La compensation des impacts sociaux et écologiques pour les projets d’aménagement : acceptation, perceptions et préférences des acteurs du territoire.
KERMAGORET Charlène, La compensation des impacts sociaux et écologiques pour les projets d’aménagement : acceptation, perceptions et préférences des acteurs du territoire, thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université de Bretagne occidentale, 2014
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Résumé
La recherche de conciliation entre les multiples usages sur un même espace, les objectifs de conservation de la biodiversité et les enjeux de la croissance économique sont aujourd’hui au cœur de nombreux débats, tant scientifiques que politiques, qui accompagnent la mise en place d’un projet d’aménagement.
La compensation territoriale se matérialise par l’attribution à un territoire subissant les impacts négatifs d’un aménagement déclaré d’utilité publique, d’un ensemble de mesures visant à améliorer son acceptabilité, à internaliser les externalités qu’il génère et par là-même, à ancrer localement l’infrastructure sur le territoire. La compensation territoriale permet ainsi de rétablir un équilibre entre la dimension globale du projet, qui ne considère que ses effets positifs (utilité publique), et la dimension locale, dans laquelle les externalités positives et négatives du projet rentrent en jeu (impacts sur les écosystèmes, sur le paysage, conflits d’usages…). Initié par un questionnement sur la mise en œuvre d’un tel outil de politique publique au sein de territoires spécifiques, l’objectif principal de ce travail est de caractériser la demande de compensation par les acteurs du territoire au regard de leurs perceptions des impacts sociaux et écologiques d’un projet de développement d’Energies Marines Renouvelables. Pour répondre à cette question et fixer notre cadre d’analyse, trois postulats nous ont guidés :
- Les acteurs du territoire ont une perception des impacts sociaux et écologiques du projet qui diffère suivant l’usage qu’ils font du territoire et des intérêts qu’ils lui portent.
- Les perceptions de ces acteurs sont spécifiques à chaque individu. Cependant, cette spécificité est difficile à mettre en lumière car elle nécessite de récolter les perceptions de chaque individu concerné. La Communauté de Pratique (CoP) constitue un niveau de description des perceptions intéressant dans la mesure où les interactions que les individus entretiennent entre eux, au sein de chaque CoP, conduisent généralement à des représentations sociales communes.
- La demande de compensation par les acteurs de territoire diffère suivant (i) la nature des impacts du projet, (ii) l’attitude de ces acteurs vis-à-vis du principe même de compensation, (iii) le type d’action mis en œuvre à travers les mesures compensatoires.
La démarche méthodologique mise en œuvre pour répondre à notre problématique de recherche repose sur la mise en œuvre conjointe d’enquêtes qualitatives et d’enquêtes quantitatives et font appel à des outils spécifiques tels que la cartographie cognitive floue et la méthode des choix expérimentaux. Le terrain d’étude est le projet de parc éolien en mer de la baie de Saint-Brieuc (Bretagne, France), actuellement en cours de développement. Les enquêtes de terrain sont menées auprès des acteurs du territoire de la baie de Saint-Brieuc, définis à différentes échelles (depuis le représentant institutionnel jusqu'à l'acteur individuel) et selon les pratiques et les intérêts qu’ils ont vis-à-vis du territoire. Cette démarche nous a permis de produire de nombreux éléments de compréhension quant à la manière dont ces acteurs (i) perçoivent les impacts d’un tel projet, (ii) acceptent ou non le principe de compensation comme outil de réponse aux impacts négatifs du projet et (iii) envisagent la mise en œuvre de la compensation à travers leurs préférences vis-à-vis de différentes actions – indemnisations financières, investissements dans des biens communs, restauration écologique.
