Les enjeux de l’institutionnalisation de la "participation communale" en Bolivie

          SIRON Thomas (2009), "Les enjeux de l’institutionnalisation de la "participation communale" en Bolivie", communication aux premières journées doctorales sur la participation du public et la démocratie participative, Ecole Normale Supérieure de Lyon, 27-28 novembre 2009.

 


 

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Extrait de l'article

  Introduction   Depuis l’an 2000, la Bolivie est le théâtre d’un scénario de renversement du pouvoir qui à force d’être joué et déclaré a fini par prendre quelque réalité. Un cycle cumulatif de mobilisations sociales contre des gouvernements de droite, ayant conduit à la déclaration de d’états de siège et à la chute de gouvernements, déboucha en décembre 2005 sur l’élection à la présidence de la République de l’un des principaux leaders paysans. Evo Morales arrivait au pouvoir avec un double mandat issu des luttes sociales antérieures : « nationaliser les hydrocarbures » et convoquer une Assemblée Constituante « refondatrice ». La nouvelle Constitution adoptée en janvier 2009 convertit la République bolivienne en un « Etat Unitaire Social de Droit Plurinational Communautaire ». La genèse et le déroulement de la Constituante la font apparaître comme une forme d’institutionnalisation de l’ample mouvement social paysan et indigène qui s’est organisé à partir des années 80. Les revendications et les mots d’ordre de ce mouvement, qui bénéficiait du soutien très actif d’ONG militantes, devinrent centrales sur l’agenda politique populaire qui émergeait dans les années 90. De revendication encore marginale en 2002, quand elle fut introduite sur la scène politique par une marche indigène, l’Assemblée Constituante s’imposa comme la seule voie de sortie de crise possible après la chute du gouvernement Sanchez de Lozada en 2003, provoquée par son projet d’exportation de gaz aux Etats-Unis. La Constituante était pour les indigènes le moyen de conquérir des droits collectifs (dont le principe était par ailleurs déjà reconnu par la Constitution en vigueur à la suite de la réforme de 1994), à commencer par la reconnaissance et la restitution de territoires spoliés, parfois depuis des lustres, ou menacés par le grignotage constant et souvent violent de l’exploitation forestière, minière et agricole. Elle devenait pour le peuple pauvre des villes le moyen d’opposer au modèle néolibéral qui risquait de le priver de l’accès à des ressources vitales la priorité de son droit de subsistance. Dans les deux cas, ce que la Constituante était chargée de défendre face aux intérêts privés, c’est la « communauté », des biens, des intérêts et des identités. L’Etat communautaire est en ce sens la déclaration d’une autorité publique mise au service de la communauté contre ce qui la menace, et proposant la communauté comme une alternative institutionnelle dans l’organisation de la distribution des biens (les « droits à ») et des pouvoirs (les « droits de »).
En se démarquant à la fois de l’angélisation de la « démocratie communautaire » et de la satanisation de la « dictature corporatiste » ou du « communautarisme », il s’agit de prendre au sérieux, et de confronter, les discours sur la communauté et les expériences pratiques de la communauté. Je voudrais esquisser dans cette présentation une approche compréhensive de la notion de communauté telle qu’elle apparaît dans le processus bolivien. La communauté y est présentée comme le versant institutionnel d’une économie morale s’affirmant politiquement par la mobilisation sociale contre des mesures gouvernementales condamnées comme abusives et se concrétisant socialement dans le partage (accès collectif et redistribution) de ressources considérées comme vitales. Je vais revenir dans un premier point sur les circonstances et les formes de l’affirmation de la communauté comme discours politique, avant de rendre compte dans un second point de l’expérience concrète de la communauté en Bolivie à partir d’un cas particulier.    

Plan de l'article

  La communauté en parole ou l’économie morale du peuple
  • La moralité de l’échange
    - La notion de "juste prix"
    - La qualité morale des parties de l’échange
  • Le rôle vecteur de la loi
La communauté en action ou le partage de la "base"   Conclusion