19-Territoires et transitions écologique, économique et sociale

Territoires et transitions écologique, économique et sociale : une recherche en mode "design"

Le 10 décembre 2017

Identité de l'équipe

Chercheurs : Laurence de Carlo, professeure ESSEC en aménagement, management et ménagement des territoires, PhD en aménagement de l’Université de Montréal, titulaire du centre CONNECT, et Markku Lehtonen, chercheur senior associé à CONNECT, docteur en économie de l’environnement de l’Université de Versailles Saint Quentin-en-Yvelines.

CONNECT (CONcertation, Négociation, Environnement, Conception et Territoires) est un centre de recherche créé en mars 2014 au sein de l’ESSEC (Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales), association à but non lucratif devenue récemment un Etablissement d’Enseignement Supérieur Privé d’Intérêt Général1 .

CONNECT mène des recherches transdisciplinaires dans le domaine de la concertation et de la participation du public et des parties prenantes à l’aménagement et au développement des territoires dans l’objectif de promouvoir un dialogue territorial ouvert en appui des décisions des maîtres d’ouvrage publics et privés dans la perspective des transitions économique, écologique et sociale (TEES). L’appartenance de CONNECT à l’ESSEC permet de mobiliser en particulier des concepts de sociologie des organisations.

Les organisations partenaires de CONNECT sont :

  • Fondation de France (comité environnement)
  • EDF (direction du développement durable)
  • SNCF réseau (direction de la concertation et des relations extérieures)
  • Institut Caisse des Dépôts pour la recherche

Les partenaires contribuent en partie au financement du centre, lequel est à compléter par des réponses à appels à projets de recherche.

Nos recherches s’inscrivent dans une approche de « design research ». Pragmatique, normative, synthétique et expérimentale, elle place le savoir au service de l’action et vise à identifier des mesures concrètes dans la perspective d’objectifs sociétaux et de systèmes-cibles idéaux (Romme 2003). Ainsi, la conception des problématiques de recherche de CONNECT se fait progressivement en collaboration avec ses partenaires.

Projets en rapport avec la transition écologique dans lesquels l'équipe est déjà engagée

Un haut niveau de confiance sociale et institutionnelle2 est souvent considéré à la fois comme un prérequis nécessaire à une concertation « réussie » et comme une conséquence désirable des processus de concertation (ex. Grönlund et al. 2010 ; Bloomfield et al. 2001, 510 ; Blondiaux, 2008, Dryzek, 2000, Swain et Tait, 2007).

Ainsi, en 2016-2017, nous avons analysé les rôles des confiance, méfiance et défiance3 dans des processus d’engagement local citoyen de types descendant (Suède, Finlande) et ascendant (Royaume-Uni). Ce choix nous a permis de comparer des cas dans des pays de forte confiance institutionnelle et sociale (Finlande et Suède) avec d’autres dans un pays – le Royaume-Uni – dont les niveaux de confiance sont plus faibles et proches de ceux de la France (Delhey et al. 2011, 791 ; CSPL, 2014; Kestilä-Kekkonen & Söderlund, 2016). Les cas ont porté sur le projet d’aménagement d’un quartier à Helsinki, un projet ferroviaire de portée nationale à Göteborg, et deux coopératives de Community Energy à Brighton. Les entrevues et une partie des lectures ont été réalisées dans la langue des acteurs.

Nous avons examiné

  • les manières dont les différentes formes de confiance conditionnent les processus de participation,
  • l’incidence des différents niveaux de confiance sur les processus de participation, et
  • les interactions des différentes formes de confiance dans ces processus participation.

En voici quelques résultats4 :

  • Les niveaux de confiance élevés n’ont pas empêché, dans les cas de Göteborg et Helsinki, l’émergence de conflits sous forme d’oppositions binaires, la désaffection des concertations par certains groupes (populations défavorisées, jeunes) et une faible influence sur les décisions.
  • Comme évoqué dans la littérature (Warren, 1999, 310; Dogan, 2005; Allard et al., 2016, 14; Laurent 2009, 27), une forte confiance présente des aspects négatifs. A Göteborg, ceux-ci incluent les effets polarisants du « capital social qui unit »5 , caractérisé par de forts liens de confiance au sein d’un groupe social homogène. A Helsinki et à Göteborg, une forte confiance dans la démocratie représentative alimente un certain scepticisme des différents acteurs (pas uniquement des élus) à l’égard de la participation directe.
  • Dans les cas de Community Energy à Brighton, la défiance à l’égard des grands opérateurs énergétiques et du gouvernement a constitué une forte motivation à l’organisation et à l’action.
  • Pour réussir, et pour garantir leur légitimité et crédibilité, les organisations de Community Energy à Brighton doivent gagner la confiance d’un grand nombre d’acteurs aux intérêts et valeurs divers : les investisseurs locaux « verts », les investisseurs « business-oriented », les acteurs intermédiaires (cf. Hargreaves et al. 2014) tels que les réseaux d’associations dans le domaine des énergies renouvelables, les consultants, think tanks, propriétaires des bâtiments où installer des équipements d’énergie renouvelable ainsi que les autorités locales.

Nous avons présenté certains de ces résultats en 2017 dans trois colloques (GIS Démocratie et Participation ; Association of European Schools of Planning ; division « Participation, organizational democracy and self-management » de l’International Sociological Association) et soumis deux articles pour publication dans des revues internationales à comité de lecture.

