Domaines d’activité du programme 2018-2022

Le Gis Démocratie et Participation à l’heure de son renouvellement 2018-2022

L’activité du Gis

Le bilan des deux premières périodes (2009-2013, 2014-2017) du Gis Démocratie et participation montre la consistance de la communauté de recherche sur la participation du public en démocratie que son activité a permis de structurer. Avec 56 laboratoires et équipes de recherche associés au Gis, cette communauté est fortement pluridisciplinaire, la quasi-totalité des disciplines de sciences humaines et sociales y étant représentées. C’est au total près de 1.000 chercheurs et doctorants qui se sont mobilisés pour répondre aux appels à communications et participer aux Colloques, journées d’études et journées doctorales du Gis. Plus de la moitié, soit plus de 600 chercheurs et doctorants, ont un papier publié dans des Actes en ligne sur le site du Gis, dans la revue Participations, nouvelle revue de sciences sociales créée en 2011 à l’initiative du Gis et éditée par De Boeck-Cairn, ou une notice dans un « livrable-phare » du Gis, le Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, en ligne : soit, en huit ans, près de 350 papiers issus de communications mis en ligne, 120 notices du Dictionnaire et 212 articles et comptes rendus de lecture publiés dans la revue Participations, en 18 numéros.

L’importance accordée par le Gis à la publication des résultats de ses travaux manifeste le souci d’inscrire pleinement son activité dans le champ académique et d’y ancrer le nouveau domaine des études de la participation en démocratie. Ainsi, l’activité du Gis a permis de déployer ce domaine, en le dotant des structures d’animation et de diffusion de la recherche — instances du Gis, colloques, revue, ressources collaboratives… — nécessaires pour acquérir une légitimité académique en sciences humaines et sociales et bénéficier d’une pertinence sociale reconnue. Cette activité a en effet trouvé un large public au-delà du monde de la recherche, comme en témoignent les données de consultation du site du Gis (dépassant 100.000 consultations par an depuis 2014), du Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation (plus 200.000 consultations en 4 ans) ou de la revue Participations (près de 240.000 consultations en 6 ans des articles en texte intégral).

Les évolutions thématiques du Gis

L’importance prise par le Gis Démocratie et Participation tient à la capacité de cette structuration souple de la recherche de faire évoluer ses thématiques pour rester sur les questions les plus vives qui animent la communauté de recherche et, plus largement, la société. Constitué au départ sur un programme de « démocratisation de la démocratie » qui a d’abord fédéré une communauté d’études de la participation en démocratie, l’activité du Gis a progressivement mis l’accent (c’était l’axe de son premier renouvellement 2014-2017) sur la double contradiction qui traverse les phénomènes participatifs : d’une part celle opposant l’institutionnalisation (et la professionnalisation) de la participation du public aux processus décisionnels et les pratiques informelles de participation, porteuses d’une critique du politique et de la décision ; d’autre part celle opposant l’investissement de la participation par les mouvements sociaux comme vecteur d’empowerment, d’émancipation, et les usages de la participation comme instrument de gouvernement de l’action publique et des conduites sociales.

L’actualité renouvelée des revendications d’interpellation citoyenne, de pouvoir d’agir et le questionnement des formes institutionnelles aptes à les reconnaître impliquent que les études de la participation en démocratie saisissent les phénomènes de manière large : au-delà de l’analyse de dispositifs envisageant la « démocratie participative » comme réponse à la crise de la démocratie représentative, il convient de prêter attention à la multiplicité des revendications des mouvements sociaux et de collectifs multiformes (fonds d’interpellation citoyenne, droit d’initiative populaire, tirage au sort, expertise solidaire, mouvements « des places », mais aussi initiatives interrogeant les dimensions économiques des processus démocratiques…) et à la diversité des formes de participation sociale et politique, ainsi qu’au renouvellement profond des interrogations sur les formes démocratiques, tant dans le monde de la recherche que dans la société.

S’affirment également aujourd’hui des enjeux entièrement nouveaux qui bouleversent l’appréhension de la participation et de la démocratie, alors que leur critique se ravive et que des évolutions autoritaires se font jour. Les enjeux massifs des diverses transitions énergétique, écologique, numérique redistribuent les débats sur le politique, redessinent la citoyenneté et ses pratiques, réinterrogent l’égalité et la justice sociale, mettent l’accent sur la démocratie comme forme de vie, et nourrissent la revendication d’« une démocratie réelle maintenant ! », au-delà de la visée de démocratiser — ou même de radicaliser — la démocratie et ses institutions. Pas un pan ou champ de la vie politique, sociale et économique n’échappe aux conflits et luttes sur ce qu’est « faire société », et ce que participer veut dire pour y donner sens. L’orientation du Gis pour son prochain renouvellement (2018-2021) propose d’explorer les défis de l’action citoyenne, des expérimentations démocratiques, d’interroger les enjeux démocratiques des transitions en cours autour des questions que le 3ème grand colloque du Gis, Les Expérimentations démocratiques aujourd’hui. Convergences, fragmentations, portées politiques, fin janvier 2017, à la MSH Paris Nord, à commencer d’explorer. Deux ouvrages rendant compte du colloque sont en préparation.

