Le politique des centres sociaux [Participations 2023/1 n°35]

Pliés-dépliés

Editorial : Quels espaces communs pour les recherches sur la démocratie et la participation ?

par Guillaume Petit

Saisir le politique des centres sociaux. Formes de participation et de pouvoir d’agir dans des espaces délaissés par les sciences sociales

par Héloïse Nez, Catherine Neveu, et Julie Garnier

Où se situent les centres sociaux ? Une histoire entre action sociale et éducation populaire

par Jérémy Louis

Cet article aborde la manière dont les centres sociaux et la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France définissent et mettent en place leurs objectifs politiques à travers leur histoire. Il donne à voir les référentiels dans lesquels s’inscrivent les salarié·es et bénévoles de ce réseau. Il donne ainsi une profondeur historique à ce que l’on envisage dans ce dossier comme le « politique des centres sociaux ». L’analyse croise les représentations des centres sociaux qui circulent au travers de leur histoire avec une approche sociohistorique des conditions d’activité de ces structures. Trois périodes sont ainsi étudiées : les premières résidences sociales au tournant du XXe siècle, l’inscription dans une politique nationale d’animation socioculturelle dans les années 1960-1970, et le passage à la logique de projet depuis les années 1980. En définitive, l’article rend compte d’une action située entre action sociale et éducation populaire avec des objectifs centrés sur la promotion de la paix sociale et la création de formes de solidarités locales. Néanmoins, ces référentiels dominants au sein du réseau entrent en tension avec des discours et des pratiques qui positionnent les centres sociaux comme acteurs de démocratie, notamment depuis les années 2000.

Les représentations de la citoyenneté dans les centres sociaux, une « épistémologie civique » en tension avec le « développement du pouvoir d’agir » ?

par Catherine Neveu

De nombreux travaux sociologiques ont analysé les formes « d’évitement du politique » dans le monde associatif. S’il s’intéresse globalement à des problématiques similaires, cet article aborde les enjeux politiques dans ces espaces à partir d’un autre angle d’analyse : celui d’une approche anthropologique des processus de citoyenneté. Il s’attachera donc dans un premier temps, à partir d’une enquête multisituée et de longue durée, à décrire et analyser le régime dominant de citoyenneté dans le réseau des centres sociaux, ce qu’on pourrait définir comme une « épistémologie civique » spécifique. L’introduction, au début des années 2010, de la visée de « développement du pouvoir des habitants » est venue au moins en partie révéler ce régime dominant, mais le plus souvent implicite, de citoyenneté. En saisissant comment cette visée entre en tension avec cette « épistémologie civique » stabilisée, on peut mieux comprendre pourquoi et comment (et c’est l’objet de la seconde partie de l’article) certaines dimensions de ce « pouvoir d’agir » ont fait l’objet d’appropriations locales assez aisées, alors que d’autres se confrontent à plus de résistance.

Entre refus, évitement et expression du politique dans les centres sociaux en France. Une enquête ethnographique dans une petite ville en milieu rural

par Héloïse Nez

Cet article cherche à comprendre les raisons d’une mise à distance du politique dans les centres sociaux en France, en analysant les obstacles et les conditions d’expression du politique en leur sein. L’analyse s’appuie sur une enquête ethnographique menée pendant deux ans dans un centre social associatif à Chinon, une petite ville de l’Indre-et-Loire située en milieu rural. Nous montrons, à la suite de Nina Eliasoph et Camille Hamidi, que les facteurs du refus et de l’évitement du politique sont partagés par d’autres associations (comme la publicité des échanges, le caractère plus ou moins homogène des groupes et la posture des salarié·es), mais aussi spécifiques à l’histoire des centres sociaux. Certaines caractéristiques de ces structures en font pourtant des lieux propices à la politisation, comme la coexistence dans un même lieu d’une pluralité d’espaces où s’investir.

Entre-soi et rapports sociaux dans les centres sociaux. Une participation « sous contrôle » des femmes des quartiers

par Julie Garnier et Sarah Rétif

Cet article analyse la façon dont les salarié·es et les bénévoles de centres sociaux interprètent les demandes habitantes en tenant compte des rapports sociaux, entendus ici dans une acception élargie selon laquelle chaque individu se situe au croisement de rapports de pouvoir. L’article prend l’exemple de demandes de femmes musulmanes faites à un centre social situé dans la région Centre-Val de Loire d’organiser une fête à caractère religieux ou de créer un cours de langue arabe, et analyse des situations où des femmes de toutes origines sociales ou ethniques, et de toutes générations, sont réunies par le centre social autour d’une même activité de discussion. Les matériaux mobilisés sont tirés de deux enquêtes ethnographiques, conduites entre 2017 et 2020 dans le cadre du projet de recherche Engagir, et principalement sur deux espaces d’entre-soi féminin : un groupe de parole et un cours de langue arabe dans des quartiers populaires de Tours et de la périphérie d’Orléans. Dans ces situations, la non-mixité de genre semble d’autant plus acceptée par les équipes qu’elle s’accommode des impératifs de la participation des publics, de la mixité sociale et de la laïcité.

