Cit’in : Axes du programme de recherche

L’objet de l’appel à manifestation d’intérêt est de constituer une communauté de recherche sur la transition écologique en associant aux travaux du programme Cit’in les équipes de recherche en sciences humaines sociales et en sciences de l’environnement qui travaillent, ou envisagent de travailler, en particulier de manière coopérative avec les acteurs concernés, à ou sur des expérimentations démocratiques pour la transition écologique et énergétique.

Le programme de recherche étudiera les expérimentations conduites dans les territoires à l’initiative des citoyen·ne·s et des acteurs locaux et explorera les manières d’apprécier et de valoriser la contribution de la société civile et de la participation citoyenne à la transition écologique et énergétique. Le texte de l'appel à manifestation d'intérêt définit plusieurs axes d'approfondissement. Le programme comprend :

  • un atelier de réflexion prospective (automne 2017) destiné à explorer, de manière ouverte avec les acteurs de la transition écologique et énergétique, les initiatives citoyennes et les expérimentations démocratiques sur les territoires ;
  • un séminaire d’accompagnement 2018-2020 du programme, au rythme de 3 séances annuelles (aux mois de février, juin et octobre) ;
  • le financement de quelques projets de recherche (durée de 24 mois maximum, entre mi-2018 et mi-2020) visant à approfondir quelques-uns des thèmes dégagés par l’atelier de réflexion prospective ;
  • un colloque final (automne 2020), largement ouvert sur le monde des acteurs de la transition écologique et énergétique ;
  • un ouvrage final et un soutien à l’édition des travaux de recherche.

Les chercheur·e·s et équipes académiques et coopératives répondant à l’appel à manifestation d’intérêt seront associé·e·s au déroulement des travaux du programme : il·elle·s seront sollicité·e·s pour présenter leurs travaux lors de l’atelier de réflexion prospective ou lors du séminaire d’accompagnement. Certaines équipes seront sollicitées par la Comité de pilotage du programme pour déposer un projet de recherche susceptible d’être financé dans le cadre du programme.

>>>Télécharger le texte de l'appel à manifestation d'intérêt

Calendrier : réponses à l’AMI attendues pour le 6 octobre 2017

>>>Voir les modalités de réponse

Les répondant·e·s seront sollicité·e·s par le Comité de pilotage pour participer à l’Atelier de réflexion prospective du programme. Plus qu’un état des lieux collectif, cet atelier proposera aux participant·e·s, en s’appuyant sur des techniques d’animation créatives, de travailler sur la pluralité des chemins de la transition, les conditions de leur mise en œuvre, et les recherches qui restent à conduire pour répondre aux questions soulevées. Deux séquences de deux jours sont prévues, chacune rassemblant une quarantaine de personnes :

- jeudi 19 et vendredi 20 octobre 2017 : premier atelier de réflexion prospective : « Explorer les chemins de la transition » ;

- jeudi 19 et vendredi 20 décembre 2017 : second atelier de réflexion prospective : « Élaborer l’agenda des recherches ».

Axes de l’appel :
La pluralité des chemins de la transition

La notion de transition écologique, qui a progressivement supplanté celle de développement durable, exprime la nécessité d’adapter nos économies et nos sociétés (modes de vie, action publique, démocratie…) au respect des limites de la biosphère. Avec de nouvelles règles et indicateurs économiques pour préserver les ressources, la lutte contre les inégalités (sociales et environnementales) et l’implication des citoyen·ne·s sont décisives pour sa réussite. La participation des citoyen·ne·s recouvre à la fois des changements de comportements de consommations énergétiques, alimentaires, de mobilité ; leur appropriation des politiques publiques et des innovations des collectivités locales ou de l’État ; l’expérimentation de nouveaux choix de sociétésur les territoires (mouvement des villes en transition, nouvelles solidarités pour une société du bien vivre…) ; les multiples activités et pratiques des communs (coopératives autour de l’éolien, plateformes autour de données, jardins partagés…) ; le partage de bonnes pratiques de sobriété écologique, etc.