Un nouveau rôle pour le Gis

Ce rôle de carrefour de dialogue entre des programmes de recherche évolutifs se traduit par le changement d’échelle qui marque le renouvellement du Gis pour 2018-2021 : jusque-là dédié à l’animation de la recherche, le Gis se trouve maintenant pilote d’un programme de recherche, le programme Cit’in, Expérimentations démocratiques pour la transition écologique, confié par le ministère de la Transition écologique et solidaire, tandis que le CNRS souhaite lui confier un autre programme, en cours de construction avec le CNAM et ATD Quart Monde, sur le croisement des savoirs, afin de contribuer à la structuration des « sciences participatives ».

Le programme Cit’in :

La notion de transition écologique, qui a progressivement supplanté celle de développement durable, exprime la nécessité d’adapter nos économies et nos sociétés (modes de vie, action publique, démocratie…) au respect des limites de la biosphère. Avec de nouvelles règles et indicateurs économiques pour préserver les ressources, la lutte contre les inégalités (sociales et environnementales) et l’implication des citoyen·ne·s sont décisives pour sa réussite. Mais cette dernière est souvent conçue sous l’angle de l’injonction à l’adaptation au changement climatique, ou de la résilience. Ces notions délimitent le cadre dans lequel les questions de transition en viennent à être publiquement débattues. Mais elles doivent être articulées au pluralisme des modes de relation de l’être humain à l’environnement, à la diversité des dispositions à agir, à la variété des capacités d’appropriation des politiques publiques, à l’inégale distribution des possibilités d’initiatives mais aussi des empreintes écologiques selon les groupes sociaux et selon les territoires concernés. En effet, la capacité à habiter le monde sans détruire la planète, la conscience d’une communauté de destin prennent sens et se déploient dans de multiples expériences sur les territoires. Une pluralité de chemins de la transition naît précisément de cette multiplicité d’expériences.

Le programme Cit’in se propose d’explorer la pluralité des chemins de la transition, d’y appréhender l’implication des citoyen·ne·s dans sa diversité. La participation des citoyen·ne·s recouvre à la fois des changements de comportements de consommations énergétiques, alimentaires, de mobilité ; leur appropriation des politiques publiques et des innovations des collectivités locales ou de l’État ; l’expérimentation de nouveaux choix de société sur les territoires (mouvement des villes en transition, nouvelles solidarités pour une société du bien vivre…) ; les multiples activités et pratiques des communs (coopératives autour de l’éolien, plateformes autour de données, jardins partagés…) ; le partage de bonnes pratiques de sobriété écologique, etc. En effet, la crise écologique transforme profondément les conditions de l’agir humain en même temps qu’elle questionne l’ensemble des mécanismes démocratiques. Elle impose d’« agir à temps », alors même que les connaissances pour fonder l’action ne sont jamais totalement disponibles, que les processus de décision restent souvent formatés par des conceptions de l’action environnementale dépassées par rapport à la réalité des enjeux, et que des visions catastrophistes prédéterminent l’horizon des possibles. Elle impose d’agir de manière globale et transversale, alors que l’appréhension des conséquences de l’action publique reste la plupart du temps sectorielle et nationale. Elle impose d’agir à la bonne échelle, à la fois locale et globale, alors que l’appréhension systémique à l’échelle globale conduit trop souvent à penser les solutions de manière descendante, en ne laissant que peu de marges de manœuvre aux choix politiques et à l’initiative locale ascendante. Elle impose d’agir en fonction d’horizons de long terme, alors que les processus politiques de décision restent profondément marqués par la durée du mandat électif et une conception de la représentation politique héritée du XIXe siècle.

Ces caractéristiques mêmes d’un agir efficace pour la transition écologique et énergétique posent des questions scientifiques spécifiques et inédites, en particulier en ce qu’elles impliquent de nouvelles pratiques de recherche associant chercheurs et acteurs de la transition, et la construction de savoirs en commun. Elles ouvrent pour l’action publique comme pour l’action citoyenne des débats scientifiques et politiques que le programme Cit’in entend approfondir. L’appel à manifestation d’intérêt lancé en septembre 2017 a reçu 53 réponses d’équipes de recherche en sciences humaines sociales et en sciences de l’environnement qui travaillent, ou envisagent de travailler, en particulier de manière coopérative avec les acteurs concernés, à ou sur des expérimentations démocratiques pour la transition écologique et énergétique. La réalisation du programme Cit’in entend faire travailler cette communauté de recherche en combinant :

  • Un atelier de réflexion prospective (19-20 octobre et 19-20 décembre 2017), avec les équipes ayant répondu à l’appel à manifestation d’intérêt, débouchera sur la production d’un agenda des recherches sur les expérimentations démocratiques pour la transition écologique ;
  • Un séminaire d’accompagnement 2018-2020 du programme, au rythme de 3 séances annuelles (février, juin et octobre), associera largement la communauté des chercheurs en sciences humaines et sociales et les acteurs de la transition écologique et énergétique, et facilitera le transfert des résultats des recherches vers l’action et les politiques publiques ;
  • La sélection et le financement de quelques projets de recherche visant à approfondir quelques-uns des thèmes dégagés par l’atelier de réflexion prospective. La durée des projets sera de 24 mois maximum, mi-2018 – mi-2020 ;
  • Un colloque final à l’automne 2020, largement ouvert sur le monde des acteurs de la transition écologique et énergétique ;
  • Un ouvrage final et un soutien à l’édition des travaux de recherche.

