De la consultation à la participation

ETHUIN Nathalie et GOURGUES Guillaume (2011),
Présentation de l'atelier "De la consultation à la participation"
lors de la seconde journée doctorale sur la participation du public et la démocratie participative,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, 18 octobre 2011.

 

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 Présentation :
Comprendre les ressorts de l'offre publique de participation

 

La question de la production de « l’offre publique » de démocratie participative a été récemment réinvestie comme une question centrale de l’analyse des formes contemporaines de la participation publique. Si en 2007, Cécile Blatrix signalait que « l’analyse des conditions d’émergence de chacune  de ces institutions [participatives] constitue un point relativement aveugle dans la littérature en sciences sociales », les études sur la genèse des réformes participatives sont de plus en plus nombreuses et renseignées empiriquement. L’ambition centrale de ces études est de dépasser les seules  analyses des vices et vertus de la mise en œuvre d’instances de démocratie participative : il s’agit d’en comprendre les ramifications politiques, les conditions de mobilisation, les luttes (souvent discrètes) préalables à leur mise en œuvre afin de dégager les origines politico-institutionnelles d’un « tournant » qu’on tend – souvent trop hâtivement – à présenter sous forme « d’impératif ».  

 

Les trois articles de cet atelier proposent, à leur manière, des perspectives de recherche sur l’apparition d’instances participatives très hétérogènes, relevant du dialogue social, de la concertation urbaine et de la  démocratie semi-directe. Malgré cette diversité, ces articles proposent ainsi de saisir et de disséquer l’instant de réforme où les instances de consultation sont progressivement changées en projet pleinement « participatif ». La création d’instances officielles de consultation dans l’Education Nationale par le ministre (atypique) Fontanet, les arènes de concertation publique de la ville de Montréal ou les référendums locaux anglais constituent tous des points d’observations fertiles, permettant de traiter plusieurs questions : pourquoi les autorités publiques (ministère, municipalité) renforce-t-elle les modalités et les procédures de débat public ? Pourquoi se tournent-elles vers tel ou tel type de dispositif ? Qu’advient-il de ces dispositifs ? A ces questions, les textes apportent un ensemble de réponses communes mais également plusieurs éclairages spécifiques, que nous souhaitons présenter succinctement, en guise de prologue à la lecture de chacun des ces articles.  

 

Le principal enseignement de ces textes  nous semble tout à fait crucial. En effet, chacun d’entre eux montrent comment l’offre de participation se déploie en dehors de tout effet de « demandes ». La faiblesse de la demande sociale de participation n’est pas une question neuve (Godbout, 1983), mais elle est traitée, ici, sous un angle particulier qui est celui du décalage permanent entre les offres institutionnelles de participation et les stratégies et attitudes des publics auxquels s’adressent potentiellement cette participation. Dans le cas de la concertation menée par Fontanet, se présentant alors comme un projet ambitieux de modernisation du dialogue social autour de la réforme de l’enseignement, Isabelle Colas-Degenne montre comment cette ouverture suscitera la méfiance  des syndicats, ne souhaitant pas être courtcircuités par un processus trop vérouillé. A Montréal, Sophie Hamel-Dufour souligne, en étant explicitement normative, que l’accumulation de  dispositifs participatifs « mal » conçus ne peut que susciter l’agacement des riverains, qui ne se tournent pas vers l’offre publique de participation, préférant engager un conflit plus dur. Les référendums locaux anglais, sous la plume de Matis Laisney, témoignent également, grâce à la perspective comparée, de leur formidable déconnexion avec la demande de participation : le recours à ces instances est ancré dans la législation et les situations que doivent surmonter les élites locales (conflit d’aménagement, hausse des taxes, etc.) plus  que dans une demande de participation semi-directe. Les chiffres aléatoires et fluctuants des taux de participation à ces référendums le démontrent à eux-seuls. Ces trois textes rappellent que le chemin institutionnel vers une plus forte place accordée à la participation publique sont souvent pavés de bonnes intentions de réforme, sans pour autant « répondre » à une aspiration des acteurs sociaux, qu’ils soient syndiqués ou riverains. La « demande » de participation n’est pas absente pour autant : les syndicats veulent prendre  part à la réforme de l’éducation, les riverains veulent être entendus dans leur refus de l’implantation d’un nouveau stade, et les habitants prennent part aux référendums. Mais l’adéquation entre offre et demande n’est jamais un acquis : elle est fluctuante, négociée, et dépend de l’état des rapports de force. 

 

Les trois textes livrent également, et dans des approches très différentes, des enseignements importants pour quiconque s’intéresse à la question de la genèse et de la conduite des réformes participatives. Isabelle Colas-Degenne rappelle l’importance, historique en l’occurrence, des réseaux de réformateurs au sein des institutions publiques. Ces « instituants révoltés », pour reprendre l’expression de Jacques Chevallier (1981), s’appuient sur leur nébuleuse pour conduire les aménagements qu’ils estiment nécessaires. Ce poids des réformateurs permet de comprendre les réticences d’autres acteurs (politiques, administratifs, syndicaux) face à l’ouverture de ces espaces légaux de participation.  

 

Sophie Hamel-Dufour replace quant à elle l’enjeu d’une réforme participative dans son contexte politique et social actuel : la démocratie participative doit prendre garde à la dérive techniciste de la gouvernance locale, fermant le débat public par l’argument de l’expertise, seul à même de définir le bien commun, tout en maintenant des espaces fantômes de participation, d’où le politique reste absent (Gaudin, 2008). D’autres acteurs clés apparaissent alors : les fonctionnaires en charge d’animer ces espaces participatifs, qui doivent gérer les frustrations des citoyens face à la dépolitisation des débats, sans pouvoir au final intervenir sur ce manque de politisation. Leur importance dans la concrétisation des ambitions affichées lors du passage déclaré de la consultation à  la participation apparait aujourd’hui aux yeux de nombreux analystes des instances de participation publique.  

 

Matis Laisney reprend de son côté le fil des discussions académiques sur la portée des référendums locaux en Europe (Scarrow, 1997 ; Budge, 2008). Le cas anglais valorise alors  la pluralité des stratégies à l’œuvre dans la mobilisation de ces outils de démocratie semi-directe, rappelant que les motivations de la mise en œuvre d’un vote par référendum peuvent largement dépasser le seul cadre de la manipulation électoraliste ou démagogique. La volonté de manager toujours plus finement les politiques publiques poussent les élites locales à multiplier les détours participatifs, oubliant peu à peu l’intérêt strictement « démocratique » de tels exercices. Sans être réduit au portrait schumpetérien de l’entrepreneur politique avide de parts de marché, l’élu mobilisant le référendum tend bel et à bien à privilégier un impératif de management, risquant de vider les exercices référendaires de leur sens public. 

 

Ces trois enseignements (place des réformateurs, des street-level bureaucrats, et des impératifs de management) constituent autant d’avancées importantes pour la recherche sur la montée en puissance des réformes participatives.  

 

 

 

 Actes du Premier Congrès du GIS Démocratie & Participation