La participation dans la construction des territoires

PAOLETTI Marion et CASILLO Ilaria (2011),
Présentation de l'atelier "La participation dans la construction des territoires"
lors de la seconde journée doctorale sur la participation du public et la démocratie participative,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, 18 octobre 2011.

 

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 Présentation

 

Les communications présentées dans le cadre de cet atelier ont une préoccupation commune : prendre en compte le temps moyen de la participation sur la production des territoires. Cette dimension évolutive est probablement essentielle : un des objectifs de la recherche sur le territoire est sans doute l’inventaire du travail effectué par les acteurs pertinents pour institutionnaliser/désinstitutionnaliser leur ordre territorial (Genieys, Smith, Baraize, Faure, Négrier, 2000).

 

Sophie Van Neste montre le déroulement dans le temps d’un débat public où la définition concurrentielle du bon territoire agit sur les coalition d’acteurs, Wilfried Serisier s’efforce d’analyser les effets des alternances politiques et la naissance de nouveaux territoires (l’agglomération) ou de nouvelle logique d’action publique (la métropolisation) sur ce qu’il appelle les configurations participatives, Melike Yalcin enfin s’attache aux effets du temps sur la mise en œuvre de l’agenda 21 et la décentralisation en Turquie.

 

Un autre élément en commun entre les trois communications est le rôle des échelles et de leur articulation. Si la question des échelles à prendre en compte n’est pas formulée en tant que telle dans les contributions, il en reste pas moins qu’elle est bien présente en arrière fond des trois études de cas ou exemples présentés par les doctorants.  Au-delà du fait que cela constitue implicitement le cadre de référence d’un phénomène, l’échelle devient un enjeu lorsqu’elle s’articule à d’autres échelles et donc à des jeux d’acteurs plus larges.

 

Le papier de Sophie Van Neste donne à voir que la redéfinition du terrain faite par les acteurs ne correspond pas à un changement d’échelle des enjeux. Parallèlement son papier montre que le changement d’échelle qui souvent accompagne la montée en généralité peut être utilisé comme un argument par les acteurs.

 

Wilfried Serisier aborde la question de la transition scalaire qui accompagne les processus de métropolisation et dont la gouvernance s’avère compliquée lorsqu’elle s’articule à des démarches participatives. 

 

Enfin, Melike Yalcin montre très efficacement comment l’échelle  perd sa pertinence lorsqu’elle est complètement absorbée par le jeu de force (et de pouvoir) entre le niveau local et celui national.

 

Au delà de ces traits  communs, les conceptions engagées du territoire dans les trois textes apparaissent très différentes, suggérant ce faisant la dimension très polysémique et flou de la notion de territoire capable de renvoyer en science politique tout à la fois (Smith, 2008)  [1] à un système de relations sociales localisées [2] à une forme d’action publique qui intègre plusieurs logiques d’action (par ex avec le « développement territorial ») [3] aux mutations de l’action publique 4/ à un produit des répertoires cognitifs et symboliques mobilisés par les acteurs contemporains afin d’appuyer leurs argumentaires et leurs alliances. 

 

C’est ainsi que pour Wilfried Serisier, le territoire, espace géographique et social, est d’abord un espace institutionnalisé. Dans ce cadre, Wilfried Serisier postule que la participation a principalement pour les élus une fonction instrumentale : au niveau intercommunal, la participation vise à créer des représentations du territoire intercommunal chez les habitants alors qu’au niveau communal et du quartier, la participation vise à asseoir la résistance des territoires. Chez Sophie Van Neste, le territoire, c’est d’abord une représentation territoriale (variable selon les acteurs concernés par le débat public) : un enjeu du débat public, donnant lieu à une définition concurrentielle du terrain engagée par le débat public autour d’un projet d’aménagement. Pourtant, le territoire institutionnalisé (avec ses leaders et ses compétences) reste in fine premier : « les contraintes des territoires institutionnalisés sont trop fortes et trop ancrées pour les renverser lors d’une discussion publique ». Le mot de « territoire » n’apparaît pas dans le texte de Melike Yalcin, comme si la politique de décentralisation était trop récente et la centralisation trop importante pour que le territoire soit pensable en Turquie pour les acteurs -et les chercheurs. La communication de Melike Yalcin s’inscrit pleinement dans une analyse en terme de « centre/périphérie » dont le territoire  est totalement absent , rappelant qu’en  France, c’est dans le milieu des années 1990, qu’un consensus s’est dégagé dans la recherche pour mettre fin aux analyses classiques en terme de « rapport centre/périphérie » ou de « régulation croisée » sous l’influence de la « gouvernance territoriale », ou de « l’ action publique locale » ou de la « territorialisation de l’action publique » rendant visible le « territoire » … et une communauté de territorialistes (Smith, 2008). 

 

Le territoire n’est d’ailleurs dans aucun des trois papiers envisagé dans le sens strictement géographique, c’est-à-dire comme un  espace à métrique topographique. Au contraire, il est souvent rattaché à une dimension immatérielle et identitaire, à l’espace approprié.

 

 

Dans sa reconstruction d’un  débat public autour d’un échangeur autoroutier, Sophie Van Neste soulève la question de la redéfinition du territoire par les acteurs et de la manière dont on peut investir socialement de sens l’espace en le rendant pertinent politiquement. 

 

Wilfried Serisier aborde la question du territoire par les différentes configurations participatives que celui-ci permet, mais il le fait en s’arrêtant plus sur « ce qui compose » un territoire et ses projets que sur ce qui les donne à voir.

 

 

Enfin, chez les deux auteurs mettant au centre de leurs analyses de la participation la notion de territoire, les effets de la participation sur la production du territoire apparaissent contrastés. Pour Wilfried Serisier, les effets réciproques sont puissants : la configuration participative dépend des caractéristiques du territoire en retour la participation permet la résistance des territoires et la reterritorialisation des politiques publiques. Ces effets sont beaucoup plus incertains pour Sophie Van Neste : si la participation à travers les débats publics donne à voir des représentations plurielles du territoire, les possibles sont limitées par les contraintes institutionnelles.  Dans tous les cas, les acteurs engagés par la participation feraient preuve d’inventivité (qui reste à interroger) : une fois constatée la dissociation entre le territoire de l’élection et celui de l’action publique, Wilfried Serisier envisage les dispositifs participatifs comme une innovation collective (qui apparaît cependant très institutionnalisée et routinisée). Sophie Van Neste constate également l’inventivité d’acteurs qui réinterprètent le projet d’aménagement à travers la catégorie de « cour » ou « jardin » (même si cette définition du territoire peut apparaître là aussi classique et routinisée). 

 

La question des effets est également présente dans la papier de Melike Yalcin, en particulier lorsqu’elle montre les limites des dispositifs participatifs dans un contexte en transition démocratique comme dans le cas turc.

 

 

 Actes du Premier Congrès du GIS Démocratie & Participation