L’Espace collaboratif sur les recherches en croisement des savoirs :

Si les recherches participatives se développent dans de nombreuses disciplines, rares sont celles qui organisent concrètement la participation des non-scientifiques tout au long du processus de recherche. Elles n’incluent généralement pas les plus éloigné·e·s de la parole publique. Le croisement des savoirs avec les personnes en situation de pauvreté constitue ainsi un double enjeu et une ambition épistémologique.

Le premier enjeu consiste à concevoir la recherche autrement, partant du principe que les formes de savoirs et d’expérience sont plurielles. Il s’agit de croiser les savoirs tout au long du processus de recherche, de l’élaboration de la question de la recherche à l’analyse et à la diffusion des résultats, en passant par le choix des objets d’étude, des hypothèses et méthodes d’enquête. Si la dimension démocratique, émancipatrice, d’une telle démarche semble évidente, sa dimension épistémologique doit être consolidée. En quoi la co-production de la recherche entre chercheur·e·s, professionnel·le·s, militant·e·s et profanes apporte des connaissances nouvelles ? Quelles exigences fait-elle peser sur l’exercice de la recherche ?

Le second enjeu, à la suite des épistémologies féministes ou post-coloniales qui ont souligné l’importance des savoirs situés, est la reconnaissance des savoirs des personnes en situation de pauvreté. Les recherches menées en croisement des savoirs par ATD Quart Monde depuis plus de vingt ans démontrent que la connaissance progresse si elle fait place au savoir issu de l’expérience de la grande pauvreté. Ce savoir est construit au sein d’une démarche collective. Parce que les savoirs des personnes en situation de pauvreté sont habituellement peu visibles, parce que leur reconnaissance questionne les liens entre production des savoirs et rapports sociaux inégalitaires, ces recherches posent des questions éthiques, scientifiques et pratiques aux chercheurs comme aux professionnels, militants et personnes en situation de pauvreté.

Sur ces enjeux cruciaux pour la science et la démocratie, le CNRS, ATD Quart Monde et le CNAM ont co-organisé un colloque le 1er mars 2017 intitulé « Recherches participatives avec les personnes en situation de pauvreté » (https://croisersavoirs.sciencesconf.org/). Suite à ce colloque, le CNRS souhaite confier au Gis, en partenariat avec ATD Quart Monde et le CNAM, un programme de recherches en croisement des savoirs dont la construction est en cours. L’objectif est double. Il s’agit d’une part d’initier un espace collaboratif d’un type nouveau, au sein duquel chacun·e pourra contribuer aux recherches et faire avancer la réflexion sur les questions d’ordre éthique, méthodologique et épistémologique que ce type de recherches soulève. Il s’agit d’autre part d’encourager l’expérimentation de recherches entièrement menées en croisement des savoirs entre des personnes en situation de pauvreté accompagnées d’associations, des chercheur·e·s académiques et des professionnel·le·s. Une telle démarche vise à initier des avancées dans les mondes de la recherche, de la formation et de l’action publique.

Description détaillée des domaines d’activité

Le premier Congrès du Gis, en octobre 2011, a mis en évidence huit questions sur la participation en démocratie. Ces questions sont des terrains de discussion et de controverse : dans quelle mesure les processus participatifs affectent-ils la décision en démocratie ? Dans quelle mesureaffectent-ils les individus qui délibèrent et transforment-ils les modes d’exercice de la citoyenneté ? Dans quelle mesureaffectent-ils les représentations sociales des problèmes publics et le fonctionnement du système politique ? Dans quelle mesure affectent-ils les rapports de force entre groupes et les rapports entre conflit et coopération ? Quelles sont les conséquences des choix de design et de fonctionnement des dispositifs sur les participants et le traitement des problèmes ? Quelle légitimité politique l’institutionnalisation confère-t-elle à la participation ? La professionnalisation de la participation n’introduit-elle pas de nouvelles asymétries de savoir et de pouvoir entre les acteurs ? Comment la prise en compte de savoirs et d’expertises plurielles redistribue-t-elle les rapports entre l’autorité de la science et la légitimité démocratique dans la décision publique ? Pour la période 2018-2022, le Gis continuera son activité d’animation de la recherche sur ces questions qui, plus que d’autres, rendent nécessaire d’établir des passerelles entre les différentes disciplines de la recherche et les préoccupations des praticiens.

