L’expertise d’usage au défi de la concertation : quelles marges de manœuvre pour les usagers des transports ?

          MORETTO Sabrina (2009), "L’expertise d’usage au défi de la concertation : quelles marges de manœuvre pour les usagers des transports ?", communication aux premières journées doctorales sur la participation du public et la démocratie participative, Ecole Normale Supérieure de Lyon, 27-28 novembre 2009.

 


 

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Extrait de l'article

  Introduction   Le domaine des transports s’inscrit depuis longtemps dans une logique technocratique de l’action publique fondée sur les savoirs techniques des professionnels du transport, représentés par les grands corps de l’Etat, les ingénieurs transports des bureaux d’études spécialisés ou des collectivités territoriales ainsi que d’autres professionnels dans ce domaine. Visant à réaliser de grands projets d’infrastructures ou encore divers calculs de structure et de dimensionnement, ce domaine mobilise une expertise scientifique et technique qui a longtemps fait consensus mais qui a surtout placé la figure de l’expert professionnel au centre du processus décisionnel (Kauffman, Barbey, 2004).   Bien que ce constat paraisse toujours valable aujourd’hui, la montée de nouveaux enjeux urbains, environnementaux et démocratiques laisse place à de nouvelles approches. Il ne s’agit plus seulement d’appréhender les transports par l’intermédiaire de prouesses techniques permettant de traverser toujours plus vite les territoires (Barthélémy 2002) mais il s’agit aussi de s’intéresser à des pratiques dites douces. Les enjeux actuels se focalisent donc sur le développement du vélo dans les centres urbains, la création d’espaces partagés ou encore la mise en place d’un code de la rue. Nettement moins orientées sur les performances technologiques des systèmes de transport, ces nouvelles approches semblent donc pouvoir laisser plus de place à de nouvelles expertises, d’autant que les systèmes décisionnels s’ouvrent de plus en plus à l’ensemble des acteurs pouvant être concernés : de l’élu au professionnel des transports, en passant aussi par l’usager. En effet, les transports étant un instrument central de l’action publique, les politiques qui en résultent nécessitent une coordination entre les différents acteurs institutionnels, entre les acteurs institutionnels et les acteurs sociaux, mais aussi entre les acteurs aux territoires d’interventions différents (Offner et Pumain, 1996). En matière de décision publique, la concertation dans ce domaine n’est donc plus une pratique à défendre.   De manière plus générale, cette tendance à faire de la démocratie participative, que nous entendons ici comme étant « l’ambition politique de faire participer à la prise de décision l’ensemble de ceux qu’elle est susceptible d’affecter » (Blondiaux, 2008), s’accompagne donc d’importants changements qui tendent notamment à modifier les rôles des acteurs traditionnellement impliqués dans le système décisionnel. En effet, parce que la population est aujourd’hui invitée à participer à l’action publique, les élus doivent se confronter davantage à des conflits potentiels alors que les experts et autres professionnels, sont d’autant plus dans l’obligation de se justifier, et voir parfois d’intégrer de nouveaux savoirs. Ce constat permet donc à certains chercheurs d’avancer l'idée que le développement des démarches participatives s'accompagne donc d’un "processus de désacralisation de l’expertise" visant à reconnaître la capacité des citoyens à délibérer et la nécessité de prendre en compte le point de vue des usagers sous prétexte justement de leur "expertise d’usage" (Blondiaux, 2008).   De plus, dans un contexte aujourd’hui qualifié de "monde incertain" ou encore de "société du risque", la notion de savoir devient d’autant plus contestable que le terme d'expertise tend à se généraliser pour renvoyer davantage à l'idée de savoirs mobilisables en situation. En effet, la montée d'incertitudes et de controverses scientifiques, comme les affaires de la vache folle ou des OGM, incite de plus en plus les chercheurs à réinterroger la notion d’expertise. Les travaux de Stéphane Cadiou viennent ainsi rendre compte de la "recomposition tendancielle" de cette notion et aboutissent ainsi à une distinction moins évidente des frontières entre savoirs savants et savoirs profanes (Cadiou, 2006).
