Mesurer, percevoir et délibérer sur la qualité de l’air au XXe et XXIe siècle

Quand l’air est mis à l’épreuve : mesurer, percevoir et délibérer sur la qualité de l’air au XXe et XXIe siècle

 

Le colloque se tiendra à Lyon les 22 et 23 Novembre 2012.

Les propositions de communication d’une page maximum sont à envoyer à Florian Charvolin (florian.charvolin@gmail.com) avant le 15 mars 2012.

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Appel à communication

En préambule à l’appel à communication, il convient de mentionner qu’il prend pour cadre un contrat de recherche financé par le programme Concertation, décision environnement du Ministère français de l'écologie et du développement durable.  Il s’indexe ainsi globalement à la question de la concertation et de la participation des citoyens, en se focalisant plus précisément sur le problème de la pollution de l’air. Une communauté de recherche a émergé récemment sur la question de la démocratie participative ou délibérative et le présent appel à communication s’inscrit dans le cadre de cette communauté en y apportant un infléchissement sur deux points majeurs.

Premièrement le thème du colloque porte sur un temps historique – le cours du XXe siècle – couplant des formes de concertation sur la pollution de l’air qui existaient bien avant l’émergence de la catégorie de « concertation  publique », et des manifestations qui appartiennent à l’ingénierie de la participation telle qu’elle a émergé depuis les années 1990. De ce fait le colloque s’intéressera à ce que Laurent Mermet appelle des formes « sauvages » de concertation (Mermet 2007)  aussi bien que des formes « d’élevage » plus institutionnelles et labellisées comme telles. Deuxièmement, cet appel à communication vise des approches de la concertation qui font grand cas de la production de connaissances. On s’est en effet aperçu récemment que la sociologie des mobilisations collectives, comme peuvent l’être les dispositifs et initiatives visées ici, avait peu étudié la manière dont les personnes prouvent ce qu’elles ressentent, par exemple les odeurs, et se justifient devant autrui, pour ne pas dire devant les institutions. Le colloque sera donc sensible au travail de la preuve lié à la concertation (Akrich et a l. 2010), et donc à la métrologie de la pollution atmosphérique.  

La pollution atmosphérique a été décrite comme une perturbation de l’ordre ou de la jouissance par la population d’un bien comme la santé. À ce titre elle est particulièrement sensible à la plainte et à la mobilisation collective, à l’intervention hygiéniste dans les affaires qui peuvent éventuellement se déployer ici ou là,  ainsi qu’à un pilotage industriel ou domestique raisonné des foyers de pollution atmosphérique. C’est donc un sujet où s’agencent des subjectivités, des ressentis, des évocations ou des affections (au sens aussi médical du terme) et des objectivités, des indices, des statistiques, etc. Notre colloque articulera plusieurs séries de questions. Les communications peuvent les aborder ensemble ou bien n'en explorer qu’une.

Les historiens des sciences ont récemment montré l’existence d’au moins un régime d’objectivité alternatif à l’objectivité mécaniste hégémonique de la science physique dans le monde académique et dans les schémas de pensée ordinaires sur le monde. Ce régime qui revient en force est celui de « l’observation » (Daston et Lunbeck 2011), au sens où l’échelle des moyens engagés pour faire preuve se restreint à celle de l’homme, et où cette taille humaine de l’extraction de données table sur le grand nombre de personnes mobilisées et la statistique pour éliminer toute trace de subjectivité. Bien évidemment, la question de la pollution de l’air est l’objet d’un tel investissement où la variable humaine est nécessaire à la composition d’une métrologie des pollutions – qu’on pense aux odeurs ou aux fumées.  Le colloque cherchera à ouvrir des pistes de prise en compte de cette « épistémologie » de l’observation comme mode d’objectivation plus ou moins alternatif, plus ou moins controversé, de prise en compte de la qualité de l’air ?

De ce point de vue également on peut se demander, selon les époques considérées, la part de recours à l’observation humaine, comme par exemple à l’acuité visuelle, pour mesurer la pollution atmosphérique, par rapport au recours à des machines. On a ainsi pu démontrer l’existence d’une longue période historique d’usage de jugements de l’opacité des fumées basées sur le visuel uniquement (cas de l'échelle de Ringelmann étudié par  Uekotter 2005). On sera donc sensible dans le colloque à l’évolution de la métrologie de la qualité de l’air selon les périodes et selon les pays ou régions.