Cependant, avec les transitions énergétique, écologique et numérique s’affirment aujourd’hui des enjeux entièrement nouveaux qui bouleversent les manières conventionnelles d’appréhender la participation. Quel sont les points communs entre les plateformes marchandes, type Uber, les initiatives de participation collective de citoyen·ne·s à la définition de politiques publiques, les fablabs ou les chantiers d’habitat participatif ? Des convergences et des permanences se dessinent-elles entre les expérimentations citoyennes, ou ces pratiques sont-elles vouées à rester parcellaires, fragmentées, toujours à refaire ? Comment envisager leur essaimage et leur maillage ? Pourquoi certaines s’inscrivent-elles dans un fonctionnement capitaliste alors que d’autres s’ancrent dans l’économie sociale et solidaire ? Comment caractériser leurs trajectoires : pourquoi certaines durent-elles, parfois en construisant leur articulation avec les institutions existantes, voire en s’institutionnalisant, d’autres non ? Quels horizons de transformation sociale ouvrent ces trajectoires différenciées, avec quelles portées politiques ? Quelles formes de production du politique les expérimentations démocratiques (ré)inventent-elles ? Comment chercheur·e·s et acteur·rice·s de la participation peuvent-ils travailler ensemble dans ces expériences multiformes à l’approfondissement et au renouvellement de la démocratie ? Ce sont à ces nouvelles questions que le Gis Démocratie et Participation entend prioritairement se consacrer pour la période 2018-2022, à la suite de son 3ème grand colloque, Les Expérimentations démocratiques aujourd’hui. Convergences, fragmentations, portées politiques, tenu fin janvier 2017. Le Gis le fera en particulier à travers les programmes de recherche qui lui sont confiés : le programme Cit’in Les expérimentations démocratiques pour la transition écologique, confié par le ministère de la Transition écologique et solidaire ; l’Espace collaboratif sur les recherches en croisement des savoirs avec les personnes en situation de pauvreté, avec ATD Quart Monde et le Cnam, confié par le CNRS.

Ces nouveaux débats n’en confirment pas moins un positionnement de départ du Gis Démocratie et Participation : considérer la participation comme une entrée privilégiée, un point de passage obligé pour analyser les transformations de la société, plutôt que comme un objet prédéfini par une approche normative de la démocratie. Le Gis ne se donne pas une définition des expérimentations démocratiques, de la démocratie participative ou de la participation du public qui délimiterait étroitement les travaux à engager. Au contraire, l’activité du Gis vise la confrontation de travaux puisant aux diverses conceptions de la démocratie, conduits dans une distance critique ou une proximité vis-à-vis de la démocratie participative, relevant des différents courants de recherche qui traversent les disciplines des sciences humaines et sociales.

Les travaux s’organisent autour des six axes suivants pour lesquels la confrontation pluridisciplinaire et pluraliste conduite par le Gispeut apporter la plus grande contribution scientifique par rapport aux travaux engagés par ailleurs, dans le cadre de programmes de recherche thématiques ou disciplinaires.

1.      Les conceptions ou catégorisations des expérimentations démocratiques, de la participation du public et de la démocratie participative

Le caractère pluridisciplinaire et pluraliste du Gis met au centre de son activité une démarche réflexive sur les théories politiques et les cadres normatifs qui orientent les travaux de recherche comme les pratiques participatives. Il s’agit d’organiser la confrontation entre les conceptions de la société civile et de la citoyenneté, du politique et de la politique, de la représentation et de la légitimité politique, de la gouvernance et du gouvernement ouvert, du droit et de l’éthique, de la science et de l’expertise, de la justice sociale et de la reconnaissance, de la santé et de l’environnement, de l’économie et du travail…, qui sous-tendent les travaux sur la participation du public et la démocratie participative, et d’étudier les conflits normatifs que soulève leur mise en œuvre.

Les initiatives citoyennes au cœur des transitions en cours invitent à être attentif aux nouvelles manières de « faire société ». La question de la participation se trouve en effet engagée dans de nouvelles conceptions de l’agir. La participation recouvre à la fois des changements de comportements de consommations énergétiques, alimentaires, de mobilité, de santé… ; l’appropriation par les citoyen·ne·s des politiques publiques et des innovations des collectivités locales ou de l’État ; l’expérimentation de nouveaux choix de société sur les territoires (mouvement des villes en transition, nouvelles solidarités pour une société du bien vivre…) ; les multiples activités et pratiques des communs (coopératives autour de l’éolien, plateformes autour de données, habitat participatif, jardins partagés, AMAP…) ; le partage de bonnes pratiques de sobriété écologique, de gouvernance des communs, etc. ; les formes d’émancipation ou d’empowerment, d’autonomie ou de coopération engagées dans ces activités et pratiques multiformes.

Ces activités démocratiques pointent vers la question de l’éthique des besoins, les conditions et les indicateurs d’une vie heureuse ou d’une société plus juste ou plus égalitaire, et les manières d’en délibérer collectivement du local au global. Les limites du PIB comme indicateurde performance économique et de progrès social, les débats sur les indicateurs alternatifs du bien-être, du bonheur et, plus globalement, sur l’économie de la fonctionnalité, sur la sobriété, sur la décroissance, sur la justice sociale, environnementale…, sont d’abord d’ordre démocratique, avant même d’être économiques, et mettent au premier plan la question de la délibération collective nécessaire pour réorienter l’économie. Par ailleurs, les débats sur les rapports entre travail et emploi, ressources et revenus (avec les propositions de revenu universel / inconditionnel / contributif…), sur les articulations entre cotisation sociale (salariale) et contribution via l’impôt et sur la question des activités utiles à la société, interrogent la participation dans sa triple dimension de prendre part, apporter une part et bénéficier d’une part.

