Culture, Architecture, Démocratie (Biennale Turin : 16/04/11)

 

Culture. Architecture. Démocratie. Biennale Turin : 16/04/11

 

Culture

Web, Think Thank et intellectuels: la fabrique de la connaissance

La journée de samedi 16 avril a poursuivi et approfondi les problématiques majeures de la Biennale autour des thèmes de la culture, de la connaissance, du rôle du web dans la construction des opinions. Six rencontres ont été dédiées à  ces questions de façon à en décortiquer les enjeux. C’est par exemple le cas du débat sur les Think Thank, là où naissent les idées.  Ces centres de recherche diffusent en effet des idées dans le but d’influencer l’opinion publique et/ou de soutenir l’action des gouvernements. Il s'agit d'un instrument typiquement américain qui aujourd’hui est en train de se répandre en Europe. Combien en comptent-on ici, sur le vieux continent ? Quel est le rôle de ces élites culturelles et comment s’organisent-elles ?

La question des Think thank renvoie aussi à la question de la culture face au pouvoir, un sujet crucial pour toute démocratie. Ainsi, plusieurs rencontres ont été consacrées aux philosophes et aux écrivains qui ont pris leur distance par rapport à la posture consistant à considérer les partis politiques en tant qu’intellectuel collectif.

Architecture

La démocratie invisible de l’architecte

À nouveau, la 4ème journée de la Biennale a touché le thème du rapport entre architecture et démocratie, mais cette fois, par le biais d’expériences et témoignages d’architectes connus et très engagés sur le sujet. C’est le cas du débat animé par les architectes Mario Cuccinella, Reena Tiwari et Riccardo Vanucci qui, à travers leur témoignage, ont opéré une réflexion sur les horizons possibles d’un développement urbain fondé sur la citoyenneté active, l’inclusion sociale et la soutenabilité.

Mario Cuccinella en décrivant le projet d’une école eco-soutenable  qu’il a réalisé à Gaza, a souligné que l’architecte projette non seulement des espaces, mais aussi ce qui peut se produire à l’intérieur. Au-delà de la fétichisation croissante de l’espace qui caractérise l’architecture contemporaine, le rôle de l’architecte n’est pas seulement celui de donner des réponses aux demandes de ses commanditaires car il peut se trouver que ces demandes sont erronées. D’où sa conviction que l’architecte doit se poser des questions d’autant plus qu’il a une sorte de Responsabilité Sociale, tout comme la RSE des entreprises, car il agit sur l’espace c’est-à-dire sur un des occasions majeures de négociation des relations humaines.

Reena Tiwari a raconté son expérience de Inclusive Design Process en Inde, un contexte très particulier du point de vue de l’architecture et de la démocratie. Ce pays est connu pour être une grande démocratie, mais nombreuses antinomies et contradictions se produisent au sein de sa société et des ses espaces. C’est le cas de villes comme New Dehli ou Bombay où plus de 60% de la population habite dans des slum. Cette forme résidentielle est le produit à plus de 94% de l’économie urbaine informelle. Toutefois ces données, ces constats, ces réalités ne sont pas pris en compte dans les projets urbains de régénération ou dans les plans de réglementation. L’architecte australienne, née en Inde, a mené un projet de requalification de structures collectives dans un slum à New Delhi. Elle a montré comment dans ce processus participatif on est passé d’une approche traditionnelle, consistant à décider, annoncer et défendre un projet (DAD – Decide, Announce, Defend) à une approche plus participatifve consistant dans la découverte du profil des personnes concernées par le projet, de leur éducation et leurs styles de vie, dans la participation (PEP – Profile, Education, Participation).

Riccardo Vanucci a lui aussi montré un projet, réalisé au Burkina Faso, d’un centre pour le bien-être des femmes, caractérisé par le fait d’avoir été conçu en intégrant dans le fonctionnement du centre les conditions climatiques et les techniques locales de construction. Vanucci a montré comment construire et penser un centre de bien-être pour les femmes dans un pays où plus de 76% d’entre elles sont soumises à la mutilation génitale ne peut pas être une opération neutre. L’engagement de l’architecte, voire son éthique sont des préalables important surtout quand il est appelé à opérer dans des contextes ou des conjonctures historiques et géographiques où la démocratie et les droits font enjeu.

