Symboles et pouvoirs des démocraties contemporaines (Biennale Turin : 14/04/11)

L’événement qui a marqué la deuxième journée de la Biennale de la démocratie est sans doute la leçon du président de la biennale, Gustavo Zagrebelsky dédié à la fabrique du symbolique dans les démocraties contemporaines. Une intervention qui souligne l’importance du symbolique comme troisième fonction de toute société avec les fonctions politique et économique. Un avertissement quant à l’importance de la vigilance et de la participation citoyenne pour redonner au symbolique sa valeur fondatrice.

La lectio magistralis du président de la Biennale constitue un arrière-fond pour les autres manifestations et événements de la journée du 14 avril qui sont entrées dans le vif du sujet évoqué par Zagrebelsky. C’est le cas du débat sur l’égalité des sexes avec la participation de l’historienne Joan Wallach Scott qui est intervenue sur la question des éléments symboliques et sur les stéréotypes des politiques d'égalité des chances.

Stephen Holmes, professeur de droit à l’université de New York, a parlé aux lycéens et aux universitaires ainsi qu’au public diversifié de la Biennale de la question des pouvoirs et des contre-pouvoirs en démocratie. En partant du constat que dans les démocraties modernes, le principe de la souveraineté du peuple est intrinsèquement lié au principe selon lequel le contre-pouvoir doit freiner le pouvoir, il a montré l’affaiblissement de ce deuxième principe : concentration du pouvoir politique et médiatique, crises des partis politiques, affaiblissement de la fonction de contrôle exercée par l’opinion publique, ont été les sujets qui ont animé ce débat.

 L’Union européenne  et son « profil psychanalytique » ont été le thème du débat avec Joseph H. Weiler, directeur du Jean Monnet Center for International and Regional Economic Law and Justice.

La Biennale a dépassé les frontières de l’Europe avec une rencontre de fin de journée dédiée aux Terres d’Afrique. Plusieurs questionnements ont animé cette rencontre. Pourquoi et comment Ethiopie, Ghana, Mali, Soudan et Madagascar ont cédé leur terres pour 20 ou 30 ans à des pays comme la Chine, l’Inde, la Corée. Pourquoi il y a des pays qui dispose d’argent et qui ont de plus en plus besoin de terre et d’autre pays pauvres qui cèdent leur territoire ? Quelles conséquences politiques ? Quels enjeux de société ?

 

 

Des symboles et des diables : aux racines des institutions démocratiques

 

C’est dans les grands mythes que Zagrebelsky puise pour commencer sa lectio magistralis. Notamment, Platon et le mythe androgyne décrit dans le Symposium. Le terme symbole dérive du grec  symblon  c’est à dire un signe qui sert pour reconnaître l’autre et est obtenu en tranchant en deux morceaux un objet. Selon le mythe, les êtres humains étaient autrefois constitués de deux corps attachés, ils avaient la forme d’une sphère. Chaque individu avait des organes doubles, deux têtes, quatre bras et quatre jambes et était très rapide et agile. Ces êtres, qui se déplaçaient en roulant, étaient fiers de la perfection de leur sphéricité qui en plus rendait complète leur sexualité.  A cause de cette fierté , de cette superbe, Zeus décida de partager ces êtres en deux. Depuis, tout individu est symblon d’un autre individu : la moitié manquante de la totalité qu’il cherche pour atteindre à nouveau la perfection.

Depuis, en réalité, les symboles pour les sociétés sont devenus l’élément qui les tient ensemble. La culture, la religion, etc., sont des symboles dans la mesure où ils unissent des parties qui se reconnaissent dans un tout. C’est une promesse d’unité à partir d’éléments différents.

Également, on peut appréhender l’expérience démocratique en tant que symbole. La démocratie est symbolique car elle pousse vers la synthèse dans une seule forme de cohabitation, car elle assure la réciprocité du lien social (la confiance et la loyauté de tous envers tous), car les symboles qu’elle produit relient les individus synchroniquement et diachroniquement produisant « identité », enfin car ses symboles ont un caractère d’extériorité vu qu’ils appartiennent à tous, donc à personne en particulier.

 

La société et ses symboles. Une question de survie

Toute société base son fonctionnement sur un système de symboles qui s’avère important dans la compréhension de la psychologie sociale. Notamment, les société sont structurées autour de trois fonctions fondamentales : politique, économique et symbolique. Ces trois fonctions représentent en réalité l’expression des volontés, des nécessitées et des mentalités. Aucune fonction n’est plus importante de l’autre, elles sont chacune à leur façon nécessaires. Dans les sociétés saines, ces fonctions sont réciproquement indépendantes. Toutefois, l’histoire nous a montré que chacune a la tendance à s’imposer sur les autres selon la période historique. Cependant si le pouvoir symbolique est le pouvoir le plus subtil et pénétrant, il ne reste pas moins qu’il est aussi le plus faible. Non seulement, si pour le politique et l’économie, on peut clairement identifier les patrons, ce n’est pas le cas du symbolique surtout à l’heure actuelle.

Si l’on se demande qui déplie les paroles, les images les choses exprimant symboliquement les valeurs, les aspirations d’une société, l’on s’aperçoit que ce sont probablement les lobbycraties, c’est à dire une mixture de schémas de pensée, modèles de comportement proposés par les moyens d’information de masse par les think thanks, académie, lobbies divers et variés. Les symboles finissent aujourd’hui par être manipulés et ils deviennent trompeurs par rapport à leur sens réel (les symboles religieux, nationaux, etc.). Les symboles semblent avoir cessé d’être extérieurs, donc de n’appartenir à personne pour déployer ainsi leur pouvoir unifiant, fédérant des sociétés.

Au contraire, ils seraient devenus des instruments de propagande, de domination, un moyen de gouvernement. Cela a été le cas des dictateurs : en se proposant comme symbole politique dans lequel le peuple pouvait s’identifier, comme facteur unifiant, ils n’ont pas besoin de lois, d’institutions, c’est–à-dire des instruments symboliques de cohabitation appartenant à personne et donc à tous. C’est aussi le cas des démagogues, de la manipulation des informations et de la pensée.

Cette version du symbole, à bien y réfléchir, est son extrême corruption diabolique, est la fin de l’expérience symbolique démocratique. C’est pourquoi, Zagrebelsky souligne à la fin de son intervention la nécessité d'être vigilant. Il invoque la responsabilité de chaque individu pour se réapproprier, à travers la participation et la conscience critique, les symboles politiques, pour les restituer à leur vrai patron : la société.