La mobilisation des savoirs citoyens dans les dispositifs d’urbanisme participatif

            NEZ Héloïse (2009), "La mobilisation des savoirs citoyens dans les dispositifs d’urbanisme participatif", communication aux premières journées doctorales sur la participation du public et la démocratie participative, Ecole Normale Supérieure de Lyon, 27-28 novembre 2009.

 


 

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 Extrait

  Introduction   La réflexion sur la notion de "savoirs citoyens" dans la démocratie participative s’inscrit dans la continuité des travaux de Callon, Lascoumes et Barthe (2001), qui expriment par le terme de "démocratie technique" la démocratisation des choix scientifiques et techniques, qui sont toujours aussi des choix politiques et sociaux, par l’intervention des citoyens au sein de "forums hybrides". La double délégation de pouvoir, politique et technique, qui caractérise les sociétés démocratiques contemporaines pourrait ainsi être dépassée et la coupure entre savoirs experts et "profanes" remise en cause. La sociologie des sciences a récemment inspiré des travaux de sociologie politique (Fromentin et Wojcik, 2008 ; Topçu, Cuny et Serrano-Velarde, 2008 ; Nez, 2009) pour analyser les dispositifs participatifs qui se multiplient depuis deux décennies dans des contextes divers en Europe (Font, 2001 ; Bacqué, Rey et Sintomer, 2005 ; Blondiaux, 2008). L’enjeu est, notamment, de clarifier la notion de "savoirs citoyens", qui est très souvent utilisée pour justifier la mise en place de ces nouvelles pratiques démocratiques sans être pour autant explicitée, en distinguant les différents types de savoirs que les citoyens mobilisent au sein des dispositifs participatifs.
Dans la lignée de ces travaux, notre communication cherche à définir la spécificité des savoirs citoyens mobilisés dans la mise en débat du projet urbain, la majorité des discussions dans les dispositifs participatifs locaux concernant des problèmes d’organisation, d’aménagement, de développement et de planification des villes et des agglomérations (Bacqué et al, 2006). En France, le décentrement des savoirs experts dans l’action publique urbaine, la reconnaissance de la "maîtrise d’usage" et le dialogue entre savoirs sont concomitants de l’émergence du projet urbain (Pinson, 2004) et des opérations de réhabilitation urbaine à la fin des années 70 (Anselme, 2000). Alors que le plan s’appuie sur une vision de l’urbanisme comme la science des savoirs experts peu soucieuse de la ville existante, le projet urbain apparaît comme une pensée sur la ville et une pratique de l’urbanisme "qui ménage les lieux et les gens", en considérant que les acteurs locaux portent des ressources qu’ils peuvent mobiliser dans le cadre de la conception des usages (Pinson, 2004). Nous analysons ainsi la spécificité de la démocratie technique dans le cadre urbain, en considérant l’urbanisme comme une action sur la ville – "l’art de produire ou de changer la forme physique des villes, d’aménager les villes" (Tribillon, 2006) – portée par la puissance publique, qui s’appuie donc sur certains savoirs techniques et traduit un projet politique (Topalov, 1989).
Que recouvre l’expression des savoirs citoyens dans le champ urbain, au-delà du seul savoir d’usage classiquement analysé dans les écrits sur l’urbanisme participatif ? Quelles formes de savoirs les citoyens mobilisent-ils dans les dispositifs participatifs portant sur des projets urbains ? Par qui et dans quelle perspective ces savoirs sont-ils mobilisés ? Quel statut et quelle légitimité reconnaît-on au citoyen ? Pour répondre à ces questions, notre démarche méthodologique est idéal-typique et vise à distinguer des "modèles" de savoirs citoyens mobilisables et mobilisés dans les dispositifs d’urbanisme participatif. En croisant une réflexion urbaine et politique, notre analyse s’appuie sur une enquête ethnographique menée pendant plus de deux ans à Paris et à Cordoue, sur plusieurs projets urbains élaborés en concertation avec les habitants. Depuis l'arrivée du socialiste Bertrand Delanoë à la mairie centrale en 2001, la capitale française permet d’observer un processus de démocratie participative émergent, qui prend ses origines dans les critiques des mouvements sociaux urbains et se limite souvent à une démocratie de proximité (Nez, 2008 ; Busquet et al, 2009), et un processus de transformation de la configuration de l’espace public et de ses usages, et au-delà de la forme urbaine d’une grande ville. Notre analyse se focalise sur trois dispositifs participatifs portant sur des projets urbains à différentes échelles : le budget participatif de la voirie dans le 20e arrondissement, la concertation permanente sur la Zac Paris Rive Gauche et le collectif citoyen sur la revalorisation du Bas-Belleville. Afin de tester nos hypothèses dans un autre contexte socio-politique et urbain, nous comparons la situation parisienne avec le cas du budget participatif de Cordoue, qui a été la première ville en Espagne à associer les citoyens à la prise de décision directe sur une partie de son budget d’investissement (Ganuza, 2003).   Dans l’optique de mettre en débat une typologie des savoirs citoyens dans l’urbanisme, nous analysons dans un premier temps la nature des savoirs citoyens potentiellement mobilisables dans les dispositifs participatifs, puis nous nous intéressons aux dynamiques dans lesquelles ces savoirs citoyens sont effectivement mobilisés dans l’élaboration du projet urbain.    

Plan de l'article

    Nature et spécificité des savoirs citoyens dans l’urbanisme
Une typologie des savoirs citoyens dans l’urbanisme L’habitant comme usager
L’habitant comme « professionnel du quotidien »
L’habitant comme militant
Une définition du savoir associatif   Dynamiques de mobilisation des savoirs citoyens Des savoirs sollicités
Des savoirs revendiqués
Des savoirs absents   Conclusion