Regards croisés sur les expériences de débat public en France, en Italie et au Québec

 

Séminaire de recherche de la PFI Débat public

Mardi 8 février 2011, 9h30 – 17 h

Maison Suger – 16, rue Suger 75005 Paris (M° St-Michel)    

Programme du séminaire

 

Matin - Les forces et des risques de l’institutionnalisation de la participation du (9h30-12h30) public aux processus décisionnel

Luigi Bobbio : Doutes sur l'institutionnalisation du débat public dans un pays où il n'est pas institutionalisé

Jean-Michel Fourniau : Le processus d’institutionnalisation du débat public en France et sa portée : regard sur un processus réversible
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Mario Gauthier : L’institutionnalisation de la participation publique en environnement et urbanisme au Québec : les spécificités du modèle québécois

Après-midi - Les processus de construction de l’action publique : quel rôle des arènes  (14h-17h)      participatives ?

Pierre Hamel : Quelle place pour la représentation et l'action publique ? Du local au métropolitain à Montréal.

Paola Pucci : Projets d’infrastructures et gestion des conflits en Italie : entre centralisme décisionnel et innovations incrémentales

Georges Mercadal : Les politiques publiques face à la participation : étude de cas à partir de l’expérience de la CNDP.

 

Écouter l'enregistrement audio du séminaire :

matin après-midi  

 

Les intervenants :

Luigi Bobbio est professeur à l’Université de Turin, département de science politique.

Jean-Michel Fourniau est directeur de recherche à l’IFSTTAR, Département économie et sociologie des transports, et responsable de la PFI Débat public.

Mario Gauthier est professeur agrégé à l’Université du Québec en Outaouais, Département des sciences sociales.

Pierre Hamel est professeur à l’Université de Montréal, département de sociologie.

Georges Mercadal a été vice-président du Conseil général des Ponts et Chaussées, puis vice-président de la Commission nationale du débat public.

Paola Pucci est professeur à Polytechnique de Milan, département Architecture et Planification.

    L'inscription au séminaire est libre mais obligatoire compte tenu de la taille limitée de la salle.   Inscription auprès de Jean-Michel Fourniau    

Présentation du séminaire

Les procédures de débat public ouvert1 ont été initiées au Québec il y a près de 35 ans, avec la création du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en 1978 ; leur processus d’institutionnalisation a démarré en France il y a près de 20 ans (circulaire Bianco de 1992) et n’a cessé de s’élargir depuis la création de la Commission nationale du débat public (CNDP, lois de 1995, 2002 et 2010) ; diverses initiatives régionales conduites ces dernières années ont enclenché ce processus en Italie. Les formes et l’intérêt d’une institutionnalisation y sont donc discutés, notamment à l’aune de sa capacité à transformer l’action publique. Au Québec comme en France, des interrogations et des mises en cause se sont fait jour récemment, faisant apparaître les risques que comporte vis-à-vis de la vitalité initiale de l’expérimentation démocratique l’inscription d’un dispositif participatif dans un système décisionnel complexe. C’est donc à l’exercice des regards croisés sur le processus d’institutionnalisation d’une procédure ouverte de démocratie participative que le séminaire est consacré. Cet exercice comparatif vise ainsi à interroger la place et les effets de la participation du public aux processus décisionnels dans les transformations contemporaines de l’action publique.

La littérature sur la participation du public et la démocratie participative relève de manière convergente plusieurs dimensions pour en qualifier les processus d’institutionnalisation, selon leurs forces ou leurs risques. Retenons les principales pour organiser le regard comparatif.

Du côté des forces de l’institutionnalisation, la première dimension tient à la légitimité politique que cela confère à un dispositif participatif. Celle-ci garantit notamment l’indépendance de la commission en charge d’organiser le débat public et confère à ses membres un statut de garant neutre et impartial. Mais ce sont justement les compétences propres de ces commissions, les manières de juger de la qualité de la procédure qui ont été mises en cause récemment en France et au Québec, révélant les limites des garanties institutionnelles. La seconde dimension tient à l’établissement de la confiance du public. Alors que ce qui se dit dans les débats manifeste une défiance généralisée vis-à-vis des pouvoirs publics, les commissions mettent à l’épreuve les règles garantissant l’égalité des participants dans le débat, des possibilités de contre-expertise permettant un dialogue pluraliste, instruments nécessaires pour créer la confiance du public et d’autant plus crédibles qu’ils s’appuient sur l’expérience accumulée par l’institution. Mais sa légitimité politique à tenir ce rôle en lieu et place du Parlement est aujourd’hui questionnée. La troisième dimension touche au cadrage général du débat en fonction du développement durable. Institués par des lois sur l’environnement, les dispositifs d’audiences ou de débat public ont sans doute contribué à la  diffusion des thématiques du développement durable et à leur prise en compte dans les processus d’élaboration des projets. Si, dans les trois pays, des conflits sur les grands projets d’infrastructure de transport jouent un rôle majeur dans les premières expérimentations de dispositifs de débat public, le lien de leur institutionnalisation avec celle des procédures d’évaluation environnementale diffère fortement selon les contextes nationaux. Plus généralement, l’évaluation des effets de la participation sur la fabrique de l’action publique reste à ce jour un sujet insuffisamment outillé pour en accréditer les vertus par rapport à d’autres processus d’action collective.

