L'agir environnemental

L'agir environnemental

Rémi Barbier

La question de l’agir environnemental a notamment été posée à la fin du siècle précédent sous l’angle du « petit geste pour l'environnement ». A cet effet, une ingénierie sociale s’est progressivement étoffée et affinée, en puisant à une variété d’approches comme la communication persuasive, la communication engageante, la théorie des incitations et plus récemment le cadre des nudges dans la perspective du « paternalisme libertaire ». Le tri des déchets d’emballages est assez emblématique de cette approche par les petits gestes ; on peut tirer au moins trois leçons de l’expérience de son introduction et de sa généralisation :

  • En premier lieu, cela atteste de la possibilité d’un changement à grande échelle et en (relative) rupture avec un paradigme« end of pipe » classique et bien ancré, mais à condition de se donner du temps et des moyens : même pour une cible relativement modeste comme celle-ci, il a fallu vingt ans d'efforts relativement continus avec des moyens, des incitations, des facilitateurs humains (les « ambassadeurs du tri »), etc. Ce n'est d’ailleurs pas encore complètement achevé, mais on peut dire qu’il y a eu un basculement et la formation de nouvelles normes sociales autour des déchets ménagers.

  • Cet exemple démontre par ailleurs qu’il a été possible d'enrôler un secteur industriel dans cette transition dès lors qu’il faisait face à une menace crédible d’intervention réglementaire s’il ne bougeait pas. C'est bien en effet parce qu'il y avait une menace crédible de directive européenne qui aurait pu aboutir à transférer aux « metteurs en marché » de produits emballés l’intégralité du financement de la gestion des déchets d’emballages (selon le « modèle allemand » mis en place à partir de 1991) que les industriels français se sont mobilisés pour proposer un « modèle français » incluant une participation financière de leur part. A partir de là, le partage du financement entre les industriels et les collectivités a évolué au fil de négociations difficiles, et aujourd’hui le secteur industriel finance près de 80% du coût de collecte et de tri des déchets d’emballages.

  • Enfin, cet exemple illustre la capacité des pilotes de l'action publique à conduire dans la durée un changement en procédant par cycles d'exploration puis de généralisation voire de prescription : des programmes expérimentaux tout à fait explicites avec des appels à propositions ont été engagés, différentes configurations de collecte, de tri… ont été testées, donnant lieu à la fin à un certain nombre de références et de préconisations qui s'inscrivent désormais dans le répertoire d'action des collectivités.

Cette focalisation sur les « petits gestes pour l'environnement » a par ailleurs fait l’objet d’une pluralité de critiques : elle risque en effet d'entraîner une forme de dépolitisation et d’approche très gestionnaire des questions environnementales ; on peut noter également qu’il y a eu peu de débats sur la manière dont les comportements qui faisaient l'objet d'une volonté de changement étaient ciblés : pourquoi le tri des déchets ménagers et pourquoi pas des comportements ou des pratiques de mobilité, de consommation beaucoup plus problématiques pour l'environnement ?

La problématique s’est déplacée aujourd’hui vers des enjeux d’innovation sociale, de démocratie du faire, de coopération… Cela signale une ouverture dans le quasi-monopole dont bénéficient jusqu'à présent les mondes du marché et de la politique dans leur capacité à recomposer en permanence le monde commun avec des flux d'innovation. Ce qui est valorisé, ce sont des innovations, des transformations qui n'émanent plus du marché ou de la politique mais, pour aller vite, du monde social, de la société civile, avec des conséquences et des effets intéressants.

On peut en effet faire l’hypothèse que ce nouveau flux d'innovations cible des pratiques différentes de celles visées par la méthode plus descendante pratiquée antérieurement, et que ces innovations seront construites sur d'autres équilibres entre le technique et les transformations sociales, avec un usage différent de la technologie. C’est ce dont témoignent l’essor du compostage partagé, celui des jardins partagés ou le retour (difficile) des couches lavables. Ces transformations permettront peut-être aussi de faire émerger des subjectivités d'un autre type que les subjectivités individualistes modernes, reposant sur un processus d’enrichissement mutuel et d’approfondissement conjoint des logiques et valeurs individuelles et collectives.

On peut pour conclure mentionner trois points de vigilance :

  • Comment faire pour que ces innovations ou transformations ne restent pas des isolats ? C'est toute la question du changement d'échelles.
  • Comment éviter d'aller vers des sociétés fragmentées et un renforcement des inégalités ? En prenant l'exemple de l'alimentation, comment éviter que la recomposition des modes de production et de distribution alimentaires ne reproduise et ne renforce les inégalités entre ceux qui pourront produire ou acheter du haut de gamme et les autres ?
  • Comment gérer la reconnexion de ces transformations issues de la société civile aux univers du marché et de la politique ? Certaines reconnexions peuvent être subies, quand le marché ou le politique s’emparent d’initiatives au risque que cela échappe à la philosophie de leurs initiateurs, et d’autres peuvent être choisies lorsque les innovateurs s’efforcent d’être repérés et d’institutionnaliser leur innovation, avec sans doute aussi d'autres risques à envisager.

Pour aller plus loin :

BARBIER R., 2002, « La fabrique de l'usager. Le cas de la collecte sélective des déchets », Flux, vol.  48-49, n°, p. 35-46.

RUMPALA Y., 2009, « La “consommation durable” comme nouvelle phase d'une gouvernementalisation de la consommation », Revue française de science politique, vol.  59, n° 5, p. 967-996.

Joëlle Zask, 2016, La démocratie aux champs. Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Paris, La Découverte, Les Empêcheurs de penser en rond, 256 p.