Lutter contre les discriminations ethno-raciales dans les centres sociaux. L’exemple de Lormont et Vaulx-en-Velin

par Hélène Balazard et Anaïk Purenne

La Fédération des centres sociaux et socioculturels de France promeut depuis plusieurs années la lutte contre la discrimination liée aux origines. La disqualification symbolique de ces enjeux dans l’espace public, l’évitement du politique au sein des centres sociaux ainsi que la faiblesse des ressources politiques des publics visés contribuent cependant à entraver de telles initiatives. S’appuyant sur un dispositif méthodologique hybride mixant une posture d’accompagnement par la recherche et une enquête de terrain rétrospective, l’analyse des actions mises en place par deux centres sociaux permet d’identifier certaines conditions permettant à de telles mobilisations improbables de « prendre » et de perdurer en contribuant à la politisation de publics éloignés du politique et sans expérience préalable. On montre d’abord que la genèse de ces actions collectives renvoie à l’investissement de professionnelles au profil atypique, ainsi qu’à des contextes institutionnels locaux propices à l’engagement dans la lutte contre les discriminations. On montre ensuite comment la forme de l’« enquête sociale » et la participation de chercheur·es jouant le rôle de soutiens à la cause ont permis la constitution d’un public et favorisé sa politisation chemin faisant.

« Prendre la parole » : engagements et mobilisations de femmes d’un centre social en milieu populaire

par Valérie Cohen

Cet article a pour objectif de rendre compte de l’engagement et de la mobilisation de femmes de classes populaires dont l’action, visant à faire entendre leurs voix et plus largement celles des « habitants », se déploie dans le centre social d’un quartier populaire. L’enquête ethnographique menée au sein de cette structure éclaire la formation de pratiques peu étudiées en mettant en regard les ressources offertes par le centre et celles dont disposent les usagères leur permettant progressivement de construire « leur politique ». Celle-ci s’élabore au sein de groupes restreints, à partir d’une division du travail favorisant l’apprentissage de la prise de parole, sa circulation et sa diffusion. Cette dynamique est cependant fragile en raison des pressions institutionnelles que subit le centre social, des différentes tensions au sein même des collectifs et de l’incertitude des conditions d’existence en milieu précaire.

Varia : Faire participer pour faire accepter ? Cadrages du débat et cultures épistémiques en tension dans une recherche participative

par Laura Seguin

Dans les sciences de l’environnement, les recherches participatives conduites en partenariat avec des groupes socioprofessionnels peuvent répondre à des objectifs très différents. Les fondements sur lesquels ces recherches s’adossent, et notamment les partis pris épistémologiques et politiques propres aux chercheurs et chercheuses, à leurs partenaires et aux organismes de financement, déterminent le cadrage des espaces participatifs auxquels les parties prenantes sont ensuite conviées. Pourquoi faire participer, qui faire participer ? Quels savoirs mobiliser et/ou construire ? Dans une perspective de sociologie des sciences, cet article porte un regard réflexif sur un projet de recherche participative, en s’intéressant à sa genèse et en prenant les scientifiques et partenaires pilotes du projet comme objets de recherche. L’analyse met en évidence les opérations de (re)cadrage des termes du débat et des espaces participatifs. Elle montre également l’intérêt d’introduire un processus réflexif de la part des scientifiques qui interviennent sur le cours de l’action, dans un processus de co-ingénierie de la participation.

Varia : La fabrique participative de l’offre programmatique. Métamorphoses du « faire campagne » et dépolitisation de l’école dans la liste « Amiens c’est l’tien » aux élections municipales de 2020

par Thomas Douniès

L’article étudie ce que la métamorphose participative des campagnes politiques fait à la formation de l’offre programmatique à l’aune du traitement de l’école dans la liste d’union de la gauche « Amiens c’est l’tien » aux élections municipales françaises de 2020. L’approche ethnographique montre que la démocratisation de l’élaboration du programme se transforme en processus d’évaluation de la conflictualité des propositions. Le dispositif participatif contribue à une consensualisation du traitement de l’école obéissant à des finalités externes – travailler une présentation de soi de la liste qui soit non clivante – et des finalités internes – contourner les dissensus entre membres de la campagne. En éclairant les relations entre la transformation des pratiques de représentation, la recomposition de la division du travail politique, et les modalités de dépolitisation des enjeux sociaux, l’enquête montre en quoi le dispositif participatif est le laboratoire d’évolutions en cours du jeu politique et contribue ainsi à la compréhension des transformations contemporaines de la démocratie locale.