Participation et action publique

Groupe de projet de l'AFSP

Opinion publique et action publique

Responsables scientifiques : Céline Belot, Laurie Boussaguet et Charlotte Halpern

 

 

 

APPEL À COMMUNICATIONS pour le 2 avril 2013

Journée d’étude doctorants / jeunes docteurs :

Participation et action publique

vendredi 17 mai 2013 – Sciences Po Paris

Le groupe de projet de l’AFSP, PopAct, dont l’objectif est d’interroger l’articulation qui peut exister entre « opinion publique » et « action publique », et d’identifier collectivement les mécanismes de ce jeu d’influence réciproque, souhaite organiser une série de journées d’étude à destination des doctorants et jeunes docteurs, sur l’ensemble de ses thématiques de recherche. Suite aux premières propositions et sollicitations reçues, un axe s’est imposé comme le plus porteur pour la première de ces journées qui se tiendra mi-mai 2013.
 « L’opinion publique » peut en effet être saisie à travers une dimension particulière qui est celle de la participation politique – envisagée comme variable intermédiaire entre les citoyens et l’action publique. Il s’agit donc de questionner les relations possibles entre participation (des citoyens) et fabrique de l’action publique :

  • Comment, à travers différentes formes de participation (mobilisations/contestations, prises de parole profanes, participation institutionnalisée – consultations, commissions, … - etc.), les citoyens parviennent-ils, ou non, à influer la fabrique de l’action publique ?
  • Comment l’action publique elle-même, à travers ses concepteurs, ses acteurs et ses exécutants, utilise la participation (organisée, sollicitée, etc.) pour se construire et se légitimer ?
  • Comment la participation devient-elle, depuis quelques années, un objet à part entière de l’action publique, au point que l’on puisse désormais parler de « politique publique de la participation », comme en témoigne par exemple le volume important des marchés publics consacrés à ce domaine ?

La journée sera organisée à Sciences Po Paris le vendredi 17 mai 2013 ; les papiers ou chapitres de thèse seront discutés par les responsables scientifiques de PopAct et d’autres enseignants-chercheurs membres du groupe de projet ou proches de ces problématiques.

Les doctorants ou jeunes docteurs intéressés sont priés d’envoyer leur proposition de communication à l’adresse du groupe (popactgroupeafsp@gmail.com) avant le 2 avril 2013 – les papiers retenus seront ensuite à envoyer pour le 2 mai 2013.

Présentation du groupe de projet

Pourquoi s’intéresser aux relations entre opinion publique et action publique ? Cette question semble d’autant plus légitime qu’il s’agit de deux objets (“les opinions” et “l’action publique”) traditionnellement étudiés séparément, par des sous-discipline distinctes de la science politique (respectivement la sociologie politique et l’analyse des politiques publiques). La réponse apportée par la littérature, en grande majorité américaine, est essentiellement fonctionnaliste et elle est soit formulée de manière normative  - « Un des principes fondamentaux d’un gouvernement démocratique est que l’action publique doit être une fonction de l’opinion (…) Savoir si et jusqu’à quel point ce principe correspond à la réalité est un indicateur critique de la gouvernance représentative1 » -, soit de manière pragmatique sous la forme du « Who leads whom ?2 ». Partant du constat d’un recours de plus en plus courant des enquêtes d’opinion par les gouvernants, cette seconde approche s’est développée au cours des vingt dernières années pour interroger l’usage des données d’opinion dans l’action publique. Quel rôle joue le recours à l’opinion publique dans la mise sur agenda, la prise de décision, mais aussi le discours politique ? Fait-elle figure d’aiguillon, constitue-t-elle une contrainte ou au contraire une opportunité pour les gouvernants ?

Ce groupe de projet propose de partir de ce questionnement initial pour interroger la relation entre opinion publique et action publique. La première notion peut être définie rapidement comme  “les jugements et perceptions de la majorité de la population”3 , saisis généralement par le biais de sondages. Il s’agira ici de l’envisager de façon plus large, comme un processus de communication politique qui part des citoyens pour remonter vers les autorités politiques4 – ceci permettant de considérer certaines formes de participation politique comme relevant de l’opinion publique. La notion d’action publique désigne quant à elle l’ensemble des formes de régulation de l’action collective résultant des activités des institutions publiques et d’une pluralité d’acteurs, publics et privés, issus de la société civile comme de la sphère étatique, agissant conjointement dans des interdépendances multiples, au niveau national mais aussi local et éventuellement supranational5

