La portée de la concertation. Modélisation sociologique des effets de la participation du public aux processus décisionnels

La question des effets de la participation, de sa portée décisionnelle ou démocratique, de sa capacité à orienter l’action publique dans le sens du développement durable, est au cœur d’une critique récurrente, émanant autant des acteurs que des chercheurs. Ces critiques dressent des listes d’effets potentiels, désirables ou pervers, de multiples dispositifs de participation, et s’intéressent aux conditions procédurales ou politiques de leur réalisation. Elles butent invariablement sur la diversité des contextes de décision pour conclure à des résultats largement partagés.

Notre projet de recherche, considérant qu’il n’y a pas lieu de clore l’inventaire des utilités du débat pour analyser sa portée, propose de modéliser cette notion de portée comme alternative à la notion d’effets, trop fonctionnaliste. Il ne s’agit plus de dresser le tableau synoptique des effets potentiels, en dehors de l’expérience des acteurs : le modèle sociologique envisagé décrira comment les acteurs explorent eux-mêmes la cartographie des effets possibles de la concertation. Ce modèle vise à décrire finement comment les acteurs articulent leur expérience vécue dans des milieux affectés par une décision, un projet d’aménagement, un risque, avec les espaces de production et de circulation de l’information sur la situation en cause et ses conséquences, les lieux de mise en discussion publique et d’élaboration des décisions, et les principes généraux qui leur permettent de soutenir leurs causes et d’ordonner leurs représentations dans des disputes et des conflits. La portée de la concertation tient alors à la polyphonie des différents niveaux de perception de l’état du monde, de calcul décisionnel et d’attachement à des valeurs, mis en jeu par un problème environnemental.

Nous appréhenderons ces différents niveaux à travers les multiples jeux d’acteurs et d’arguments qui se déploient au cours de l’histoire d’un dossier environnemental affectant un milieu. Pour produire un modèle sociologique de la notion de portée, nous construirons leur espace de variation dans les situations à risque auxquelles un milieu peut être confronté. Plutôt qu’une cartographie des cas envisageables, qui n’aurait guère de sens par rapport à l’expérience partagée dans un milieu, nous privilégions ici une entrée par le territoire, et l’analyse de l’expérience de la variation sur un territoire donné — la moitié ouest de la région Paca, c’est-à-dire la grande région métropolitaine de Fos-Aix-Marseille-Toulon. Notre modélisation cherchera en effet à rendre compte de la manière dont les acteurs, les arguments, l’information, les métrologies, les principes, etc., circulent d’une situation à l’autre sur ce territoire en transformant à la fois les milieux, les dispositifs et les représentations. Cette approche par le territoire s’appuiera sur le séminaire mensuel de l’EHESS-Marseille « Débats publics et formes de mobilisations territorialisée », co-animé par F. Chateauraynaud, J-M. Fourniau et M. Leborgne, ce qui permettra de comparer des travaux conduits sur d’autres territoires ou à d’autres échelles.

Sur ce territoire métropolitain, l’équipe a déjà conduit de nombreux travaux. Les dossiers suivis sur la longue durée ont connu des moments de conflit territorial, traversé divers dispositifs de concertation, informels ou institutionnalisés, et sont toujours l’objet de disputes et de concertations. Les chercheurs de l’équipe s’investiront dans le suivi des développements (2008-2011) de six dossiers majeurs pour la région PACA : les concertations sur les risques industriels de la zone Fos-Étang de Berre ; le conflit sur l’incinérateur de Marseille ; le projet ITER ; le projet de ligne THT Boutre-Carros ; le projet LGV PACA et le SCOT de Toulon —, dossiers sur lesquels ils ont déjà été impliqués, à divers titres (assistance à maîtrise d’ouvrage, recherche-action ou recherche universitaire). Les monographies sur chacun des six dossiers ne seront pas réalisées simplement comme une collection d’essais, mais serviront de base à la modélisation sociologique envisagée, pour en étayer le jeu des paramètres pertinents. Le séminaire de l’EHESS sera organisé selon une double modalité — séminaire de recherche et séminaire public — permettant à la fois la présentation de l’avancement des travaux et des résultats sur les différents dossiers, leur confrontation à des travaux conduits par d’autres équipes de recherche, et leur socialisation auprès d’un plus large public, associatifs, techniciens et décideurs, impliqués dans ces dossiers.

À l’échelle régionale tout particulièrement, les réformes attendues à la suite du Grenelle de l’environnement poussent les mondes professionnel et administratif à une réflexion opérationnelle quant à leurs pratiques de concertation. Quand l’avancée vers le développement durable requiert une démocratie plus participative, les incertitudes qui pèsent sur les effets de la participation posent particulièrement question. Les sciences humaines et sociales sont alors fréquemment convoquées comme appui méthodologique à la concertation ou pour des analyses ciblées de retours d’expérience. En termes de résultats, notre proposition de recherche vise à répondra à cette demande selon un principe inspiré des zones-ateliers. Le séminaire comme la modélisation proposée permettront de développer des partenariats autour d’analyses et d’outils partagés, notamment avec la DRIRE PACA, concernant les dossiers relatifs aux risques technologiques ou au pôle de compétitivité « Gestion des risques et vulnérabilités des territoires » situé à Aix-en-Provence, ou avec le service recherches et prospectives de la Région PACA, dans le cadre de projets-clefs pour la politique régionale d’aménagement (LGV PACA ou ITER), ou avec les maîtres d’ouvrage de ces projets et la Commission nationale du débat public.

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