Les lauréat·es du prix de thèse 2023

Désignation des trois lauréat·es de la quatrième édition (2023) du Prix de thèse de la CNDP en partenariat avec le Gis Démocratie et Participation

 

Le jury s'est réuni fin février 2023 pour la première sélection parmi les 19 candidat·e·s au prix de thèse. 7 thèses ont été présélectionnées qui ont fait l’objet d’un examen détaillé par deux rapporteur·e·s, l’un membre du jury, l’autre externe au Gis.

Le jury a conclu sa délibération en considérant que, compte tenu de la diversité des thèses dans leurs objets, leurs démarches, leurs terrains et leurs attaches disciplinaires, et des différences de points de vue dans le jury, il convenait de valoriser cette diversité en accordant trois prix, pour donner tout son sens au prix de thèse sur les expérimentations démocratiques, la participation du public et la démocratie participative comme cela avait été le cas lors des précédentes éditions.

Premier Prix 

Benjamin Leclercq, thèse en sociologie, sous la direction d'Agnès Deboulet : Le marché du vivre ensemble. Entre professionnalisation de l’intermédiation bailleurs-locataires et pacification des conflits dans les grands ensembles HLM. Université Paris 8. (soutenue en 2021)

Résumé :

À partir d’une enquête en immersion chez un prestataire pour des organismes HLM, cette thèse analyse comment le traitement des troubles résidentiels dans le parc social a généré un marché pour une nébuleuse d’associations et de bureaux d’études spécialisés en ingénierie sociale et urbaine. Face à des désordres résidentiels qui mettent à l’épreuve les modes de gestion et de cohabitation dans les grands ensembles, un groupe professionnel segmenté – les acteurs du « développement social urbain » (DSU) – tente de légitimer son expertise, en revendiquant une double capacité d’intermédiation entre bailleurs et locataires et de mobilisation des « invisibles » et autres « exclus » de l’espace public. Mais le processus de professionnalisation de ces intervenants se heurte néanmoins aux préoccupations patrimoniales et gestionnaires des organismes HLM, qui sont les commanditaires de leurs actions. Cette subordination entraîne des tensions identitaires pour les acteurs, tiraillés entre une rationalité gestionnaire portée par le monde HLM, et les objectifs de développement social poursuivis par la politique de la ville. Les professionnels du DSU internes aux bailleurs gèrent cette épreuve de positionnement en sous-traitant les relations de face-à-face avec les résidents à des prestataires, parvenus à monétiser le travail de « terrain » au prix d’une standardisation de leurs prestations.

Considérant les troubles résidentiels comme une manifestation de problèmes sociaux structurels interpellant l’ensemble de la société, ce travail met en évidence comment les dynamiques d’institutionnalisation et de marchandisation du DSU entretiennent une logique de (dé)responsabilisation en « cascade », qui se décline en une injonction à la civilité : face à des problèmes sociaux et résidentiels dont les habitants et les agents de proximité sont in fine rendus responsables, ces acteurs n’auraient alors d’autres issues que de se responsabiliser et de faire l’apprentissage du vivre ensemble.

 

Deuxième Prix 

Lionel Cordier, thèse en sciences politiques, sous la direction de Nathalie Dompnier et d'Irma Erlingsdotir : Crise démocratique et mutations contemporaines de la représentation politique : l'exemple islandais, 2008-2017. Université Lumière Lyon II / Université d'Islande. (soutenue en 2020)

Résumé : 

Cette thèse entend définir et travailler autour du concept de crise démocratique grâce à l'exemple de la crise politique qu'a traversée l'Islande après 2008. Elle interroge les spécificités du cas islandais pour progressivement, notamment par l'exercice de la comparaison, aller vers ses dimensions qui apparaissent les plus propices à des lectures systémiques et permettent de qualifier la crise islandaise de crise démocratique. Elle interroge dans un premier temps l'idée d'une exceptionnalité islandaise ainsi que les représentations du pays à l'international à travers le concept de boréalisme. Elle revient ensuite sur les conséquences et les responsabilités politiques de la crise financière et économique de 2008. Elle s'applique ensuite à comprendre précisément le processus participatif de réécriture de la constitution organisé après-coup en expliquant les raisons de son échec. Elle dégage par la suite les éléments permettant une comparaison internationale tels que les liens entre les manifestations insulaires de 2008-2009 et les mobilisations globales de 2010-2011, l'apparition du parti pirate dans le contexte des mutations partisanes du monde occidental, ainsi que l'évolution du rapport du public islandais à la représentation politique.

 

Troisième Prix

Anna Khalonina, thèse en sciences du langage, sous la direction de Patricia von Münchow : Le conflit conceptuel comme espace de négociation du dicible. Dire la citoyenneté mondiale dans le débat public britannique dans le contexte du Brexit. Université Paris Cité (EDA) et Université Sorbonne Nouvelle. (soutenue en 2022)

Résumé : 

Ma thèse en analyse du discours française explore la notion de « statut » des discours dans l’espace public, en tentant de déterminer le statut des discours cosmopolitiques (Beck 2006) dans l’espace politico-médiatique britannique de la période du Brexit. Pour ce faire, je procède à l’analyse de la construction médiatique d’un conflit conceptuel sur la notion de « (global) citizenship » qui a eu lieu à l’occasion d’un discours de la Première ministre de l’époque, Theresa May, qu’elle a tenu en octobre 2016.

Je base mes questionnements et hypothèses sur la conception du discours public comme terrain de « lutte conceptuelle » où les participants (citoyens, journalistes, personnalités politiques, etc.) négocient le sens et l’usage des concepts importants pour la société à un moment de son histoire (Krzyżanowski 2016, Stråth & Wodak 2009). Ces conflits, qui problématisent des mots et des pratiques discursives en tant que tels (Calabrese et Veniard 2018, Husson 2018), sont appréhendés en tant que moments de vérification, d’interrogation et sans doute d’évolution du rapport des discours présents dans l’espace public d’une communauté à ce qui régit, contrôle et détermine la production discursive de ladite communauté, c’est-à-dire aux règles du dicible (Haroche, Henry et Pêcheux 1971).

On constate que les discours d’inspiration cosmopolitique sont une ressource disponible pour redéfinir la citoyenneté dans une perspective transnationale, notamment face aux nationalismes en train de se « normaliser » sur la scène publique. Les discours concevant la possibilité d’une citoyenneté mondiale sont déployés à la fois avec une certaine facilité (de quoi témoigne la routinisation discursive de certains motifs, notamment) et nécessitent des précautions de la part des locuteurs, ce qui témoigne de leur moindre évidence face à la persistance de l’imaginaire national de la citoyenneté.