L’on peut également dégager de la littérature existante, quatre grandes dimensions des risques de l’institutionnalisation. La première tient à la routinisation, quand le débat public devient une procédure parmi de nombreuses autres que le maître d’ouvrage a à gérer pour faire avancer son projet. Une des plus forte critique portée contre la participation est alors de n’être qu’un instrument de gestion ordinaire des conflits, très fortement biaisé en faveur du projet mis en débat public. Alors que pour les participants, leur engagement prend sens par rapport à un répertoire d’action « contre-démocratique » élargi, allant de la vigilance citoyenne au contentieux, de l’exercice du droit d’alerte à la critique radicale, de la négociation à l’action directe, la seconde dimension du risque de l’institutionnalisation est de ne servir qu’à favoriser l’acceptabilité sociale des projets, en ne laissant plus de place à l’expression des conflits territoriaux ou de valeurs.  Quelle prise réelle sur les processus de décision en cours offre-t-elle alors que les conditions de prise en compte des résultats du débat sont rarement explicitées en préalable au débat ? La question du lien à décision est bien la troisième dimension du risque de l’institutionnalisation. La difficulté de juger de l’influence de sa propre participation sur le cours réel de la décision tend à faire percevoir les dispositifs comme des simulacres voir des manipulations, alors que d’autres arènes, l’établissement de rapports de forces ou le contentieux, semblent offrir des prises plus sûres pour peser sur la décision. Enfin, le dernier « piège » de l’institutionnalisation est de renforcer les inégalités sociales, en renforçant de diverses manières, même à son corps défendant, les positions déjà reconnues plutôt que les arguments et les acteurs émergents, ne serait-ce que parce que les coûts d’accès à un débat argumenté sur des projets à long terme et à fortes composantes techniques sont loin d’être négligeables.

Ainsi, l’analyse comparative des forces et les risques de l’institutionnalisation du débat public visera à s’interroger sur les transformations de l’action publique induites par la participation du public aux processus décisionnels, à la fois dans ses procédures et dans sa substance. Mais pour réellement appréhender les effets de la participation du public aux processus décisionnels, le séminaire veut aller au-delà de ce premier regard comparatif sur les processus d’institutionnalisation du débat public. En effet, force est de constater que la participation du public ne se diffuse pas de manière homogène dans les différents secteurs de l’action publique nationale ni, pour un même secteur, de la même manière selon les pays. L’analyse des effets de la participation sur l’action publique ne peut donc se limiter au seul regard porté à partir des dispositifs de débat public : en reprenant l'une des hypothèses de l'atelier du GIS, elle doit être complétée d’une analyse des dynamiques propres de l’action publique, sans présupposer la prééminence des processus participatifs sur d’autres processus, comme l’action collective de réseaux d’acteurs et/ou l’émergence de problèmes publics sur des scènes multiples. C’est bien, par exemple, l’importance des conflits sur les enjeux spécifiques au secteur des transports — et la façon dont ils sont de plus en plus reliés aux thématiques de l’énergie, du changement climatique, de la santé environnementale — qui expliquent les transformations de l’action publique dans ce secteur, prenant de manière très différenciée selon les contextes nationaux la forme de « détours participatifs » plus ou moins institutionnalisés. Une telle approche permet ainsi de reconsidérer la portée de la participation, et donc le discours de ses promoteurs, de mettre en lumière des « effets » non attendus par rapport aux objectifs initialement affichés, et de questionner l’utilité qu’y trouvent les acteurs qui s’y engagent et ceux qui restent en marge.

C’est donc à ce double mouvement des regards croisés que souhaite convier ce séminaire. Il s’agit d’une part de questionner chaque expérience nationale à partir des contextes institutionnels et politiques d’autres pays pour dégager les traits communs et les spécificités de chacun des processus d’institutionnalisation. D’autre part, il s’agit de circuler des conflits sur les enjeux d’aménagement et des dispositifs de participation du public institués pour y répondre vers la fabrique de la décision publique, afin de saisir la place et le rôle de la participation du public aux processus décisionnels dans les dynamiques de transformation de l’action publique.

1.Ouvert au sens où il n’y a pas de procédés de sélection préalable des publics, contrairement aux comités de concertation dont les membres sont désignés, ou aux conférences et jurys de citoyens dont les participants sont tirés au sort.

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