La construction d’enjeux environnementaux par la participation

SALLES Denis et TOPÇU Sezin (2011),
Présentation de l'atelier "La construction d’enjeux environnementaux par la participation"
lors de la seconde journée doctorale sur la participation du public et la démocratie participative,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, 18 octobre 2011.

 

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 Présentation

 

La participation du public est devenue, depuis les années 1990, une composante intégrale des politiques environnementales  dans la plupart des pays occidentaux. Cet atelier a visé à mieux comprendre la fabrique d’enjeux environnementaux par la participation, en confrontant des études de cas très différentes les unes des autres, de par leur terrain d’analyse, leur méthode de travail, et leurs résultats. La première partie de l’atelier a été consacrée à des cas de mobilisations et de prise de parole, qu’on peut qualifier d’autonomes. La seconde partie a porté sur des formes davantage instituées de la participation.

 

Le travail de Jone Martinez Palacios (« Participation citoyenne aux conflits socioenvironnementaux : effets sur la triple crise dans la démocratie ») part du constat de ce que l’auteure appelle une « triple crise » dans la démocratie, en référence à des auteurs tels que Gauchet, Held et Bobbio. Il aborde un grand nombre de conflits environnementaux (incinérateurs, décharges, TGV, ports) surgis dans deux contextes (Pays Basque et Catalogne). En s’appuyant sur une étude transversale de ces différents cas, Palacios s’intéresse à la fois aux effets sur les décisions publiques des mobilisations sociales, et à la manière dont ces dernières sont à leur tour transformées par des expériences participatives et de prise de parole. Chacun des cas ici étudiés est très riche d’enseignements. Au Pays Basque, comme en Catalogne, ce qui frappe en premier lieu, c’est l’effet – incontestable- des mobilisations sociales sur le devenir des projets controversés. Les structures d’opportunité politique, au sens d’H. Kitschelt, s’avèrent très ouvertes dans ces contextes-là. Dans la moitié des cas étudiés, les opposants ou les riverains sont les gagnants de l’histoire et les projets sont abandonnés (cf. l’incinérateur d’Urnieta, le TGV d’Atxondo, l’usine d’ecofuel d’Asparrena pour le Pays-Basque ; l’incinérateur de Montcada i Reixac pour la Catalogne). La mise en place des consultations publiques semble également aller de soi la plupart du temps, même s’il peut arriver que les gouvernants contournent les résultats de ces consultations. Par ailleurs, la capacité des acteurs contestataires à conquérir le pouvoir politique s’avère non-négligeable. Les collectifs locaux se transforment facilement en partis politiques, pour ensuite battre les pouvoirs en place, ce qui apparaît déterminant dans l’abandon de nombre de projets contestés. Il ne s’agit donc pas seulement de faire pression auprès des dirigeants et des élus, il s’agit carrément de s’emparer du pouvoir. 

 

Consuelo Biskupovic et Barbara Morales (« Considérations sur l’action collective et la participation des associations dans la défense de l’environnement au Chili ») proposent, quant à elles, un autre type d’analyse relative aux conflits environnementaux, spécifiques cette fois au Chili. Ici la focale est beaucoup moins étendue que dans la première étude. L’approche est microanalytique et une montée en généralité n’est pas forcément préconisée. Les groupes environnementaux qui font l’objet de ce travail (« Action pour les cygnes » dans le Sud (à Valdivia) et « Réseau citoyen pour la défense de la Précordillière » à Santiago) sont tous les deux des collectifs locaux ;  tous les deux émergent dans un contexte de mise en cause d’un Etat considéré non seulement technocratique mais également de plus en plus tourné (à partir des années 1990) vers le capitalisme mondialisé, et ce au détriment de l’environnement. Des projets très précis seront à l’origine de la mise en place des deux collectifs faisant l’objet de l’analyse. L’Action pour les cygnes milite en particulier contre une usine de cellulose, alors que le « Réseau » lutte contre l’expansion de la ville afin d’empêcher la disparition de la dernière forêt autochtone. Contrairement aux cas traités par Jone Martinez Palacios, il s’avère que les groupes contestataires chiliens n’ont que peu d’accès aux processus décisionnels. Biskupovic et Morales ont ainsi fait le choix de comprendre plutôt, sur un plan interactionniste, la mise en œuvre d’un ensemble de répertoires d’action destinés à contourner la technocratie et à forcer les limites de la participation. Le suivi systématique d’un éventail de formes d’action offre ici la possibilité de voir par exemple comment certains moyens sont progressivement épuisés, à l’instar des recours juridiques, qui n’apportent pas de résultats attendus au bout de dix ans de lutte contre le projet de l’expansion de la ville.  Mais les gains ne sont pas non plus nuls. A titre d’exemple, l’Action pour les cygnes parviendra à faire modifier la loi sur l’environnement au Chili.