L’implication des citoyen·ne·s dans l’action pour la transition écologique et énergétique est souvent conçue sous l’angle de l’injonction à l’adaptation au changement climatique ou de la résilience. Ces notions délimitent le cadre dans lequel les questions de transition en viennent à être publiquement débattues mais doivent être articulées au pluralisme des modes de relation de l’être humain à l’environnement, à la diversité des dispositions à agir, à la variété des capacités d’appropriation des politiques publiques, à l’inégale distribution des possibilités d’initiatives mais aussi des empreintes écologiques selon les groupes sociaux et selon les territoires concernés. En effet, la capacité à habiter le monde sans détruire la planète, la conscience d’une communauté de destin prennent sens et se déploient dans de multiples expériences sur les territoires. Une pluralité de chemins de la transition naît précisément de cette multiplicité d’expériences.

Pour explorer la pluralité des chemins de la transition, le programme Cit’in propose de faire dialoguer deux manières d’appréhender l’implication des citoyen·ne·s dans la transition : un regard à partir des politiques publiques inclusives ; un regard à partir des expérimentations citoyennes quelle qu’en soit la forme. En effet, la crise écologique transforme profondément les conditions de l’agir humain en même temps qu’elle questionne l’ensemble des mécanismes démocratiques. Elle impose d’« agir à temps », alors même que les connaissances pour fonder l’action ne sont jamais totalement disponibles, que les processus de décision restent souvent formatés par des conceptions de l’action environnementale dépassées par rapport à la réalité des enjeux, et que des visions catastrophistes prédéterminent l’horizon des possibles. Elle impose d’agir de manière globale et transversale, alors que l’appréhension des conséquences de l’action publique reste la plupart du temps sectorielle et nationale. Elle impose d’agir à la bonne échelle, à la fois locale et globale, alors que l’appréhension systémique à l’échelle globale conduit trop souvent à penser les solutions de manière descendante, en ne laissant que peu de marges de manœuvre aux choix politiques et à l’initiative locale ascendante. Elle impose d’agir en fonction d’horizons de long terme, alors que les processus politiques de décision restent profondément marqués par la durée du mandat électif et une conception de la représentation politique héritée du XIXe siècle. Ces caractéristiques mêmes d’un agir efficace pour la transition écologique et énergétique ouvrent pour l’action publique comme pour l’action citoyenne des débats scientifiques et politiques que le programme Cit’in entend approfondir.

Le programme de recherche explorera dans ce sens la pluralité des initiatives conduites dans les territoires, les diverses manières qu’ont les acteurs de faire face à la production de vulnérabilités, de définir et de se saisir des contraintes adaptatives, d’envisager l’essaimage et le maillage des expérimentations démocratiques, de construire leur articulation avec les institutions existantes. Ces multiples activités interrogent la participation dans sa triple dimension de prendre part, d’apporter une part et de bénéficier d’une part.

Le programme nouera le dialogue entre l’analyse de la transformation des politiques publiques et les expérimentations citoyennes pour la transition écologique et énergétique, plus particulièrement autour des quelques axes suivants.

1. La fabrique participative et la conduite démocratique des politiques publiques

Les nouveaux défis de la transition écologique et énergétique, les situations d’irréversibilité, de finitude, de limites et de délais qui les caractérisent, ont conduit les pouvoirs publics à l’échelle européenne, nationale comme locale à progressivement évoluer vers des modèles plus inclusifs de gouvernance et de fourniture de services et des approches plus participatives de l’élaboration des politiques publiques. Cette évolution, qui connaît de fortes différences à travers l’Europe, rencontre les principes clés du gouvernement ouvert : transparence, participation citoyenne, redevabilité, innovation, etc. Les nouvelles manières de conduire les politiques publiques, plus inclusives et proactives (Greentech verte, barcamps, hackatons…), la reconfiguration des systèmes d’acteurs sur les territoires avec la poursuite de la décentralisation (lois MAPTAM, NOTRe) et la structuration des acteurs associatifs depuis le Grenelle de l’Environnement appellent à considérer l’importance des dynamiques décentralisées par lesquelles les citoyen·ne·s deviennent de véritables acteurs de la transition écologique et énergétique, et non plus simplement des parties prenantes de l’élaboration des politiques publiques. Les expériences sur les territoires et leur mise en réseau, la contribution de la participation citoyenne à la territorialisation des solutions, à la décentralisation de la gouvernance, conduisent à être attentif·ve·s aux processus de conflits et de coopérations entre des acteurs sociaux divers, dont les intérêts divergent et qui sont porteurs de constructions très différentes des problèmes publics à traiter, des solutions à promouvoir pour parvenir à des changements qui doivent à la fois être amples et rapides, et lier le court, le moyen et le long terme, le local et le global. Ainsi, les enjeux et les modalités de la fabrique participative et de la conduite démocratique des politiques publiques inclusives sont des conditions de la réussite de la transition écologique et énergétique qui seront approfondies par le programme de recherche.

