"Démocratie et relativisme" : Castoriadis

 
CASTORIADIS Cornelius (2010),
Démocratie et relativisme. Débat avec le MAUSS,
Paris,  Mille et Une Nuits.  

Compte-rendu de lecture
par Stéphane Aymard




Retranscrivant le débat qui a eu lieu en 1994 entre Cornelius Castoriadis (1922-1997) et les rédacteurs de la Revue du Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales (MAUSS), l'ouvrage Démocratie et relativisme livre un aperçu de la pensée de ce philosophe, psychanalyste et économiste. Plus une invitation à découvrir quelques unes de ses idées fortes qu’une véritable démonstration, C. Castoriadis nous fait voir les multiples aspects que revêt une réflexion sur la démocratie.

La relativité du relativisme
Dans cette première partie, C. Castoriadis souligne sa reconnaissance à l’égard de la culture helléniste. La pensée démocratique apparaît avec le mouvement de remise en question de soi-même. C’est cette interrogation qui constitue l’essentiel de l’héritage grec et qui rend possible une pensée politique du mouvement. La remise en question de soi correspond à ce qu’il nomme "le mouvement d’autonomie", caractéristique de la Grèce antique et de l’Europe occidentale dès les XIè XIIè siècles. Ce mouvement d’autonomie est essentiel pour penser la démocratie car il permet de distinguer la politique du politique.

Le politique et la politique
"Le politique est ce qui concerne le pouvoir dans une société". Ce dernier se retrouve dans toutes les sociétés et correspond à la prise de décisions obligatoires par rapport à la collectivité, impliquant des sanctions en cas de non respect. Dans cette partie, C. Castoriadis souligne le problème de l’accord entre les hommes et la "mystification" de l’ordre spontané et rationnel. Les désaccords entre les hommes impliquent que des décisions collectives soient prises par le jeu non de l’Etat, mais du pouvoir quel qu’en soit la forme. Si le politique pose la question du pouvoir et des décisions collectives, la politique se définit quant à elle, comme "l’activité collective qui se veut lucide et consciente, et qui met en question les institutions existantes de la société" (p.47). La politique est le véritable apport du monde grec. Considérant le monde grec et la culture de l’Europe occidentale comme une culture parmi d’autres, il ouvre nécessairement à la question d’un possible paradoxe : comment peut-il valoriser une culture parmi d’autres, valoriser l’auto-questionnement si toutes les cultures se valent ?

Indétermination et création
C. Castoriadis précise ce qu’il entend par l’auto-questionnement. Celui-ci ne doit pas être interprété comme le fait de reconnaître une indétermination première de la forme du rapport social. Au contraire, c’est la création qui accompagne le mouvement d’autonomie : "au plan ontologique, ce qui définit l’être, ce n’est pas l’indétermination, c’est la création de nouvelles déterminations" (p.54). Il défend "l’imaginaire créateur" : "toutes sociétés procèdent d’un mouvement de création d’institutions et de significations" (p.55). Ce qui implique qu’à partir du moment où une société se donne ce droit, elle donne à chacun le devoir de choisir le type de société qu’il préfère. Il ne s’agit pas de choisir entre différents modèles, différents "paradigmes historiques", mais de choisir parmi des "projets possibles", porteurs de valeurs, à travers lesquels l’homme s’affirme dans sa dimension politique.

La condition de l’universalisation des valeurs occidentales
Se pose dès lors la question de savoir s’il est envisageable d’universaliser ce mouvement d’autonomie à l’ensemble des cultures. Avec prudence, C. Castoriadis soutient l'idée de "prêcher par l’exemple" (p.59). Ces valeurs ne doivent pas être imposées, elles doivent faire l’objet d’une « appropriation » : les différents systèmes de valeurs doivent se transformer mutuellement, s’enrichir et donner lieu à de nouvelles "significations imaginaires" (p.62). Mais une autre condition est également essentielle ; le citoyen. Il doit être "incarné" (p.71), il doit appartenir à une communauté - le village par exemple - porteuse de valeurs, avant tout esthétiques, et dessinant une manière de penser la vie, ce qui dépasse de loin la seule dimension politique et implique une réflexion interne à la société occidentale, en passe de devenir une "culture du gadget". C. Castoriadis nous fait voir les multiples aspects qui accompagnent la réflexion sur la démocratie, en particulier le fait qu’elle n’est pas exempte d’une réflexion sur la vision du monde portée par la culture dans laquelle le mouvement d’autonomie prend forme.

La démocratie
Ainsi qu’en est-il de notre propre régime démocratique ? Dans ce dernier moment du livre, s’ouvre une réflexion sur la spécificité de la démocratie : est-elle une exception historique ou au contraire le régime naturel vers lequel les hommes se portent pour vivre ensemble ? Que suppose-t-elle pour avoir lieu ? A nouveau, C. Castoriadis insiste sur la paideia, l’éducation du citoyen qui doit être au cœur d’un régime démocratique. Mais ce civisme doit-il s’exercer de manière directe ou indirecte ? Débat d’une éminente actualité, la réflexion sur la démocratie directe ou représentative est ici centrale. C. Castoriadis, favorable à une démocratie directe fustige la représentation, idée moderne qui s’ancre dans l’hétéronomie et l’aliénation politique (p.100). L’argument de la dimension est un sophisme, la démocratie doit pouvoir s’exercer quelque soit l’échelle et donner lieu à la possibilité effective de modifier les institutions, elle doit être auto-instituée. Avoir des représentants ne garantit pas davantage les libertés individuelles qu’un régime direct si ce dernier s’accompagne de dispositions constitutionnelles.

Si "rien ni personne ne peut protéger l’humanité contre sa propre folie" (p.113), C. Castoriadis, au-delà du sens de la formule, nous donne matière à réfléchir sur la démocratie : idée, réalité historique, mais aussi projet en mouvement, à définir et redéfinir dans ses multiples dimensions.

 
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