Problématique de la proposition (question(s) de recherche)

Nous proposons de poursuivre la recherche entamée en 2016 en interrogeant le rôle des diverses formes de confiance, méfiance et défiance dans les relations d’organisations locales citoyennes et de leurs membres avec les projets et politiques initiés par les autorités locales et les maîtres d’ouvrage privés et publics dans un objectif de TEES.

Adoptant une approche relationnelle de l’espace (Massey 2004), nous souhaitons analyser ces dynamiques territoriales sous trois angles prioritaires :

  1. les dynamiques et tensions internes aux organisations locales dans leurs efforts pour concilier leurs objectifs économiques, sociaux et écologiques (Battilana et al., 2015 ; Bruneel et al., 2016)
  2. les interactions entre ces organisations « niches » et les régimes et systèmes tels que définis dans la perspective multi-niveaux des transitions sociotechniques (voir annexe 1), y compris les diverses formes d’exercice du pouvoir – un aspect peu abordé dans cette littérature (ex. Avelino et al. 2016)
  3. les paradoxes (par exemple rejet et articulation avec les institutions), ambigüités, ambivalences et tensions (Smith & Lewis 2011 ; Bruneel et al., 2016; Battilana et al., 2015) associés – potentiels sources et freins à des innovations et formes de vivre ensemble novatrices.

Méthodologie et terrain d'enquête

Dans un premier temps, trois études de cas sont proposées, dans des contextes de confiance institutionnelle et sociale contrastés – confiance forte en Suède, moyen en France et faible au Portugal (ex. Torcal 2014 ; Pequito Teixeira et al. 2016) :

  • À Göteborg et Uppsala, dans le cadre de projets et politiques d’aménagement développés par les gouvernements locaux et nationaux, les mouvements de citoyens qui se définissent 1) « YIMBY »6 , militant en faveur d’une ville métropole dense et développant des liens directs avec les autorités et 2) d’opposition, contestant les projets des autorités et la stratégie de métropolisation les sous-tendant.
  • À Lisbonne, l’interaction entre les initiatives citoyennes, les projets mis en place par les autorités de la ville (en partie avec le financement de l’UE), lesquels visent à créer une ville accueillante pour les touristes et les nouvelles classes créatives, et les réseaux d’acteurs intermédiaires qui ont été constitués pour faciliter et coordonner l’utilisation de ces financements.
  • En France, le « territorialisme énergétique », exprimé par le concept de TEPOS, Territoire à Energie POSitive, créé en 2011 par le CLER (Réseau pour la transition énergétique) et repris dans le dispositif TEPCV (Territoire à Energie Positive Pour la Croissance Verte) inscrit dans la loi sur la transition énergétique. Une première étude de cas portera sur la Société Coopérative d'Intérêt Collectif Combrailles Durables créée dès 2009 en Auvergne-Rhône-Alpes.

Type de résultats escomptés

Les choix conceptuels et méthodologiques adoptés faciliteront le dialogue sur la définition précise puis sur les résultats de la recherche avec les chercheurs et acteurs concernés au sein du programme Cit’In. Les recommandations pour l’action viseront les moyens nécessaires pour la réussite de ces organisations, soit : 1) améliorer leur pérennité, 2) renforcer leur capacité à transformer le régime sociotechnique dominant, 3) s’assurer qu’elles renforcent la justice dans ses différentes dimensions (environnementale, sociale, énergétique) et 4) leur permettre, si elles le souhaitent, d’articuler leurs actions avec les projets et politiques d’aménagement et de développement de leur territoire.

Des synthèses de recherche ainsi que des articles académiques seront produits, les deux étant diffusés largement auprès des publics académiques et d’acteurs concernés.

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  • 1L’ESSEC est passée récemment du statut d’association à but non lucratif à celui d’Etablissement d'Enseignement Supérieur Privé d'Intérêt Général (EESPIG), lequel reconnaît les missions d’intérêt général du groupe ESSEC : « La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche définit un nouveau chapitre relatif aux "rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement supérieur privés à but non lucratif". En effet, l‘article L 732-1 précise que "des établissements d'enseignement supérieur privés à but non lucratif, concourant aux missions de service public, peuvent, à leur demande être reconnus par l'Etat en tant qu'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général, par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, après avis du comité consultatif pour l'enseignement supérieur privé". Seuls les établissements créés par des associations, fondations reconnues d'utilité publique, ou syndicats professionnels (au sens de l'article L2131-1 du code du travail) peuvent obtenir cette qualification ». (Site internet du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation).
  • 2La confiance sociale concerne les relations interpersonnelles tandis que la confiance institutionnelle désigne la confiance des citoyens dans les institutions et organisations telles que le gouvernement, le parlement, le marché, les entreprises privées, les experts institutionnels, ou le système démocratique dans son ensemble.
  • 3Nous distinguons méfiance et défiance, la première désignant une situation où l’individu garde l’espoir que l’objet de méfiance redevienne digne de confiance, tandis que la défiance décrit une posture de retrait ou de défi caractérisée par l’absence d’espoir que l’objet de défiance puisse évoluer (KURYO 2011).
  • 4Pour des résultats plus détaillés, voir http://connect.essec.edu/travaux-recherche
  • 5« bonding social capital »
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