance de l’énergie dite “sur-produite”)
  • un axe de développement de l’infrastructure de données (sous la forme d’une régie de données) qui doit faciliter l’hybridation des usages et des sources.

Trois types d’hybridation caractérisent la démarche dite “circulaire” de la SEM Prats’EnR.

L’hybridation des secteurs

Prats’EnR s’inscrit dans un cadre d’économie circulaire de l’énergie du fait de l’hybridation des secteurs d’activités du territoire et donc des populations. Il s’agit en effet de croiser :

  • le secteur agricole et celui de la production d’énergie
  • des dynamiques d’infrastructures avec des dynamiques de données
  • des secteurs technologiques avec les évolutions du cadre juridique
  • le domaine du politique avec l’implication des coopérateurs citoyens.

Il s’agit d’expérimenter une économie circulaire de l’énergie, de la donnée et du financement dans un cadre de gouvernance pluri-acteurs et au prisme de la convergence d’outils technologiques et d’outils organisationnels.

L’hybridation des sources

Les phases de mise en oeuvre des divers moyens de production sur le territoire passe par une contribution et prise de participation active des acteurs concernées, à savoir : (1) les agriculteurs et éleveurs dans le cadre de la méthanisation et des hangars photovoltaïques; (2) les particuliers et la commune dans le cadre des installations photovoltaïques; (3) et, dans le cadre des installations hydrauliques, la chaîne thermale et la commune (et, demain, les habitants dans le cadre de la remise en service des anciens moulins hydrauliques).

La mutualisation et le contrôle de ces sources via des outils techniques et technologiques (les “blockchains”) ainsi que le design d’infrastructure de gouvernance et d’interaction/d’usages des réseaux sont les briques constitutives du programme de recherche mené sur Prats de Mollo La Preste.

Il s’agira de travailler sur plusieurs volets :

  • le matériel pour la captation de données (compteurs communicants, tels que le Linky ; d’autres types de compteurs seront testés)
  • les algorithmes pour permettre une gouvernance partagée et distribuée du système (notamment de la donnée énergétique)
  • les infrastructures (de données et physique) pour faciliter l’hybridation des usages et les interactions entre pairs sur le réseaux afin d’expérimenter une gouvernance démocratique du projet.

L’hybridation des usages

Elle correspond à une gestion d’usages multiples de la production : électricité ou chaleur ; place locale de marché, échanges entre pairs ; vente au réseau ; autoconsommation (avec/sans stockage) ; autoconsommation (avec/sans stockage) avec vente du surplus ; autoconsommation (avec/sans stockage) avec échange du surplus ; etc. Cette diversité nécessite une gouvernance du réseau pour arbitrage des scénarii.

Une régie de données

Au centre de l’expérimentation, la régie de données se conçoit et se décline comme une instance de gouvernance locale destinée à élaborer et adapter les règles de gestion partagée de l’énergie produite. Elle est le centre de l’expérimentation pour une gouvernance démocratique de l’énergie.

Elle peut être décrite comme « une organisation "tiers de confiance" garante de l’intégrité des apports, des traitements et des croisements de données, avec des approches inédites de la gouvernance, des modèles économiques, des modalités technologiques et des perspectives juridiques » (DatAct 4, Chronos, 2015).

Concrètement, cette régie de données combine :

  • un dispositif juridico-technique qui orchestre l’ensemble des flux de données énergétiques (captation, transmission, sauvegarde, traitement) en garantissant l’auditabilité, la sécurité et l’anonymat des parties prenantes (en bonne conformité de la nouvelle réglementation RGPD) ;
  • un dispositif socio-technique qui soutient la mise en capacité effective et permanente des Pratéens de participer à la gouvernance partagée de l’énergie.

Une co-gestion citoyenne

À l’image d’une coopérative, le réseau peut être pensé comme la mutualisation d’une ressource entre l’ensemble d’acteurs participant au fonctionnement et à l’usage de cette ressource. La difficulté vient de ce que le réseau électrique doit, pour une gestion partagée, se doter non seulement d’outils techniques (notamment numériques) facilitant la concertation, mais aussi de règles de gestion qui doivent être co-élaborées.

Il s’agit par ailleurs de concevoir le réseau comme une organisation qui s’appartient à elle-même et à tous ceux qui en sont parties prenantes, avec des règles de gouvernance partagée. Des techniques (variées) facilitant la mise en place d’une telle gouvernance seront à tester.

« E.CO.CIT » est une première brique représentative de cette volonté d’expérimentation d’une cogestion citoyenne : elle correspond à un collège de citoyens actionnaires de la SEM.

L’ambition de la démarche est aussi de pouvoir adapter le processus à d’autres cadres de transition. Cette volonté d’essaimage dans son approche est en cohérence avec la volonté de mise en autonomie des territoires.

Équipe et méthodologie

En pratique, la régie électrique s’engage à expérimenter dans le cadre de sa transition l’usage d’un panel de technologies émergentes (de l’IoT, du web sémantique, du big data, etc.) susceptibles de soutenir une gouvernance partagée de son réseau (et donc de l’énergie), en étant vigilant sur l’inclusion des habitant.e.s dans le processus de décision.

Elle s’est, pour cela, associée à une communauté internationale de chercheurs en ingénierie informatique et énergétique, en sciences de l’homme et de la société, en droit des données et des algorithmes, la communauté DAISEE qui se positionne au carrefour d’une diversité de disciplines scientifiques (informatique, telecom, droit, sociologie, etc.).