2.      Les trajectoires des expérimentations démocratiques en tensions entre l’institutionnalisation de la participation et les dynamiques des mobilisations

Les pouvoirs publics à l’échelle européenne, nationale comme locale ont progressivement évolué vers des modèles plus inclusifs de gouvernance et de fourniture de services et des approches plus participatives de l’élaboration des politiques publiques. Cette évolution, qui connaît de fortes différences à travers l’Europe, rencontre les principes clés du gouvernement ouvert : transparence, participation citoyenne, redevabilité, innovation, etc. Les nouvelles manières de conduire les politiques publiques, plus inclusives et proactives, la reconfiguration des systèmes d’acteurs sur les territoires avec la poursuite de la décentralisation et la structuration des acteurs associatifs depuis le Grenelle de l’Environnement appellent à considérer l’importance des dynamiques décentralisées par lesquelles les citoyen·ne·s deviennent de véritables acteur·rice·s et non plus simplement des parties prenantes de l’élaboration des politiques publiques. Mais, après plus d’une trentaine d’années d’innovation, d’institutionnalisation et de professionnalisation, la participation se retrouve sous le feu des critiques tant par ses détracteurs qui en dénoncent les excès que par ses partisans qui en déplorent les limites. D’une part, avec la crise économique et la critique d’un excès d’exigences normatives, le « droit à la participation » constitutionnalisé avec la Charte de l’environnement est présenté comme un obstacle à la croissance et au développement. D’autre part, les espoirs déçus des dispositifs institués alimentent les critiques d’une instrumentalisation de la participation au service des pouvoirs et aux dépens de résultats significatifs dans la transformation des secteurs d’action publique concernés et dans l’émancipation des individus et des groupes disqualifiés. Si ces critiques mettent en lumière l’ambivalence des dispositifs institutionnels de participation — à la fois instrument du gouvernement de l’action publique et des conduites sociales pour les institutions, et appui de pratiques d’émancipation ou d’empowerment pour les mouvements sociaux —, elles convergent vers la compréhension de la participation dans ses formes instituées comme contribuant au renouvellement de la gouvernementalité propre au néo-libéralisme.

Ces critiques témoignent des limites de l’institutionnalisation et de ses points aveugles, alors que les expérimentations démocratiques tendent à ramener les enjeux sur le terrain politique d’une conflictualité que la concertation ambitionnait de dépasser par le dialogue et la recherche de solutions négociées. Elles soulignent le paradoxe de la tension croissante entre, d’un côté, la multiplication des dispositifs de concertation pour réguler les conflits et, de l’autre, le développement de formes d’activisme et de critiques radicales qui les débordent. Les dynamiques des expérimentations démocratiques puisent dans ces tensions entre l’institutionnalisation de la participation, les transformations des formes de la critique (procédurale ; « en justice » ; radicale…), et le renouvellement des mobilisations quand celles-ci mettent en interaction toujours plus étroite l’environnement avec la santé publique, le risque technologique, l’énergie, l’expertise et la démocratie.

Il s’agit également d’interroger les trajectoires d’expérimentations citoyennes protéiformes, quand certaines pensent leur territoire comme démonstrateur d’innovations technologiques alors que d’autres ancrent des communautés durables dans l’économie sociale et solidaire, de caractériser les transformations des organisations et des logiques économiques, sociales et environnementales qu’elles inscrivent dans les territoires, et d’apprécier leur capacité à institutionnaliser de nouvelles normes démocratiques.Les initiatives locales et leur mise en réseau, la contribution de la participation citoyenne à la territorialisation des solutions, à la décentralisation de la gouvernance, conduisent à être attentifs aux controverses et aux conflits que suscite l’action publique, et plus généralement aux processus de conflits et de coopérations entre des acteurs sociaux divers, dont les intérêts divergent et qui sont porteurs de constructions très différentes des problèmes publics à traiter.

C’est particulièrement le cas avec la nouvelle économie numérique qui développe des manières inédites de travailler, de connaître et d’agir. Le numérique outille de larges communautés distribuées et appuie des formes novatrices et puissantes de participation, de mobilisation et d’action collective. Cependant, plusieurs directions des technologies de l’intelligence collective et de l’« économie du partage » se confrontent. Les débats ouverts sur l’« uberisation » de la société, sur l’« économie de plateforme », se structurent autour de l’opposition entre le collaboratif et le coopératif (formes collaboratives de consommation vs formes coopératives de production) et soulèvent la question des valeurs qui sous-tendent ces nouvelles formes économiques quand la dimension collaborative de la nouvelle économie peut se limiter à des formes d’intermédiation entre consommateurs et offreurs de services, voire se transformer rapidement par la concentration financière des offreurs en une économie de prédation.

3.      Les dynamiques de politisation dans les expérimentations démocratiques

Partout en Europe, des initiatives citoyennes (fablabs et le « mouvement » du do-it-yourself, jardins partagés, AMAP,…) prennent racine, renouvellent les rapports à l’innovation et à la création, à la production et à la consommation, et signalent la montée d’une démocratie du faire. Aussi, le Gis oriente-t-il prioritairement sa réflexion sur les expérimentations démocratiques, les pratiques non institutionnalisées de participation, de type bottom up. Des différents conflits d’usage, environnementaux ou urbains aux nouvellesformes de participation politique contournant les partis traditionnels, il s’agit de s’interroger sur les mobilisations etles collectifs émergents, leurs objets et leurs enjeux, sur les formes de politisation qui naissent ou non dans ces activités ainsi que sur la signification politique de tout ce qui se joue hors des institutions traditionnelles.