Les résultats de ce travail montrent que les perceptions, très hétérogènes au sein des acteurs du territoire, s’expliquent en grande partie à travers le concept de Communautés de Pratiques. Finalement, lorsque le principe de compensation est accepté par les acteurs du territoire, la logique d’équivalence qui conditionne la demande de compensation peut s’expliquer de trois manières différentes : (i) une équivalence territoriale dans laquelle les bénéfices issus de la compensation doivent profiter à l’ensemble de la population du territoire impacté ; (ii) une équivalence écologique dans laquelle le niveau de fonctions écologiques et de services écosystémiques est maintenu constant, (iii) une équivalence basée sur des valeurs économiques pour pallier le manque à gagner de certaines activités professionnelles. De manière plus générale, ce travail a permis de souligner la complexité de cet objet de recherche. Des perceptions très hétérogènes vis-à-vis de la compensation ont été en effet identifiées sur le territoire relativement restreint de la baie de Saint-Brieuc. Ce travail a permis, en en offrant une description quantitative et synthétique, de mieux comprendre cette complexité des perceptions et des enjeux associés à la mise en œuvre de mesures compensatoires sur un territoire. Par ailleurs, le concept de compensation territoriale a montré tout son intérêt au cours de ce travail. Les résultats montrent que, lorsqu’elle est acceptée par les acteurs du territoire, la compensation est effectivement envisagée sous la forme d’un schéma compensatoire au sein duquel les différentes mesures doivent prendre en compte les enjeux du territoire dans ses multiples dimensions, tant sociales qu’écologiques. Elle permet ainsi de rétablir un équilibre entre la dimension globale du projet, qui ne considère que ses effets positifs (utilité publique), et la dimension locale, dans laquelle les externalités, à la fois positives et négatives, rentrent en jeu. Il a été montré que l’appartenance des enquêtés aux différentes CoP nous a permis d’expliquer (i) les perceptions quant à la nature et l’intensité des impacts engendrés par le projet éolien ; (ii) les préférences vis-à-vis du principe de compensation et son acceptabilité ; (iii) les attitudes vis-à-vis du type de mesures compensatoires à mettre en œuvre. Ces résultats confirment l’hypothèse, faite au départ de ce travail, que la CoP constitue un niveau adéquat de description des perceptions : les interactions que les individus entretiennent entre eux, au sein de chaque CoP, conduisent effectivement à des représentations sociales communes.
Dans une perspective plus opérationnelle, les outils mis en œuvre dans ce travail pourront être très utiles pour les maîtres d’ouvrages, durant les phases d’évaluation et de concertation. En effet, ils permettent de mieux définir à la fois les craintes, mais aussi les opportunités perçues associées à leurs projets, et d’identifier les meilleures compensations qui permettraient de contrebalancer les possibles impacts ressentis. La mise en œuvre des méthodes employées nécessite néanmoins un investissement qui peut être conséquent. Les enquêtes par entretiens sont en effet chronophages et les enquêtes par questionnaires doivent être menées en nombre suffisant pour garantir une représentativité correcte de la population du territoire. L’expérience, acquise au cours de ce travail, montre l’importance de porter un effort particulier sur la construction du plan d’échantillonnage (clé de répartition des métiers, données INSEE locales…) de manière à obtenir des résultats cohérents par rapport au poids relatifs des perceptions de la population ciblée. Enfin, il est important de noter que ces méthodes, au caractère anthropocentré, ne peuvent se substituer d’aucune manière à l’expertise écologique nécessaire à la définition de mesures d’Evitement, de Réduction et de Compensation (séquence ERC) des impacts écologiques. Elles apparaissent cependant comme des compléments très utiles de l’Etude d’Impact Environnemental réglementaire, pour définir un schéma compensatoire qui soit adapté aux attentes de la population du territoire concerné.
Thèse soutenue à l’Institut Universitaire Européen de la Mer, le 17 décembre 2014, devant le jury :
Membres du Jury
- Louis BRIGAND, Professeur, Université de Bretagne Occidentale, Examinateur
- Antoine CARLIER, Chargé de recherche, IFREMER, Co-encadrant de thèse
- Pascal GASTINEAU, Chargé de recherche, IFSTTAR, Examinateur
- Patrick LE MAO, Cadre de recherche, IFREMER, Examinateur
- Harold LEVREL, Professeur, AgroParisTech, Directeur de thèse
- Tina RAMBONILAZA, Directrice de recherche, IRSTEA, Rapporteur et présidente du jury
- Jean-Pierre REVERET, Professeur, Université du Québec à Montréal, Rapporteur
- Olivier THEBAUD, Cadre de recherche, IFREMER, Examinateur