Le projet associe donc des acteurs locaux – la commune, la régie électrique, les habitants – et une communauté de scientifiques regroupés dans le collectif DAISEE .

Équipe de contributeurs

Contributeurs de Prats’EnR : Claude Ferrer (Maire), David Gener (Régie électrique), Patrick Dorandeu (conseiller municipal), Sébastien Nègre (agriculteur), Jaqe Chambon (artiste peintre), Louis-Romain Bras (artiste plasticien), Bernard Vatrican (sociologue) … et les 75 citoyens regroupés dans E.CO.CIT.

Contributeurs de DAISEE : Rieul Técher, Samira Rabaaoui, Louis Villard, Sylvain Pastor, Alizée Manutea et Aude Omerin (La MYNE) ; Nicolas Loubet et Clément Épié (Cellabz) ; Emmanuel Laurent et Déborah Thebault (OSE) ; Sylvia Fredrikson et Nicolas Roesch (Cité du Design) ; Micka Pommier (Enzyme&Co), Xavier Coadic (Le Biome), Xavier Lavayssière (Bricodeurs) et le collectif Assemblée Virtuelle : Guillaume Rouyer (AV core team), Sébastien Lemoine (AV core team), Michel Cadannes (AV core team), Franck Calis (Full Screen), Benoit Alessandroni (Happy Dev), Simon Louvet (Data Players), Alexandre Boceno (Data Players), Lilian Chardon (Lillegal), Johan Richer (OGP Toolbox).

Programme DAISEE

DAISEE a pour vocation de faciliter la participation citoyenne dans la gouvernance du réseau électrique. Il s’agit de mettre en capacité les acteurs du réseau afin qu’ils soient effectivement contributeurs de la gestion de l’énergie au travers de règles partagées.

Cela nécessite de travailler la chaîne de l’information sur 3 niveaux : l’infrastructure de données, l’infrastructure énergétique physique et l’infrastructure de décision.s et de gouvernance. Ainsi, nous considérons que la transition des systèmes énergétiques est un processus de construction de communs énergétiques, traité au travers de ressources infrastructurelles matérielles ou immatérielles gérées en bien.s commun.s. En l’état actuel, DAISEE s’organise autour de 2 axes : la technique et l’éthique.

Le champ technique s’attelle à l’expérimentation autour des infrastructures matérielles et logicielles.

Dans le cadre d’une régie de données, il s’agit avant tout de pouvoir capter, transmettre, stocker et traiter la donnée énergétique et travailler à la mise en oeuvre d’une infrastructure de compteurs communicants, avec tous les enjeux que cela pose en terme de sécurité matérielle/logicielle, de vie privée, de pertinence de la donnée captée, etc.

Le champ éthique s’attelle à ce que les conditions d’autogestion du réseau soient en place. Il s’agit de travailler au droit des algorithmes, à la propriété et l’usage de la donnée et des ressources, à l’appropriation de systèmes complexes. Dans le cadre d’une régie de données, il s’agit de définir collectivement des règles régissant les droits en lecture, écriture et usage de la donnée énergétique par ceux qui la produisent.

Les efforts de contribution de DAISEE participent de la construction de communs de la connaissance.

Les ressources (texte, image, code…) sont mis à disposition sous licence CC-BY-CA et sous des licences à réciprocité (Peer Production).

Sur le modèle de Debian (distribution du système d’exploitation GNU/Linux), Open Street Map (système d’information géographique) ou Wikipedia (encyclopédie libre), DAISEE fonctionne en ‘communauté contributive’, i.e. sur des individus et groupes d’individus qui accordent librement du temps et des moyens pour produire des connaissances. En l’état actuel, DAISEE repose sur une vingtaine de contributeurs réguliers (basés à Lyon, Rennes, Mulhouse, Paris…), aux statuts variés, et une trentaine de contributeurs occasionnels.

Nous souhaitons inscrire cet AMI dans une perspective contributive dont le but est de faciliter l’engagement de chercheur spécialistes des processus démocratiques.

Problématiques soulevées

A ce stade, nous avons identifié 2 types de questionnement :

● Le premier, lié à la structure de l’organisation de DAISEE, concerne les modalités même d’une recherche dite non-standard se construisant dans le cadre de processus qui s’apparentent aux démarches tiers-lieux, et cela appliqué à des thématiques aussi bien scientifiques et techniques que socio-culturelles.

● Le second, lié au programme DAISEE sur les modes de transition.s, concerne les modalités d’autodétermination, énergétiques notamment, des territoires au travers des acteurs des réseaux énergétiques, au prisme de convergence scientifiques et techniques et d’ émergences d’organisation sociales non-conventionnelles.

Fondamentalement, la question est : Quels sont les tenants techniques, juridiques et organisationnels de la construction d’ une infrastructure de gouvernance partagée de l’énergie dans la perspective de l’accession des territoires à une souveraineté de nature démocratique ?

En pratique, personne ne sait projeter une gouvernance collégiale de l’énergie ; cela demande des interactions permanentes entre de multiples expertises (d’anthropologie, sociologie, design, informatique, télécommunication, métrologie, physique, finance, droit, information, formation...) structurellement cloisonnées ce qui oblige à passer, au préalable, par une phase de déconstruction.

Photo (licence CC-BY-SA 4.0) prise par Nicolas Loubet le 10 Juillet 2017 à Prats-de-Mollo en compagnie d’Agnès Langevine, 3e vice-présidente de la Région Occitanie en charge de la Transition écologique et énergétique, de la biodiversité, de l’économie circulaire et des déchets et de Claude Ferrer, Maire de Prats de Mollo.