Des collectifs se constituent dans la coproduction d’espaces ou de tiers-lieux, y construisent des règles de fonctionnement, les finalités et horizons d’attente de leur action. L’implication des citoyen·ne·s varie fortement dans la gouvernance, le portage et le financement des initiatives, du financement participatif à la gestion directe par et pour les citoyen·ne·s de projets. Ces formes inédites d’organisation permettent de mieux reconnaître les capacités des individus et des collectifs. Plus généralement, la question des communs invite à être attentif à toutes les activités consistant à « mettre en commun », autravail coopératif nécessaire pour organiser le partage et la mutualisation des ressources et des données, aux nouvelles manières de « faire société », et aux obstacles auxquels elles se heurtent. Mais certaines formes collaboratives, que ce soit entre habitant·e·s d’un quartier populaire ou entre participant·e·s d’un chantier autogéré, n’ont ni ne visent forcément une traduction politique à proprement parler, quand elles ambitionnent la réduction des vulnérabilités, le développement de capacités d’action réelles sur le contexte économique et politique, ou l’organisation de nouvelles solidarités. Comment les prendre en compte dans les débats actuels sur la démocratie et la participation, sans les labelliser comme politiques « malgré elles » ? Par ailleurs, certaines initiatives citoyennes tendent à prendre en charge ces enjeux sous des formes excluantes ou témoignent de replis hostiles à des acteur.trice.s perçues comme des « adversaires » ou des « concurrents ». Dans quelle mesure ces formes et pratiques obligent-elles à repenser la question même de ce qui « est » ou « fait » politique ?

4.      L’émancipation et le maillage des expérimentations démocratiques

L’émancipation revient au centre des préoccupations des citoyen·ne·s et est réinvestie comme référent majeur des expérimentations démocratiques actuelles qui valorisent l’autonomie, le pouvoir d’agir et l’intelligence collective. Les initiatives citoyennes expérimentent des modes de transparence, d’écoute bienveillante, d’horizontalité, censées favoriser l’inclusion radicale, l’égalité, la coopération, la légitimité du faire. Elles confrontent les décisions et la délibération publiques à de nouvelles exigences : bien commun, utilité, justice sociale et environnementale, responsabilité… les conduisant à devoir intégrer et reconnaître les compétences ordinaires des citoyen·ne·s et les inclure dans l’élaboration de critères pertinents du bien-être et de l’égalité.

Les expérimentations démocratiques alimentent ainsi de nouveaux processus de subjectivation politique, de nouvelles pratiques réarticulant les individus et les collectifs à la politique. Les formes de mise en lien d’initiatives venant d’horizons très éloignés sont porteuses d’une redéfinition du politique, plus horizontale, non hiérarchique. Les expérimentations démocratiques constituent aujourd’hui un socle d’expériences disponibles, instrumentées pour pouvoir faire fonctionner autrement la démocratie. Àl’opposé des nouvelles formes de solidarité mises en œuvre par l’économie sociale et solidaire, le credo libéral — être l’« entrepreneur de soi-même » — se répand également, survalorisant l’entrepreneur·e, l’initiative et l’aventure individuelles, etprônant la disparition de l’entreprise comme institution. Il convient dès lors de s’interroger sur ce qui fait société dans ce que mettent en œuvre les initiatives citoyennes, sur la manière dont elles produisent concrètement de l’émancipation, ou au contraire peinent à dépasser les apories d’expériences précédentes.

Débattre, produire, fabriquer, consommer, offrir des services, aménager des espaces publics, des lieux communs, apprendre, échanger, partager… : que font les citoyen·ne·s ensemble et désormais en dehors des cadres institutionnels et sociaux conventionnels ? Par-delà les objets, actions, services faits ensemble, que nous apprennent ces expérimentations sur l’action sociale, l’action économique et l’action politique contemporaines, sur leurs conditions de réalisation et sur le sens dont elles sont porteuses ? Comment saisir également les « confluences perverses », quand des pratiques similaires se déploient au nom de projets politiques très différents : l’horizon visé est-il alors celui d’une émancipation collective ou bien strictement individuelle ? Comment la question de la « responsabilité » est-elle pensée dans ses liens avec les enjeux démocratiques ?

Il s’agit également de réfléchir sur la mise en relation de différentes expérimentations démocratiques, sur les ponts qu’elles construisent entre elles, sur la manière dont ces initiatives se disséminent et peuvent dessiner un mouvement d’ensemble. Des expérimentations « locales » ont en effet pu essaimer dans le monde entier, devenir des références largement partagées en s’intensifiant, en se donnant le temps de se développer et de s’approfondir. Comment penser les connexions émergentes parmi les pratiques des communs, caractériser des formes qui donnent à ces expérimentations la capacité d’acquérir une puissance d’action au-delà du local ? Sur certains types de communs, des acteurs purement capitalistes, par exemple Blablacar ou le Bitcoin, ont par une dynamique bottom-up construit un maillage bien peu égalitaire et démocratique : comment discriminer de tels phénomènes privatifs des dynamiques participatives existantes dans la société ?

