Une expertise internationale sur la démocratie participative ? Comment l’OCDE se saisit du problème de la participation du public dans les nanotechnologies

       

LAURENT Brice (2009), "Une expertise internationale sur la démocratie participative ? Comment l’OCDE se saisit du problème de la participation du public dans les nanotechnologies", communication aux premières journées doctorales sur la participation du public et la démocratie participative, Ecole Normale Supérieure de Lyon, 27-28 novembre 2009.

 


 

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Producing International Expertise
about Technologies of Democracy


Version révisée du texte
en vue d'une publication dans une revue anglophone    

Extrait de l'article

  Les institutions internationales se sont intéressées aux mécanismes de la démocratie participative au cours des dernières années. La Banque Mondiale par exemple a mis en avant la nécessité de l’empowerment de différents groupes sociaux pour la bonne marche de projets de développement local. Certains travaux ont critiqué ces approches, considérées des mécanismes par l’intermédiaire desquels une vision néo-libérale de l’organisation sociale est mise en place. Cependant peu d’attention a été consacrée à la production de l’expertise des organisations internationales dans le domaine de la démocratie participative.

L’ambition de cette communication est de mettre en évidence sur un cas empirique le travail de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) sur la démocratie participative, en ce qui concerne les questions de politique scientifique. Je désigne ici par "politique scientifique" l’ensemble des décisions d’attribution de financements publics pour la recherche scientifique et technique et/ou les décisions publiques relatives à la régulation des technologies. Je m’intéresse en particulier à la division de la politique scientifique de l’OCDE, et, au sein de celle-ci, à un groupe de travail sur les nanotechnologies (Working Party on Nanotechnology, WPN), dont la création en 2007 conduit à mettre en place un projet sur "l’Engagement du Public", consacré aux modalités des relations entre différents "publics" et les acteurs scientifiques et administratifs des politiques relatives aux nanotechnologies. Ce projet vise à regrouper l’information relative aux dispositifs participatifs organisés dans les différents états membres et à mobiliser des expertises internes et externes. L’objectif du projet est de produire des guides de "bonne pratique" à destination des décideurs publiques (policy makers) qui seraient impliqués dans l’organisation de dispositifs participatifs consacrés aux nanotechnologies.

En utilisant cet exemple empirique, l’objectif de cette communication est d’analyser certains mécanismes de production de l’expertise sur la démocratie participative à l’OCDE au sujet de la politique scientifique, de décrire la nature de cette expertise, et enfin d’identifier les effets qu’elle peut avoir sur les choix politiques des états membres. Pour ce faire, l’approche choisie s’inspire des études sociales des sciences et de récents travaux de science politique qui s’intéressent à la production des instruments politiques et montrent leur rôle dans la constitution de catégories techniques et sociales. En particulier, je ne considère pas la nature de la participation du public et celle des enjeux liés aux nanotechnologies comme des données d’entrée, mais comme des résultats des processus que je décrirai. Mon intérêt n’est pas ici d’évaluer la pertinence de tel ou tel mécanisme participatif, mais d’analyser les façons de problématiser la participation du public dans les nanotechnologies, telles qu’elles émergent du travail de l’OCDE.

Le matériau sur lequel est fondé cette communication est tiré de la documentation publique de l’OCDE sur les questions de démocratie participative et de politique scientifique, sur ma participation à des colloques publics ou semi-publics organisés par l’institution et aux réunions plénières du groupe de travail, ainsi que par mon implication directe au WPN en tant que consultant. Cette position permet un accès direct à la production du WPN, mais elle impose en retour une problématisation de la position du chercheur lui-même qui ne peut se contenter ni d’un recours un peu vague à la réflexivité, ni d’une mobilisation des catégories de la recherche-action ou de l’observation participante. Pour rendre compte de ma position et en tirer partie dans l’analyse, je montre comment mes interventions conduisent à expliciter certaines contraintes de l’organisation qui auraient pu demeurer invisibles dans d’autres contextes.

Cette communication prend appui sur trois épisodes du travail du WPN, au cours desquels les enjeux et les contraintes du projet sont explicités (pour une part du fait de ma propre intervention, dans le troisième cas au moins). Je propose de suivre dans une première partie le processus d’écriture d’un questionnaire destiné à être complété par les délégués des différents pays membres à propos des expériences nationales d’engagement du public. Je m’intéresse ensuite à la production de guidelines au cours d’un atelier de travail auquel ont participé des experts mandatés par différents états membres ainsi que les délégués nationaux impliqués dans le projet Engagement du Public. Ces deux premiers exemples permettent de montrer que les tentatives pour définir de façon univoque « l’engagement du public dans les nanotechnologies » conduisent à complexifier la définition proposée de telle sorte que les expériences multiples de nombreux états membres puissent être considérées dans le projet. L’ambiguïté ainsi produite n’est pourtant pas sans limite : le cas de l’organisation d’une table ronde sur la gouvernance des risques considéré dans une troisième partie montre que des démarcations doivent être stabilisées pour produire l’expertise de l’organisation internationale. Ces trois exemples permettent ainsi de montrer empiriquement que le WPN maintient une ambiguïté forte sur la nature de « l’engagement du public dans les nanotechnologies », et que ceci est directement lié à la nécessaire reproduction de démarcations, entre expertise politique et expertise technique d’une part, entre expertise et « jugement normatif » d’autre part.

En conséquence, l’ambiguïté qui apparaît nécessaire à la constitution de l’expertise internationale sur la participation ne va pas sans la reproduction de démarcations tout aussi nécessaires à la stabilité de l’objectivité de l’organisation internationale à propos des mécanismes de la politique scientifique. Ces caractéristiques inhérentes au projet renforcent au final un modèle « d’engagement du public » fondé sur la gestion de perceptions par différents « groupes sociaux » d’une réalité technologique non problématisée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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