 

Le  travail  de  Maïmouna  Traoré (« Analyse de la participation citoyenne autour de la gestion des déchets dans la ville de Ouagadougou ») traite du problème des déchets ménagers et urbains que l’Etat burkinabé tente de gérer sur un mode participatif, sans pour autant parvenir à mobiliser le public. On a affaire à un problème, à un encombrement bien physique, visible et cumulatif, qui apparaît paradoxalement comme un frein à  la participation citoyenne. Le papier s’intéresse à la manière dont ce problème parvient à définir et à restructurer les relations sociales, les identités sociales et les formes de citoyenneté dans la ville d’Ougadougou. A partir du moment où la responsabilisation (préalable) des individus est de mise dans la solution proposée par les gouvernants, les déchets (ménagers et urbains) deviennent l’objet d’une forte tension dans le partage des responsabilités entre Etat et individus. Alors que pour les responsables politiques, la prise en main du problème par les habitants va de soi, voire constitue un signe principal de « civilité », les « habitants » font de ce que Traoré appelle la « salissure volontaire » une forme de désobéissance civile. La participation du public à la cogestion de ce problème, y compris à travers la mise en place d’un dispositif de pollueur-payeur, est rejetée notamment parce qu’elle est considérée comme une forme de désengagement de l’Etat et des collectivités locales vis-à-vis de ce qui relevait pourtant - traditionnellement - de leur rôle. Elle est également dénoncée comme une manière de délaisser, d’endetter et de stigmatiser (en tant que sales, irresponsables, et franchement pas civilisées) les populations les plus défavorisées, les plus démunies (financièrement). Ce processus de fabrique de « bon » citoyen, à travers ce qu’on peut qualifier de « responsabilisation civilisatrice », apparaît ainsi comme étant en soi une source de conflit, et de ce fait voué à l’échec.

 

Enfin, le travail de Clément Poutot (« Traitement social de l’encombrement : co-construction à partir du Théâtre Législatif »), constitue un chantier innovant destiné à la mise en pratique de l'idéal participatif dans le domaine de la gestion des déchets. Contrairement aux autres études, ce travail de recherche-action, de par sa nature, pose la question de la place qu’occupent les sciences sociales dans le tournant participatif, celle des méthodes et outils qu’elles développent, ainsi que celle de la pertinence même de ces outils, de leur potentiel à opérer ou non de changements, à recevoir ou non de l’adhésion des publics participants. Le théâtre législatif apparaît dans ce cadre comme un dispositif particulièrement innovant, mais encore faut-il pouvoir gérer la tension intrinsèque à toute recherche de ce type, à savoir : dans quelle mesure est-il possible de faire de ce dispositif un objet d’étude suffisamment distancié ? comment faire exister le dispositif dans le monde réel sans que les hypothèses (de travail) de départ ne déterminent, au préalable, sa trajectoire ? Ces enjeux ne doivent pas conduire pour autant à un rejet de toute posture normative, au contraire, la normativité dans ce cadre-là est indispensable. Elle doit cependant passer par des épreuves multiples. Il s’agit en premier lieu de rester vigilant vis-à-vis de tout type d’enjeux qui nuiraient au bon déroulement du dispositif et à sa crédibilité, et là-dessus le choix de l’auteur de partir d’un plan départemental d’élimination des déchets qui n’est pas encore acté et qui propose donc plusieurs voies d’existence pour le projet en question, paraît tout à fait pertinent. Il doit s’agir également de laisser les différentes identités se déployer, se négocier et se redéfinir au sein d’un dispositif de ce type, au lieu d’assigner d’emblée des identités aux futurs participants. Dans ce cadre, les deux catégories retenues lors de la phase exploratoire de l’étude, celles de « citoyen en transition écologique » et de « citoyen ordinaire », sont à manipuler avec de la précaution. L’enquête de terrain, une fois finalisée, permettra entre autres de vérifier leur pertinence.

 

 

 

 Actes du Premier Congrès du GIS Démocratie & Participation