Mobiliser et militer sur Internet. Reconfigurations des stratégies partisanes et du militantisme au Parti Socialiste et à l’Union pour un Mouvement Populaire

THEVIOT Anaïs, Mobiliser et militer sur Internet. Reconfigurations des stratégies partisanes et du militantisme au Parti Socialiste et à l’Union pour un Mouvement Populaire, thèse pour le doctorat en science politique, Institut d’études politiques de Bordeaux, 2014

 

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Résumé

La campagne pour l’élection présidentielle de 2012 a été marquée par le rôle majeur joué par les réseaux sociaux - tels que Facebook ou Twitter – pour s’informer, débattre en ligne, organiser l’action militante sur le terrain. L’ambition de cette thèse est de contribuer aux réflexions sur les transformations des partis politiques, sur les évolutions des campagnes électorales et du militantisme à l’aune du numérique. Notre enquête porte plus précisément sur l’usage du web par deux partis politiques concurrents, le Parti Socialiste (PS) et l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), dans trois Fédérations, pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Dans une approche « par le haut », notre travail analyse les stratégies numériques élaborées au sein des équipes de campagne et les trajectoires de ses membres ; et dans une approche « par le bas », l’usage du web par les adhérents du PS et de l’UMP pendant la campagne pour l’élection présidentielle française de 2012. Cette thèse souligne la difficulté pour les partis politiques à prendre en compte les potentialités du web 2.0 en confrontant discours et stratégies numériques ; tout en repérant l’implication d’une communauté militante (limitée) en ligne s’emparant du web pour « braconner ». Longtemps délaissé des études en science politique, l’objet de recherche « web » demeure encore relativement marginalisé. Cet objet d’étude s’insère pourtant parfaitement dans les questionnements actuels des recherches sur les partis politiques et permet de contribuer au débat autour des évolutions du militantisme et de la participation citoyenne.

Le numérique change-t-il les manières de faire campagne ? L’usage intense du web lors d’échéances électorales introduit-il des pratiques « innovantes » pour mobiliser les électeurs et militer ?


Apport empirique et méthodologique

Répondre à ces interrogations a imposé d’abord un parti pris méthodologique : donner une densité sociologique au numérique. L’analyse des profils sociodémographiques et des carrières des web-stratèges et des cyber-militants s’inscrit dans cette démarche. En étudiant le numérique par l’analyse des dispositifs, les travaux précédents ont eu tendance à laisser de côté les acteurs. Rares sont ceux qui proposent de dépasser l’interface, d’aller au-delà des traces numériques pour analyser les stratégies partisanes en ligne. Se centrer sur l’outil fait courir au chercheur le risque d'une mauvaise interprétation des usages en ne les reliant pas à leurs dimensions sociales et politiques. Dans notre travail, la focale s’est donc portée sur les acteurs de la web politique et notre démonstration s’appuie ainsi sur : - l’analyse de quatre-vingt-quatorze entretiens semi-directifs avec les cadres et les adhérents du PS et de l’UMP ; - le travail effectué sur les carnets de terrain suite à notre observation participante au sein de l’équipe web du PS à Solferino pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2012 ; - l’analyse quantitative des 1 000 réponses au questionnaire diffusé à la fois hors ligne et en ligne auprès des adhérents du PS et de l’UMP ; - l’analyse du design des sites de campagne des candidats et des conversations tenues sur les comptes Facebook de nos 4 500 « amis-enquêtés » adhérents au PS et à l’UMP via la netnographie (ou ethnographie en ligne).

Cette richesse empirique a été rendue possible grâce à une exploration méthodologique, en testant notamment les possibilités offertes par le web. Au cours de ce travail doctoral, la passation du questionnaire auprès des adhérents du PS et de l’UMP a été optimisée dès lors que celui-ci a été diffusé sur Facebook. Cela a permis de cibler l’échantillon et de toucher individuellement les possibles répondants de façon massive. Cette technique de diffusion a permis d’élaborer un protocole d’enquête qui pourra d’ailleurs être mobilisé par d’autres chercheurs par la suite. La thèse propose ainsi des pistes de réflexions sur les spécificités (ou non) méthodologiques des terrains de la web politique.
 