Dès lors il devient important de réintroduire la population dans ces métrologies et d'interroger la plus ou moins grande maîtrise ou compréhension par elle des mesures proposées par les techniciens, les ingénieurs et plus récemment les scientifiques. On sera donc attentif à l’association de la population à  la mesure, d’abord historiquement dans les années de la belle époque jusqu’aux années 50, et plus récemment avec l’instauration de « vigies » populaires pour les odeurs par exemple. Y a-t-il par le passé des exemples proches des vigies telles que celles montées en dispositifs récemment ? Existe-t-il des formes « sauvages » et auto-promues de collectifs de personnes (habitants, riverains etc.) qui mesurent la qualité de l’air et systématisent leur savoir profane ?

Cela ouvre sur une autre dimension de l’importance de la population et des formes prototypiques de concertation : de plus en plus la population est à la fois co-constructrice de la mesure et du ressenti de la pollution, et victime à destination de laquelle s’adresse la politique et la gestion des pollutions de l’air. De ce point de vue, le colloque sera sensible aux répertoires utilisés par la population pour attester de son ressenti voire d’atteintes à la santé (asthme, irritation etc.). Existe-t-il des exemples flagrants ou des régularités démontrables sur plusieurs cas, de recours aux huissiers, de pétitions, de constitution de groupes de pression, de dépôt de plaintes collectives, de création de stations de mesures alternatives, etc., relatives à la qualité de l’air ?

On parle ici de sciences militantes ou de militantisme fondé sur des attestations cognitives évoluées et travaillées, voire collectivisées et comparées. Autrement dit, il s’agit de s’interroger sur la production entremêlée de causes de mobilisation et de métrologie de la pollution. On pourra se demander alors s’il n’y a pas une géographie à faire de formats locaux de mobilisation et de production de savoir, voire d’usage de métrologies adéquates, qui représentent des poches de concertation sauvage qui ont existé dans l’histoire du Xxe siècle sans pour autant être connues et répertoriées. Le colloque sera sensible à des études de cas sur des scénarios locaux socio-cognitifs de prise en compte de la pollution de l’air. Pareillement, on peut se demander si les entreprises qui fabriquent la métrologie de la qualité de l’air, telles que la récente start-up Odometrics en Belgique, n’ont pas joué un rôle dans la flambée de telle ou telle localité, ou bien dans une branche industrielle par exemple, grâce à la circulation de l’information sur les techniques de mesure dans les congrès, le bouche à oreille, etc., qui touchent notamment les ingénieurs et les techniciens municipaux ou d’autres acteurs administratifs.

Enfin il apparaît que l’évolution récente des mesures de la qualité de l’air, aille dans le sens d’un décuplement et d’une mise en réseau généralisée au niveau national avec les associations agréées de la surveillance de la qualité de l’air, et avec des Plans santé et environnement, entre autres , qui généralisent l’information sur la mesure. On peut se demander si l’information n’est pas gérée comme une technique de gouvernement pour assurer l’apathie, ou de s’assurer l’appui de leaders d’opinions locaux pour occulter telle ou telle pollution ou toxicité, et donc amener à éteindre les plaintes plutôt que d’en explorer les motifs et les justifications. Comme il a été dit du décret de 1810 (Massard-Guilbaud, 2010 ; Le Roux, 2011), est-ce que les récentes évolutions ne cherchent pas à dédouaner les industriels ou les agriculteurs ou d’autres acteurs de toute menace d’action en justice, plutôt qu’elles ne cherchent à contraindre les dispositifs polluants à s’amender.

 

Bibliographie

Akrich, M., Y. Barthe, et al., Eds. (2010). Sur la piste environnementale. Paris, Presses de l'Ecole des Mines.

Daston, L. and E. Lunbeck, Eds. (2011). Histories of Scientific Observation. Chicago, University of Chicago Press.

Le Roux, T. (2011). Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-1830. Paris, Albin Michel.

Massard-Guilbaud, G. (2010). Histoire de la pollution industrielle. Paris, Presses de l'EHESS.

Mermet, L. (2007). Epilogue. Débattre sans savoir pourquoi : la polychrésie du débat public appelle le pluralisme théorique de la part des chercheurs. Le débat public: une expérience de démocratie participative. M. Revel and e. al. Paris, La Découverte: 368-380.

Uekotter, F. (2005). "The strange career of the ringelmann smoke chart." Environmental Monitoring and Assessment 106: 11-26.

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