Bien que l’opinion publique et l’action publique aient eu tendance à être analysées séparément, les sous-disciplines de la science politique faisant souvent preuve de myopie entre elles et ayant du mal à croiser leurs regards6 , leurs relations ont toutefois fait l’objet d’une certaine attention dans la littérature en sciences sociales. Ces travaux montrent notamment l’absence de relation automatique entre la demande sociale et l’offre de politiques publiques, tout en soulignant l’existence d’un « jeu d’influence réciproque » dans cette relation7 . Trois grands types d’approches des relations entre opinion publique et politiques publiques peuvent être identifiés dans la littérature, chacun s’étant développé de manière relativement cloisonnée au sein de différentes sous-disciplines de la science politique8 . La première, centrée sur l’évaluation de la demande, entreprend de mesurer la saillance des enjeux politiques et sociaux à partir de l’analyse du vote, des opinions et des comportements, généralement mesurés par le biais de sondages et d’enquêtes. La seconde, centrée sur l’offre de politiques publiques, prend en compte le rôle d’une large variété d’intérêts organisés dans l’élaboration et à la mise en œuvre de l’action publique, qu’ils soient publics ou privés, insiders ou issus de la société civile, et à différents échelons de gouvernement. Une  troisième approche a permis d’explorer la nature indirecte de la relation entre opinion publique et action publique, en centrant l’attention sur l’existence « d’effets combinés» (joint effects) entre opinion publique et mouvements sociaux par exemple9 , pour expliquer les effets sur l’action publique.

Ces différentes approches se rejoignent sur deux points : la nature circulaire de la relation entre opinion publique et action publique d’une part, et le caractère mutuellement contraignant de ces deux pôles d’autre part. Pour autant, aucune de ces approches ne permet d’identifier de manière fine et précise les mécanismes explicatifs de ce jeu d’influence réciproque, soit en raison de l’absence de données longitudinales et précises permettant de mesurer l’effet de l’action publique sur l’opinion, et/ou du caractère schématique des indicateurs privilégiés pour mesurer les effets de l’opinion publique sur l’action publique, soit du faible intérêt des spécialistes de l’action publique pour les intérêts faiblement organisés (outsiders, profanes et citoyens).

Au cours des vingt dernières années, un certain nombre de travaux ont entrepris de renouveler les questions et problématiques de recherche sur la relation entre opinion publique et action publique. Le programme de recherche Agenda, et ses différentes déclinaisons nationales10 , a permis par exemple de réinterroger les hypothèses liées à la saillance des enjeux en période de campagne électorale11 et de crise politique12 , ainsi que la relation entre partis politiques et politiques publiques13 . Dans un registre différent, l’analyse de l’action publique explore aussi les limites de la régulation politique, grâce à l’apport d’approches ethnographiques, l’intérêt porté aux destinataires et usagers ou encore à l’évolution des choix opérés en matière d’instruments qui contribuerait à l’individualisation du rapport à l’Etat14 . A la suite de Sunstein et Thaler, la psychologie sociale s’intéresse également aux stimuli à travers lesquels les gouvernants influencent les comportements sociaux et les décisions individuelles15 . Cette approche nourrit par ailleurs des travaux récents sur les instruments d’action publique de type informatif, qu’il s’agisse de la réfuter ou d’en explorer les effets politiques16 . En outre, les propositions récentes en termes de “policy mood17 ou encore de “mesure thermostatique18 ouvrent des perspectives nouvelles dans la mesure du rapport entre opinion et action publique.

Des propositions stimulantes ont également été formulées dans des domaines d’action publique spécifiques, comme les politiques sociales, l’éducation et l’analyse de la politique étrangère en Relations Internationales. A titre d’exemple, dans ce dernier domaine, des travaux, essentiellement américains ont montré que les opinions des citoyens à l’égard de la politique étrangère peuvent affecter les gouvernants de trois manières : en jouant un rôle au moment du vote – et ce sous certaines conditions (visibilité de l’enjeu, divergence entre candidats, absence de technicité de l’enjeu notamment19 ) -, en constituant l’un des éléments cognitifs pris en compte par les gouvernants lorsqu’il prennent la décision d’entrer en guerre et de poursuivre ou non certaines opérations militaires20 , et enfin, en raison de la sensibilité des gouvernants aux demandes des citoyens en matière de dépenses militaires21 .