Apport théorique

Ce travail méthodologique et empirique fouillé a permis de travailler, à nouveau frais, certains modèles théoriques centraux de la science politique, notamment la cartellisation des partis et les rétributions du militantisme et de questionner la « nouveauté ».

La capacité présumée d’Internet à revitaliser la démocratie en favorisant la participation politique est encore aujourd’hui abordée, par de nombreux chercheurs, sur le mode de l’évidence. L’analyse académique « à chaud » du « printemps arabe » atteste de la fascination suscitée par la web politique. Certains n’ont pas hésité à parler de « révolution Facebook » ou « révolution Twitter », faisant de l’essor des réseaux sociaux, la cause principale du déclenchement de mouvements contestataires. D’autres, au contraire, ont affirmé qu’Internet n’avait joué aucun rôle. Ces conclusions caricaturales soulignent la nécessité de déconstruire certains présupposés qui entourent le numérique. Ce sont généralement les acteurs eux-mêmes qui parlent d’innovations, de changements, de nouveautés et le chercheur se doit d’analyser ces croyances, d’en examiner la dimension rhétorique - voire injonctive -, sans pour autant prendre comme présupposé que le champ sémantique du « nouveau » n’existe pas. Porter le regard sur les rhétoriques d’innovation, leur circulation et leur efficience forme la colonne vertébrale de cette thèse.

On aurait pu croire que le recours au numérique serait synonyme d’un désinvestissement des modalités d’engagement qui ont caractérisé le militantisme partisan depuis la fin du XIXe siècle, mais ce n’est pas forcément le cas. Au contraire, notre travail a montré que les « cybermilitants » sont souvent aussi ceux qui militent sur le terrain (collage d’affiche, etc.). Les discours autour de « nouvelles » formes de militantisme contribuent à opposer « ancien » et « nouveau » modèles de participation politique, sans pour autant que l’observation ethnographique et l’analyse quantitative des pratiques militantes ne confirment cette dichotomie. La montée en puissance du numérique est indissociable de luttes symboliques et politiques, contribuant à légitimer certains promoteurs de ces prétendues nouvelles formes d’engagement. Le numérique n’est finalement qu’une composante d’une rhétorique modernisatrice plus large.

Le discours sur la nouveauté participe de luttes symboliques, mais dans le même temps les partis sont engagés dans une dynamique de changement et gagnés par des logiques managériales (qui ne relèvent plus alors de la rhétorique). Bien que l’analyse ne conclut pas à une reconfiguration des instances partisanes sous l’effet du numérique, elle confirme des tendances latentes fortes, telles que la diffusion d’un modèle entrepreneurial caractérisée notamment par la professionnalisation des équipes de campagne, la rationalisation électorale, mais aussi l’imbrication entre les secteurs de la communication privée marketing et les partis politiques. Nos résultats remettent en cause un des principes communs à l’ensemble des grilles d’analyse sur la mutation des partis politiques : l’effacement des cultures partisanes. Au contraire, en période de campagne, ces cultures propres à chaque parti sont fortement mobilisées, même si elles paraissent bien souvent mythifiées, caricaturées, voire radicalisées.

Thèse soutenue au Centre Émile Durkheim à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, le 10 octobre 2014, devant le jury :

Membres du Jury :

  • M. Didier DEMAZIÈRE, Directeur de recherche, Sciences po Paris
  • Mme Florence HAEGEL, Directrice de recherche, Sciences po Paris, rapporteure
  • M. Rémi LEFEBVRE, Professeur, Université Lille-2
  • Mme Caroline OLLIVIER-YANIV, Professeure, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, rapporteure
  • M. Antoine ROGER, Professeur, Sciences Po Bordeaux, directeur de thèse
  • M. Pierre SADRAN, Professeur émérite, Sciences po Bordeaux, président du jury