Pourquoi une revue sur la participation ?

Comité éditorial (2011),

"Pourquoi une revue sur la participation ?", 
Participations, n°1, pp.5-7.

 

                                                                                                                 

 

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La participation citoyenne aux négociations et aux débats publics, ainsi qu’aux processus d’expertise et de décision, est au cœur des mutations qu’a connues l’action publique depuis quelques décennies dans les démocraties occidentales. Démultiplication des acteurs intervenant dans la prise de décision, création de nouveaux espaces de participation plus ouverts aux citoyens « ordinaires » et aux associations de la société civile, consécration sur le plan politique et juridique d’un « impératif participatif ». Autant d’éléments qui attestent d’une évolution de nos démocraties ainsi que des modes d’action publique qui n’intervient pas seulement aux niveaux local, régional et national mais aussi au niveau international. La participation est devenue un enjeu au-delà même du contexte des démocraties occidentales, jusque dans des pays aux structures de décision « autoritaires ».

 

L’inflation du thème de la participation n’est pas sans revêtir des aspects paradoxaux ou ambivalents. Les dispositifs concrets de la « démocratie participative » expérimentés ces dernières années visent des publics variés et sont portés par des acteurs multiples (mouvements sociaux et associations, institutions et pouvoirs publics) ; ils s’inscrivent aussi bien dans des logiques managériales et gestionnaires que dans des dynamiques de transformation sociale radicales. La recherche, par les associations, les entreprises ou les pouvoirs publics, d’une participation des habitants, usagers, citoyens ou clients peut être motivée par la volonté de réhabiliter l’action collective ou au contraire de privilégier l'individu, voire de court-circuiter les forces collectives en présence. Les dispositifs institués peuvent ainsi passer à côté de multiples formes de participation citoyenne qui se déploient par ailleurs. Il peut également s’agir d’organiser l’information, voire l’assentiment de la population sur des projets ou des politiques données, ou à l’inverse d’organiser le partage du pouvoir de délibération et de décision entre gouvernants et gouvernés. La participation peut encore valoriser l’entente et le consensus ou, au contraire, viser l’expression du conflit et du pluralisme en démocratie.

 

Ces ambiguïtés, dont on pourrait aisément allonger la liste, sont désormais au cœur d’une littérature scientifique en constant développement depuis les années 1960 et 1970. Si les travaux pionniers relevaient surtout de la théorie politique, les contributions ultérieures se sont par la suite diversifiées, émanant de domaines aussi divers que les études urbaines, la science politique, la sociologie, le droit, l’anthropologie, l’histoire, la philosophie, la psychologie, la communication, etc. Une telle diversification est significative : en même temps qu’une ingénierie et un champ professionnel de la participation, un champ d’études a émergé, qui met résolument de côté l'idéalisme qui avait pu caractériser certains travaux des années 1970, sans pour autant réduire la participation à un simple masque idéologique dissimulant la reproduction des inégalités. Par-delà la diversité de leurs ancrages disciplinaires, ces démarches prennent au sérieux l'idéal participatif, tout en questionnant les impensés et postulats des dispositifs qui s’en réclament (tels les ressorts de l’engagement ou la demande sociale de participation), aussi bien que leurs effets concrets en termes de politisation.

 

Si un champ spécifique de recherches s’est récemment dessiné, il a encore tendance à être perçu, dans beaucoup de disciplines, en particulier en France, comme relativement périphérique. C’est à une structuration plus dynamique de ce champ d’études ainsi qu’à une mise en relief de sa fécondité et de sa richesse que veut contribuer la revue Participations. Sa création fait notamment suite à la constitution du Groupement d’intérêt scientifique « Participation du public, décision, démocratie participative », qui soutient activement la revue.

 

Participations veut contribuer à l’étude plurielle de la démocratie participative, mais aussi de la participation politique et sociale au sens large ; structurer, autour de la participation, un dialogue plus constant et approfondi entre chercheurs issus d’horizons culturels et disciplinaires différents ; aborder les enjeux tant épistémologiques que pratiques et politiques de la participation, ses dimensions tant sociales et économiques qu’institutionnelles ; favoriser une meilleure articulation entre recherche théorique et normative d’un côté, et travail empirique de l’autre ; favoriser les comparaisons internationales ; prendre en compte la diversité des dispositifs expérimentés et des enjeux concernés (notamment environnementaux ou technologiques) ; nourrir une réflexion prospective et expérimentale sur l’évolution des modes de participation ; étudier les échelles de la participation et leur articulation ; prendre au sérieux l’engagement participatif comme le refus de participer, et questionner les distorsions possibles de l’injonction participative ; interroger de façon critique les pratiques des professionnels et des théoriciens de la participation. La revue s’intéressera également à la participation par le bas, aux contre-pouvoirs, aux mobilisations collectives comme aux phénomènes de politisation (compétence politique, information du citoyen, etc.), c’est-à-dire aux formes de participation visant à compléter, approfondir, voire dépasser la démocratie représentative traditionnelle.

 

Participations accueillera des contributions théoriques et empiriques touchant à la démocratie participative, aux conditions de la délibération, aux transformations des formes et des pratiques de citoyenneté, à la structuration de l’espace public, à la gouvernance urbaine, à l’engagement du public dans les processus décisionnels, à la démocratie sociale, technique ou médicale, aux controverses sociotechniques ou à l’évaluation des outils et dispositifs participatifs. Première du genre en langue française, la revue Participations assume pleinement une vocation pluridisciplinaire et a pour ambition de mobiliser les regards et les apports des différentes disciplines, sans exclusive théorique ni méthodologique. Elle accueillera des échanges entre chercheurs issus des sciences humaines et sociales (études urbaines, communication, histoire, philosophie, psychologie, sociologie), du droit, de la science politique, des sciences économiques et de la gestion. Si elle compte permettre la diffusion en langue française de travaux importants publiés à l’étranger et fournir à ses lecteurs une meilleure vue d’ensemble de recherches en cours, elle a également pour but d’introduire de nouvelles pistes de recherches.

 

Chaque numéro comportera un dossier thématique abordant la participation sous un angle spécifique ; une rubrique varia pouvant accueillir des entretiens et des articles reposant sur des matériaux empiriques originaux et/ou proposant des avancées théoriques ou méthodologiques. La revue ne publiera pas de comptes rendus d’ouvrage mais des lectures critiques à partir de plusieurs ouvrages, permettant de faire un état des lieux ou d’ouvrir le débat sur un domaine de la littérature, un enjeu méthodologique, une aire géographique particulière, etc. Ayant pour ambition de contribuer à un dialogue entre chercheurs francophones et chercheurs issus d’horizons culturels et linguistiques différents, la revue sera particulièrement ouverte à des lectures critiques sur des travaux peu connus en France car publiés en langue étrangère.

 

Sommaire du n°1 de la revue ⇒