De façon plus générale, de nombreux efforts ont été déployés ces dernières années pour réfléchir à l’articulation entre policy et politics, comme en témoignent les programmes de recherche transversaux de certains laboratoires de recherche en science politique22 . Notre réflexion s’inscrit dans cette perspective de renouvellement des hypothèses de travail sur la relation entre opinion publique et politiques publiques. Il nous semble en effet que ce questionnement rassemble un certain nombre de chercheurs au sein de la discipline, autant qu’il permet de dépasser des cloisonnements sous-disciplinaires, épistémologiques et méthodologiques. Plusieurs pistes nous paraissent ainsi mériter une certaine attention - et seront “creusées” dans le cadre de ce groupe de travail transdisciplinaire. Plus précisément, nous envisageons d’organiser nos réflexions autour de 4 grands axes – que nous distinguons ici, sur le plan analytique, pour plus de clarté, mais que nous entendons faire dialoguer entre eux tout au long de nos réflexions, car il existe une grande circularité entre ces différentes dimensions de la relation entre opinion publique et action publique.

1)    Axe 1 : l’action publique et ses publics. Comment les politiques publiques construisent-elles leurs publics (modèle des policy feedbacks)23  ? De quelle manière ces publics contribuent-ils, sur la longue durée, à influencer la trajectoire de l’action publique à travers des effets d’inertie, des blocages et des résistances (Cf. le fameux “who gets what, when and how” de Laswell) ?

2)    Axe 2 : la dimension symbolique des politiques publiques – le symbolique étant entendu comme mode de déplacement des représentations24  : comment l’action publique, qu’elle soit purement symbolique ou incarnée dans des pratiques concrètes, travaille-t-elle les représentations des citoyens et donc influence-t-elle l’opinion publique ? ; et à l’inverse, comment les opinions, les jugements sont-ils intégrés dans des registres de justification, de légitimation et de labellisation qui structurent l’élaboration et la mise en œuvre de l’action publique ?

3)    Axe 3  : La question de l’évolution des demandes des citoyens – en lien avec la politique de leurs gouvernants - dynamique thermostatique des opinions -, la hiérarchie opérée entre différents enjeux en période de campagne électorale, et les apports d’indicateurs longitudinaux, comme le policy mood, pour rendre compte des changements des opinions en lien avec les ruptures suscitées par certaines politiques publiques (par ex. abolition de la peine de mort, instauration du Pacs).

4)    Axe 4 : la question de la participation politique, comme variable intermédiaire entre les citoyens et l’action publique. Comment, à travers différentes formes de participation politique (mobilisations/contestations, prises de parole profanes, participation institutionnalisée – consultations, commissions, … - etc.), les citoyens parviennent-ils, ou non, à influer la fabrique de l’action publique ?

S’ils sont envisagés séparément dans un premier temps, ces 4 axes n’en sont pas moins parcourus par les mêmes questionnements transversaux qui alimentent toute la réflexion de ce groupe de travail, à savoir : quels sont les enjeux épistémologiques, théoriques et méthodologiques que pose l’analyse des relations entre opinion publique et politiques publiques ? On pense ainsi à la stabilisation de certains concepts et aux enjeux soulevés par leur opérationnalisation (ex. opinion publique), au niveau d’analyse privilégié, au choix des indicateurs, aux méthodes auxquelles on peut avoir recours (quantitative/qualitative, sondages/entretiens, entretiens individuels/collectifs, etc.), ou encore à l’isolement de certaines variables (contexte). Plus précisément, il s’agira aussi de différencier les différents enjeux (épistémologiques ? empiriques ? méthodologiques ?) et de travailler collectivement à la formulation de questions de recherche plus précises25 .