Le maillage peut également s’envisager à travers l’identification et la valorisation de nouvelles formes de savoirs, par exemple des savoirs d’interface nécessaires à la construction des collectifs et au déploiement des expérimentations. Des militant·e·s, des professionnel·le·s cherchent par ailleurs via la participation un moyen de renouer avec les principes de l’éducation populaire, dans une visée d’émancipation des précaires, des discriminé·e·s, etc. Pour autant, les dispositifs participatifs qu’ils mettent en œuvre peuvent rester tributaires d’un arbitraire institutionnel, d’une « injonction à l’autonomie », et redoubler au contraire les inégalités. Des conceptions de la citoyenneté selon lesquelles c’est aux individus de s’adapter au langage et aux pratiques citoyennes légitimes — et non aux institutions de reconnaître un pluralisme d’engagements citoyens et de s’ouvrir à la critique — peuvent venir freiner les processus d’émancipation.

5.      La construction de savoirs en commun dans une démarche coopérative

Les expérimentations démocratiques questionnent les modes de production des connaissances. Avec le numérique, l’essor de la recherche participative ou coopérative ou des sciences participatives — pratiques qui se sont largement diffusées en seulement quelques années — signale le bouleversement des possibilités de production et de collecte de données pour la recherche, et ouvre à de nouvelles formes de production et de circulation des connaissances. Partant du principe que les formes de savoirs et d’expérience sont plurielles, le premier enjeu consiste à concevoir la recherche autrement. Il s’agit de produire des savoirs en commun tout au long du processus de recherche, de l’élaboration des questions de recherche à l’analyse et à la diffusion des résultats, en passant par le choix des objets d’étude, des hypothèses et méthodes d’enquête. La participation des citoyen·ne·s ordinaires à la science est, autant que la participation politique, une question de démocratie : elle touche au caractère public et ouvert de la science comme (bien) commun. Car, dans le même temps où foisonnent des initiatives citoyennes, des offensives agressives des majors du numérique, de la santé, de l’édition scientifique, etc., façonnent des modes de vie, des manières de travailler et, avec l’appropriation privative des données moissonnées notamment, redéfinissent les manières de produire la connaissance et ses finalités.

Pourtant, la question de la participation des « citoyen.nes ordinaires » à la science reste une question controversée, bien plus encore que celle de la participation politique au sens large. Car elle met en cause une frontière, voire une hiérarchie, entre ceux·elles-ci et les expert·e·s, donc le monopole de la production de la connaissance par les scientifiques professionnels. Elle interroge les rapports sociaux inégalitaires en jeu dans la reconnaissance de savoirs de types différents. Quelles transformations des rapports entre autorité des connaissances scientifiques et ouverture du débat démocratique s’opèrent quand les politiques publiques (environnement, santé, social, éducation) entendent s’ancrer dans une citoyenneté renouvelée (démocratie écologique, démocratie sanitaire, pouvoir d’agir, etc.) ? Quelles relations entre les divers savoirs, connaissances, expertises et normes dans ces politiques et dans la production scientifique ? La mise à distance de la traditionnelle démarche positiviste en science risque-t-elle d’aboutir à du pur relativisme, à l’érosion de l’expertise et du savoir scientifique ? Quelles exigences fait-elle peser sur l’exercice de la recherche ? À quelles conditions la confrontation de connaissances plurielles et la co-production de la recherche entre chercheur·e·s, professionnel·le·s, militant·e·s et profanes apporte-t-elle des connaissances nouvelles ? produit-elle de la connaissance nouvelle ?

Si les recherches participatives se développent dans de nombreuses disciplines, rares sont les lieux institutionnels ou les programmes qui organisent concrètement la participation des non-scientifiques tout au long du processus de recherche. Comment repenser les pratiques de recherche pour renforcer leur caractère démocratique, tant dans leur production que dans leur diffusion ? Quelles relations instaurer entre chercheur·e·s et autres acteur·rice·s pour prendre au sérieux la question du croisement des savoirs ? Si la dimension démocratique, émancipatrice d’une plus granderéflexivité de l’ensemble des acteur·rice·s de la participation sur leurs formes d’implication et d’engagement est largement reconnue, sa dimension épistémologique doit être consolidée. À la suite des épistémologies féministes ou post-coloniales qui ont souligné l’importance des savoirs situés, l’enjeu est alors la reconnaissance des savoirs des personnes en situation. Les recherches menées en croisement des savoirs par ATD Quart Monde depuis plus de vingt ans démontrent que la connaissance progresse si elle fait place aux savoirs issus de l’expérience : parce que les savoirs des personnes en situation de grande pauvreté sont habituellement peu visibles, parce que leur reconnaissance questionne les liens entre production des savoirs et rapports sociaux inégalitaires, ces recherches posent des questions éthiques, scientifiques et pratiques aux chercheur·e·s comme aux professionnel·le·s, militant·e·s et personnes en situation de pauvreté ou de minorisation. Le Gis entend les porter dans les recherches sur les expérimentations démocratiques et la participation.

