La participation dans le monde du travail

Sommaire du n° 1/2013 paru en juin 2013

Abonnez-vous

Dossier

La participation dans le monde du travail

Dossier coordonné par Sophie Béroud et Nathalie Dompnier

 

Sophie Béroud, « Perspectives critiques sur la participation dans le monde du travail : éléments de repérage et de discussion », pp. 5-32.

Antoine Bévort, « De Taylor au néo-management : quelle participation des salariés ? », pp. 33-51.

Sabine Fortino, « Quand les logiques du privé investissent
le secteur public : déstabilisation des collectifs et reflux de la participation », pp. 52-76.

Adrien Mazières-Vaysse, « Entre représentation institutionnelle et action collective : la variété des pratiques syndicales dans un centre d’appels », pp. 77-101.

Maxime Quijoux, « Convaincre ou produire ? Genèse et formes de participation ouvrière dans une usine “récupérée” d’Argentine », pp. 103-126.

Aline Conchon, « La participation aux décisions stratégiques de l’entreprise : influence ou pouvoir des administrateurs salariés ? », pp. 127-149.

 

Varia

Jürgen Habermas, « La démocratie a-t-elle encore une dimension épistémique ? Recherche empirique et théorie normative » (2), pp. 151-175.

Isabelle Aubert, « Réviser l’“espace public” avec la sociologie. Un regard sur la théorie de Bernhard Peters », pp. 177-199.

Audric Vitiello, « L’exercice de la citoyenneté. Délibération, participation et éducation démocratiques», pp. 201-226.

 

Lecture critique

Camille Goirand, « Penser la participation politique en Amérique latine : questionnements et méthodes d’enquête », pp. 227-242.

Présentation du n°

S’il paraît heuristique de transférer des questionnements forgés pour l’étude des dynamiques de participation dans le champ politique vers le monde du travail, il semble d’abord indispensable de bien cerner les spécificités de celui-ci. Structuré par des rapports sociaux de subordination, des rapports inégalitaires liés au statut même du salariat, le monde du travail ne peut être assimilé à une communauté politique qui, au moins sur le plan formel, est présentée comme maîtresse de son destin. La question de l’extension de la démocratie politique à la sphère du travail, de la reconnaissance des salariés comme citoyens une fois les portes de l’entreprise franchies, renvoie à des débats inscrits dans l’histoire du mouvement ouvrier sous les lexies de démocratie sociale, de démocratie ouvrièreou encore de démocratie industrielle (Erbes-Seguin, 1971). Pour autant, ces revendications ont avant tout pris la forme d’une reconnaissance des syndicats et de l’instauration d’institutions représentatives du personnel. Bien que, en ce qui concerne la France, les syndicats se soient longtemps pensés comme porteurs d’une représentation essentialiste du salariat (Rosanvallon, 1988), leur pouvoir de représentation s’est surtout consolidé au travers des mécanismes de la représentation ; les élections professionnelles s’imposant peu à peu comme la source première de légitimité. Dans ce contexte où les syndicats entendent se présenter comme les porte-parole en quelque sorte « naturels » du salariat, la thématique de la participation directe des salariés a fait l’objet d’usages relativement contrastés.

Elle a pu être perçue comme une façon de contourner les dispositifs institués de représentation dans les entreprises et les administrations et par là même les syndicats (Martin, 1994). C’est dans cette lignée que s’inscrivent à la fois la rhétorique et les pratiques du management participatif qui théorisent l’autonomie du salarié en dehors d’une représentation collective et visent en même temps à favoriser son intégration dans l’ordre productif.

Mais la thématique de la participation n’est pas non plus étrangère au mouvement ouvrier. Envisagée comme vecteur d’émancipation, elle est pensée, par certains acteurs syndicaux, comme le seul moyen de lutter contre des phénomènes de bureaucratisation des organisations et de professionnalisation des élus du personnel. De ce point de vue, l’aspiration autogestionnaire se présente comme la pensée paradigmatique d’une participation permanente des salariés qui serait synonyme d’un changement radical dans les rapports sociaux propres au monde du travail. Les organisations d’économie sociale et solidaire, dont la structure juridique prévoit la participation directe des salariés-sociétaires, se sont également saisi de cette thématique de la participation pour revendiquer leur spécificité et leur revendication historique d’une conception renouvelée du travail, du travailleur et de sa place dans l’entreprise.

Enfin, la thématique de la participation s’inscrit également dans le discours produit par les acteurs politiques – à commencer par le législateur – sur les relations professionnelles. C’est alors la faible représentativité des syndicats qui justifie la nécessité de repenser et de favoriser la participation des salariés, depuis le droit d’expression directe créé par les lois Auroux de 1982 jusqu’à la loi du 20 août 2008.

L’enjeu participatif parcourt ainsi les positions, revendications et débats des acteurs du monde du travail de manière récurrente. Il fait parfois écho à la question de la participation politique, avec le problème de la légitimité des représentants habilités à négocier pour l’ensemble des salariés et de la professionnalisation du travail de représentation. Mais il est traversé par des problématiques propres au monde du travail : celle des inégalités structurelles au rapport salarial, de la démocratie sociale, de la préoccupation de l’efficacité économique. Bien plus que dans le domaine politique, les dispositifs participatifs mis en place dans le monde du travail semblent susciter en même temps une forme d’engouement et un fort scepticisme. Ils apparaissent aux uns comme des instruments de pression ou des leviers d’action, aux autres comme des outils d’amélioration de la productivité. Mais ils sont aussi souvent pointés comme des leurres, visant, par une mise en scène de la démocratie sociale, à masquer les rapports de domination et les profondes inégalités qui caractérisent les relations sociales dans la sphère du travail, comme des méthodes pour atomiser les salariés ou pour remettre en cause la légitimité de leurs représentants.

C’est donc aux usages et pratiques des dispositifs de participation que nous proposons de nous intéresser dans ce dossier de la revue Participations. Comment ces dispositifs sont-ils mis en œuvre et saisis par les différents acteurs de l’entreprise ? Comment donnent-ils lieu à de nouvelles formes de mobilisations ? Comment sont-ils exploités, instrumentalisés, parfois contournés ou détournés ? Quelles sont les incidences de ces nouveaux dispositifs sur les autres formes de participation et notamment sur la représentation ?