Ce débat, très intéressant, a réussi à montrer au public de la Biennale la difficulté et les engagements qu’il y a derrière des processus d'architecture ou de planning participatifs ou du moins attentifs aux enjeux de la soutenabilité sociale et environnementale.

Comme l’a très bien dit un des participant au débat : « finalement ce qu’on voit ce sera toujours un immeuble, on ne peut pas dire : tient, un édifice démocratique ! Et pourtant il y a une démocratie invisible, celle de l’architecte ».

 

Démocratie.

Une expérience de jury citoyen sur le fédéralisme : au cœur de la participation.

Une véritable leçon de démocratie pratiquée s’est déroulée le samedi 16 dans la corniche du beau théâtre Carignano de Turin.  Luigi Bobbio, professeur d’Analyse des politiques publiques à l’Université de Turin, a animé la matinée consacrée à la restitution de l’expérience de 3 jurys citoyens sur le fédéralisme en Italie.

Cette expérience a duré de décembre à avril 2011. Le but, surtout en 2011 an du 150ème anniversaire de l’Italie a été celui d’aborder un thème hautement controversé : le fédéralisme et certains dilemmes que sa mise en place pourrait produire dans le domaine de la solidarité, de  la santé, de l'éducation.

Trois villes Florence (Toscane), Lamezia (Calabre) et  Turin (Piémont) qui ont représenté autant de point de vue pour comprendre l’impact des scenarii ouverts par le fédéralisme fiscale et fonctionnel qui pourraient changer l’Italie. De citoyen à citoyen, les représentants de plus de 80 citoyens participant aux jurys ont raconté leur ressenti par rapport à la participation à ce type de dispositif en montrant quel a été l’intérêt de participer à un jury citoyen, le parcours et les suites de ce type de processus. Ils ont raconté que - lorsqu’il ont accepté de faire partie d’un jury citoyen - ils ont reçu du matériel informatif sur le sujet des discussions auxquelles ils auraient dû participer. Ensuite, ils ont eu l’occasion de poser des questions à des eerts pour formuler enfin des recommandations qui tenaient en compte les opinions contraires qui se sont manifesté à l’intérieur des jurys.

Les résultats des jurys  ont été surprenants, come l’a confirmé la réaction du public dans la salle. En premier lieu, le fédéralisme est vécu aussi au sud de l’Italie comme une opportunité potentielle pour contrôler davantage les administrateurs locaux. Deuxièmement, la question des droits universels, par exemple dans la santé et l’éducation a été reconnu une dimension intouchable des politiques publiques qui ne peuvent pas se basée sur une territorialité poussée propre au fédéralisme. Enfin, les jurys ont souligné le manque d’information sur ce sujet qui soit est traité de façon trop généraliste pour se construire une véritable opinion soit est abordé par des technicismes qui rendent impossible toute compréhension.

Les représentants ont ainsi répondu aux questions du public présent. Ils ont également expliqué les raisons et les argumentations des conclusions de chaque jury dans une confrontation ouverte aux peurs, aux espoirs et aux réticences  que ce thème produit.  Cela a été l'un des moments les plus intenses de la journée et de la Biennale. Une véritable dynamique d’échange, de réflexion sur le thème du jury, le fédéralisme, s’est enclenchée à partir du fort intérêt et de l’interaction du public, qui n’a pas pu poser toutes les questions tellement elles étaient nombreuses.

L’esprit foncièrement démocratique de cette rencontre a été reconnu également par le président de la Biennale, Gustavo Zagrebelsky, lors qu’il l’a clôturée en citant l’intervention d’un des représentants des jurys citoyens. « Au départ je ne savais pas ce que c’était le fédéralisme. Aujourd’hui, après ma participation au jury, cela me fait beaucoup moins peur ».