  • 1Wlezien C., Soroka S. “The Relationship between Public Opinion and Policy”, in : Dalton, R., Klingemann H.D., (eds.), The Oxford Handbook of Political Behavior, New York: Oxford University Press, 2007, p.800.
  • 2Canes-Wrone B., Who Leads Whom? Presidents, policy, and the Public, Chicago: the University of Chicago Press, 2006.
  • 3Simeant J., “Opinion publique”, in Nay O. (dir.), Nay (dir.), Lexique de Science politique. Vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2008, p.363.
  • 4Padioleau, J. « De l’opinion publique à la communication politique », in : Padioleau, J., L’opinion publique. Examen critique, nouvelles directions, Paris : Ed. du Mouton, 1981, p.13-60.
  • 5Commaille J., “Sociologie de l’action publique”, Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p.599.
  • 6Duchesne S., Muller P., “Représentations croisées de l'Etat et des citoyens”, dans Favre P., Hayward J., Schemeil Y., Être gouverné - Etudes en l'honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.35-51.
  • 7Soroka S.N., Wlezien C., Degrees of democracy, New York, Cambridge University Press, 2010.
  • 8 Leca J., “L’État entre politics, policies et polity ou peut-on sortir du triangle des Bermudes ?”, Gouvernement et Action publique, n°1, 2012, p.59-82.
  • 9Burstein P., “Bringing the Public Back in: Should Sociologists Consider the Impact of Public Opinion on Public Policy?”, Social Forces, 77(1), 1998, p.27-62 ; Giugni M., “L'impact des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes sur les politiques publiques”, Revue Française de Sociologie, 42(4), 2001, p. 641-668.
  • 10Pour un aperçu, voir : www.comparativeagendas.org
  • 11Sauger N., “Agenda électoral et vote sur enjeux”, dans Cautrès B., Muxel A., Comment les électeurs font-ils leur choix ? Paris, Presses de Sciences Po, p.181-200.
  • 12Engeli I., Varone F., “Governing Morality Issues Through Procedural Policies”, Swiss Political Science Review, 17(3), 2011, p.239-258.
  • 13Froio C., Guinaudeau I., Persico S., "Action publique et partis politiques", Gouvernement et action publique, n°1, 2012, p.11-35.
  • 14Voir les contributions à l’ouvrage Borraz O., Guiraudon V., Politiques publiques 2, Changer la société, Paris, Presses de Sciences Po, 2010 ; en particulier les contributions de V. Dubois et P. Warin.
  • 15 Thaler R.H., Sunstein C.R., Nudge, Yale University Press, 2008.
  • 16John P., Making policy work, London, Routledge, 2011.
  • 17Stimson J., Tides of consent, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; Stimson J., Tiberj V., Thiebaut C., “Au service de l’analyse dynamique des opinions”, Revue Française de Science Politique, 60(5), 2010.
  • 18Soroka S.N., Wlezien C., op.cit.
  • 19Page, B., Brody, R. “Policy Voting and the Electoral Process: The Vietnam War Issue”, American Political Science Review, vol.66 n°3, 1972, p.979-995 ; Aldrich, J., Borgida, E., Sullivan, J., “Foreign Affairs and Issue Voting”, American Political Science Review, 83(1), 1989, p.123-41.
  • 20 Pour une synthèse sur cette question : Oneal, J., Bryan, A. L., “The Rally 'Round the Flag Effects in U.S. Foreign Policy Crises, 1950-1985”, Political Behavior, 17(4), 1995, p.379-401. Voir également plus récemment: Gelpi, C., Feaver, P., Reifler, J., “Success Matters: Casualty Sensitivity and the War in Iraq”, International Security, vol.30 n°3, 2006, p.7-46.
  • 21 Eichenberg, R., Stoll, R., “Representing Defense: Democratic Control of the Defense Budget in the United States and Western Europe”, The Journal of Conflict Resolution, 47(4), 2003, p.399-422.
  • 22On peut penser au tout récent axe de recherche retenu par le LIEPP (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) de Sciences Po, sur « Evaluer la démocratie ».
  • 23Mettler S., Soss J., “The Consequences of Public Policy for Democratic Citizenship”, Perspectives on politics, 2/2004, p. 55-73. Voir également la section thématique n°6 au Congrès de l’AFSP en 2013, organisée par V. van Ingelgom et C. Dupuy sur ce thème.
  • 24 Braud P., L'émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996 ; Favre F., "Les dimensions symboliques du politique. Essai d'un système de propositions et d'hypothèses", in Favre P., Filleule O., Jobard F., L'atelier du politiste, théories, actions, représentations, Paris, La Découverte, 2007, p. 361-363 .
  • 25Belot C., “Gouverner par les sondages ? Nicolas Sarkozy et l’opinion publique”, in : De Maillard, J., Surel, Y., Les politiques publiques sous Sarkozy, Paris : Presses de Sciences Po, p.71-90.