Le Gis entend mettre en œuvre une démarche coopérative s’inspirant de cette longue expérience pour comprendre comment les résultats de la recherche en sciences humaines et sociales contribuent au déploiement des expérimentations démocratiques, à leur maillage à différentes échelles, et influencent la diffusion de la participation et la conduite des processus de démocratie participative. La coopération avec les acteur·rice·s des expérimentations démocratiques et de la démocratie participative répond à une demande de clarification des idéaux normatifs et des concepts utilisés, d’éclairages sur leur émergence, leur histoire et leurs usages, de discernement des finalités et de leurs conséquences pratiques. Mais les formes d’implication ou d’association entre sphères académiques, associatives, militantes et/ou institutionnelles sont très variables selon les objets en débat (gestion de l’eau, rénovation urbaine, santé environnementale, questions sociales…). Il convient alors d’explorer plus avant comment s’effectuent les processus de repérage et de sélection d’objets « importants », « pertinents » ou « interdits » : du côté des « professionnel·le·s », quelle est la part d’un contexte d’« injonction participative », des effets de mode, des stratégies de légitimation au sein de leur espace professionnel ou vis-à-vis d’autres acteur·rice·s ; ou encore des objectifs de contournement de rapports hiérarchiques rendant par exemple l’innovation ou la transformation difficiles. Les mêmes questions peuvent se poser à propos des acteur·rice·s associatifs, quand, par exemple, ils travaillent avec des chercheur·e·s pour « valider » auprès des partenaires locaux la pertinence du développement du pouvoir d’agir des habitants. S’agissant des chercheur·e·s, pourquoi et comment décident-ils d’investir tel dispositif, mobilisation ou question ? Pourquoi ignorent-ils certains enjeux ? Quelle est la part des stratégies professionnellement porteuses, des « modes » dans les courants de recherche, des enjeux de légitimation ou d’innovation scientifique, ou des volontés de repérage de « signaux faibles » ou de pratiques potentiellement transformatrices de la société ?

6.      Les effets de la participation du public aux processus décisionnels et la portée des expérimentations démocratiques

La question de l’influence de la participation sur le politique reste une question majeure. Les effets de la participation du public aux processus décisionnels sont à la fois des effets politiques, des effets décisionnels et organisationnels et des effets culturels. Une abondante littérature distingue classiquement trois grandes modalités d’influence des dispositifs participatifs sur ces trois plans : une influence directe sur le contenu des politiques publiques lorsque la portée décisionnelle du dispositif est institutionnalisée (comme pour les budgets participatifs), une influence indirecte sur les idées et la carrière du problème public traité (l’évolution de sa perception, la transformation des arguments, l’apparition de nouvelles connaissances), et une influence indirecte par l’apprentissage des acteurs (une évolution de leurs compétences et de leurs positions). Mais de nombreux travaux ont également montré que les études centrées sur les seuls dispositifs ne permettaient pas de saisir l’expérience démocratique des participants, son caractère ouvert, toujours en tension entre modèles idéaux de la démocratie qui fournissent des horizons d’action, et contraintes pragmatiques de l’action, indissolublement communicationnelles et stratégiques. Plusieurs voies s’ouvrent pour affronter la disjonction entre la description fine des échanges au sein d’un dispositif de participation et l’analyse de son influence sur la décision ou de sa portée dans l’espace médiatique et dans l’espace politique. Ces questionnements peuvent également guider la réflexion sur la portée des expérimentations démocratiques. Les travaux du Gis s’interrogeront sur ces modalités d’influence de la participation et des expérimentations démocratiques, et sur leurs conditions de réalisation, en confrontant des approches disciplinaires diverses, notamment historiques et philosophiques, et des courants de recherche différents, critiques vis-à-vis de la participation ou engagés dans la mise en œuvre de la démocratie participative.

Il s’agit en particulier d’étudier comment les expérimentations démocratiques produisent des effets politiques et agissent sur le fonctionnement du système politique. Comment changent-elles les modes de structuration des problèmes publics et les modalités de la représentation politique ? À quelles conditions peuvent-elles amener un basculement de normes sociales et politiques (égalité femme-homme, reconnaissance des savoirs des citoyen·ne·s ordinaires, prise en compte de l’environnement, tri des déchets, circuits courts…) ? Comment leur institutionnalisation parvient-elle à faire de l’expérimentation un mode de gouvernance ou une technologie de gouvernement transformant la fabrique de la norme ? Mais comment des pans entiers de l’action publique se soustraient-ils néanmoins à ce nouveau régime de gouvernementalité ? Comment les expérimentations démocratiques remanient-elles les répertoires de l’action collective et les formes d’engagement civique, sans nécessairement se penser d’emblée comme politiques ? Comment redéfinissent-elles les rapports des citoyen·ne·s à l’élaboration de la loi et à la mise en œuvre du droit ?

Il s’agit également d’étudier comment les expérimentations démocratiques engendrent des effets culturelsparce qu’elles touchent à la démocratie en tant que forme sociale, mode de vie et pas seulement régime politique. Il s’agit en particulier d’analyser comment la démocratie participative peut déboucher sur plus de justice sociale. Comment la participation installe-t-elle dans l’espace public des arguments qui modifient le sens commun des acteurs et comment produit-elle une culture du débat public ? Comment remanie-t-elle les usages publics de la raison et les expressions des émotions (politiques) ; comment transforme-t-elle les modes d’exercice de la citoyenneté, les modes d’appropriation citoyenne du politique ?