Les thèmes de contre-expertise, de démocratie technique, ou encore de confrontation entre savoirs savants et profanes accompagnent donc de plus en plus celui de la participation et ouvrent ainsi la réflexion à de nouvelles expertises, quelles soient profane, citoyenne ou d'usage. Les questionnements à ce sujet ont progressivement pris formes à partir d’interrogations variées sur les différents types de savoirs citoyens, la légitimité de ce type de savoir, sur les registres argumentatifs mobilisés pour les faire valoir, ou encore sur leurs intégrations au processus décisionnel, et par conséquent sur leurs confrontations avec les expertises des acteurs déjà institutionnalisés tels que les élus et les experts-professionnels. Bien que ce thème constitue aujourd’hui un débat à part entière, il demeure encore pour autant un véritable appauvrissement conceptuel que certains qualifient de "flou sémantique".   En ce qui concerne plus précisément la notion de savoir d’usage, ou encore d’expertise d’usage, nous retiendrons tout d’abord qu’il s’agit d’une expertise qui s’appuie sur le vécu et l’expérience du quotidien. En d’autres termes, il s’agit de considérer l’expertise d’usage comme une expertise du quotidien fondée notamment sur des compétences et des savoir-faire liés à la pratique et à l’usage d’un territoire et des composantes qui le constituent (équipements, infrastructures, services publics, ...). Plus concrètement, nous retiendrons par ailleurs que les savoirs d’usage sont notamment mobilisés dans des instances participatives qui s’inscrivent dans le cadre d’un nouveau management public dont les objectifs sont dits managériaux. l'idée générale est d’adapter l’action publique aux besoins des usagers par l’intermédiaire d’instruments tels que les enquêtes de satisfaction, les panels d’usagers, ou encore par le biais d’instruments "plus discursifs" favorisant le dialogue et la mise en partage des connaissances des différentes parties prenantes par l’intermédiaire de groupes de travail ou encore des conseils de quartiers.   Visant justement à comprendre les effets de l’expertise d’usage sur les décisions prises dans le domaine des transports, notre thèse a pour ambition d’évaluer ce que certains appellent la concertation productive. Autrement dit l’enjeu n’est pas tant de chercher à savoir à qui profite la concertation et quelles sont les bonnes manières de faire de la concertation mais plutôt de comprendre ce qu’il en ressort en termes de contenu (Louvet, 2002). A partir de là, notre regard ne porte pas sur les pratiques de concertation en termes d’intensité démocratique (information / consultation / négociation) mais plutôt sur le processus de concertation en attente de productivité. Notre analyse des politiques publiques se fait ainsi par le contenu et interroge donc très spécifiquement les expertises amenées à être mises en débat. Par ailleurs, si la population, au sens général du terme, est reconnue comme étant détentrice d’une expertise d’usage, il reste encore des débats controversés quant à sa capacité à participer à l’action publique. Elle semble donc avoir des difficultés à se soustraire de sa vertu première qui est de juger du bien fondé d’un projet ou d’une politique publique et faute d’une reconnaissance véritable de son expertise, les démarches participatives s’apparentent donc difficilement à des processus de mises en partage des compétences (Blondiaux, 2008).   Pour cette communication, nous avons choisi d’appréhender la question des marges de manoeuvre laissées à des usagers des transports dans le cadre de démarches participatives instituées dans le domaine des transports. Pour ce faire, nous proposons d’appréhender deux perspectives. D’une part, en s’attelant à comprendre les impacts concrets de cette participation sur les solutions et les orientations retenues pour le projet mis en débat. D’autre part, en interrogeant plus spécifiquement les conditions d’émergence de cette expertise d’usage par l’examen des processus et des acteurs qui permettent de faire émerger ce type d’expertise.
   

Plan de l'article


La plus-value substantielle de la participation des usagers des transports
  • L’ avant : pour la mise sur agenda et l’apport de nouvelles solutions
  • Le pendant : pour profiter des "savoir-faire"
  • L’après : pour une aide à l’évaluation
Conditions d’émergence de l’expertise d’usage
  • Passage obligé par un tiers-intégrateur
  • Passage obligé par un tiers-médiateur
Conclusion