Croiser les savoirs avec tou·te·s. Les journées de l'Espace collaboratif pour le développement des recherches en croisement des savoirs

Espace collaboratif en croisement des savoirs

 

Un partenariat entre ATD Quart Monde, le CNAM et le CNRS (via le Gis Démocratie et Participation) a permis de mettre en place un espace collaboratif permanent autour des recherches en croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté. La signature officielle de la convention a lieu le 5 novembre 2019 au CNAM.

L’origine en est le Colloque organisé par le CNRS/ATD Quart Monde et le Cnam « Construire les savoirs avec tou.te.s ? » le 1er mars 2017 au siège du CNRS  (voir le compte rendu dans la Lettre de l'InSH de mai 2018). Ce colloque avait marqué la nécessité de soutenir réflexions, expérimentations, évaluations relatives aux pratiques de recherches participatives en croisement des savoirs avec les personnes en situation de pauvreté, et à susciter l’émergence de projets de recherches de ce type au sein de la communauté scientifique.

C’est l’objet de l’Espace collaboratif qui mobilise associatifs, personnes en situation de pauvreté, professionnels et chercheurs de toute la France. C’est une aventure collective passionnante et passionnée aussi : nous soulevons des enjeux de pouvoirs, de savoirs, qui sont peu souvent débattus, qui sont parfois conflictuels.

Notre ambition : creuser le sillon d’une « épistémologie post-pauvreté », en écho aux épistémologies féministes et postcoloniales. Au sein des recherches participatives, diverses, ces épistémologies proposent une lecture ambitieuse des rapports entre production des connaissances et inégalités sociales. L’exclusion du processus de production de la connaissance et d’accès aux résultats peut redoubler la violence sociale et économique que les personnes historiquement marginalisées subissent par ailleurs (Fricker, 2007 ; Medina, 2013 ; Santos ; Godrie, 2019).

Notre double postulat : (1) la science est plus complète quand elle prend en compte les savoirs « situés », invisibles, d’usage, d’expérience, ignorés -  ici, les savoirs des personnes en situation de grande pauvreté (2) l’enjeu démocratique : il n’y a pas de démocratie, ou bien incomplète là-aussi, quand une partie de la population est tenue à l’écart, n’est pas entendue, pas crue.

Il s’agit donc d’assumer une visée de démocratisation de la science et de la société, en développant une réflexion sur la production des connaissances en lien avec la « justice cognitive » (Visvanathan, 1997). Cela passe par la reconnaissance de savoirs pluriels.

Les deux premières journées de l’Espace collaboratif

Nous avons organisé deux journées, une en juin 2018, une en juin 2019, qui ont réuni une soixantaine de personnes organisés en trois groupes :

  1. chercheurs de différents laboratoires (pluridisciplinaire)
  2. praticiens dans le champ du développement social,
  3. militants de trois associations (Centre social des Trois Cités de Poitiers, Université Populaire des Parents d'Aulnay et ATD Quart Monde)

Alternance de travail en groupes de pairs, puis en plénière (en croisement)

Il s’agit d’expérimenter la méthode de travail en croisement des savoirs, permettant à chacun des groupes représentés de construire d’abord une réflexion entre personnes de même appartenance – les « groupes de pairs » –, avant de la partager avec les autres groupes.

Il s’agit aussi d’étudier, discuter une recherche différente par journée, qui est élaborée de A à Z de manière participative avec des personnes en situation de pauvreté et des professionnel.les.

Lors de la première journée le 20 juin 2018, la recherche internationale en croisement des savoirs menée conjointement par l’université d’Oxford et ATD Quart Monde sur les dimensions de la pauvreté et leurs mesures. (https://www.atd-quartmonde.org/sortie-du-rapport-recherche-les-dimensions-cachees-de-la-pauvrete/) a été présentée et discutée. Vous en trouverez ci-joints la présentation et le compte rendu (pdf).

Lors de la deuxième journée le 11 juin 2019, la recherche Confcap-Capdroits sur les conditions d’appropriation des droits fondamentaux des personnes vulnérables (https://confcap-capdroits.org/) a été présentée et discutée. Vous en trouverez ci-joints la présentation et le compte rendu (pdf).

Les premiers éléments issus de ces deux journées :

La recherche participative avec des personnes en situation de pauvreté prend du temps, et ce temps n’est pas le même pour tous ! Un exemple, le temps de préparation de la journée de juin 2019 a nécessité :

  • 3 journées de préparation pour les personnes en situation de pauvreté
  • 1 journée pour les praticiens
  • ½ journée pour les chercheurs

Des enjeux de savoirs, donc de pouvoirs, sont travaillés au sein de cet espace : les différents acteurs ont des méthodes différentes ; des enjeux de compétition/ légitimité, des tensions apparaissent :

  • Exemple : trois groupes de pairs bien distincts et temps de croisement des savoirs chez ATD, versus trinômes toujours mélangés et méthode plus souple chez Capdroits.
  • Place des praticien.nes pas toujours facile à trouver dans ce tryptique
  • Rôle des associations dans l’accompagnement des personnes en situation de pauvreté
  • Réactions de certains chercheur.es : « nous on fait de l’ethnographie, on est au plus proche des gens, quelle différence ? »
  • Qui est à l’initiative de la recherche, qui en tire le plus de bénéfices ?

Des représentations très différentes de la « recherche participative » et des contributions de chacun. Exemple : lors du photolangage sur la collaboration entre chercheurs, pauvres et praticiens de la journée de juin 2019, le groupe des personnes en situation de pauvreté a choisi une photo d’une foule dans laquelle tous portent le même masque blanc (c’était avant la sortie du film Jocker ;-)

Leur choix de photo était accompagné de ce texte :

« Nous, les    personnes   en difficulté, est-­‐ce qu'on nous prend au sérieux ?  Est‐ce qu'on existe en tant que personnes ? On est trop souvent des personnes invisibles, tout en étant présent.e.s. »  

Les freins : le temps que ça prend, les réticences des tutelles professionnelles, l’organisation mais aussi le manque de reconnaissance scientifique, le soupçon de « manipuler » les gens

Les apports : connaissances + publicisation de problèmes publics (exemple : privation de droits excessives et dommageables en France) + émancipations + transformations dans pratiques de recherche, professionnelles…

Bref : un chantier passionnant, à soutenir !