2. La portée démocratique des expérimentations citoyennes

Partout en Europe, des initiatives citoyennes pour la transition écologique et énergétique prennent racine, renouvèlent les rapports à l’innovation et à la création, à la production et à la consommation, et signalent la montée d’une démocratie du faire. Ces initiatives visent à la réduction des vulnérabilités, au développement de capacités d’action réelles sur le contexte économique et politique qui détermine les vulnérabilités respectives de diverses populations, à l’organisation de nouvelles solidarités. De multiples solutions voient le jour, qui visent à faire converger les transitions écologique, énergétique et numérique dans un cadre démocratique plus participatif. L’implication des citoyen·ne·s varie fortement dans la gouvernance, le portage et le financement des projets, du financement participatif à la gestion directe par et pour les citoyen·ne·s – des coopératives d’habitant·e·s se développent dans divers pays, en particulier pour développer les énergies renouvelables. Les formes inédites d’organisation permettent de mieux reconnaître les capacités des individus et des collectifs. La problématique des communs, au cœur des transitions en cours, dirige l’attention vers la construction de nouveaux partenariats dans des processus ascendants d’innovation sociale et écologique utilisant largement le numérique, vers les activités consistant à mettre en commun, vers les nouvelles manières de lier préoccupations environnementales et démocratiques. La multiplicité des initiatives conduit le programme de recherche à interroger les trajectoires de ces expérimentations citoyennes protéiformes — certaines soutiennent des territoires démonstrateurs de développements technologiques alors que d’autres ancrent des communautés durables dans l’économie sociale et solidaire —, à caractériser les transformations des organisations et des logiques économiques inscrites dans les territoires, et à apprécier leur capacité à institutionnaliser de nouvelles normes démocratiques, de nouvelles manières de faire société.

3. Numérique et transition : des civic techs aux communs informationnels

Le numérique outille de larges communautés distribuées et appuie des formes novatrices et puissantes de participation, de mobilisation et d’action collective pour la transition écologique et énergétique. Cependant, plusieurs directions des technologies de l’intelligence collective et de l’économie du partage se confrontent. Les débats ouverts sur l’uberisationde la société, sur l’économie de plateforme, soulèvent le problème de la captation de la valeur par des producteurs de services  et la question des valeurs qui sous-tendent ces nouvelles formes économiques, formes collaboratives de consommation et formes coopératives de production. La dimension collaborative de la nouvelle économie peut se limiter à des formes d’intermédiation entre consommateurs et offreurs de services, voire se transformer rapidement par la concentration financière des offreurs en une économie de prédation. D’autres acteurs s’essaient à marier finalité d’intérêt général et entreprenariat numérique, dans des démarches que l’on qualifie de « civic techs », ou « transition techs ». Plus en rupture,les débats sur les communs informationnels soulignent le travail coopératif nécessaire pour organiser le partage et la mutualisation des ressources et des données. Ces tensions concernent particulièrement les données susceptibles de produire de fortes externalités pour le public, la production de données d’intérêt général et leur incidence sur le fonctionnement des institutions et le déploiement de l’action publique, notamment dans ses rapports avec la participation citoyenne. Le programme de recherche interrogera de manière pluridisciplinaire ces enjeux d’ouverture des données, de valeur de nouveaux services et des externalités associées, cruciaux pour la réussite de la transition écologique et énergétique.

4. L’appropriation citoyenne de la transition

La participation de la société civile est l’un des ressorts majeurs de la modernisation écologique de nos sociétés. Mais en saisir les enjeux impose de dépasser l’évocation des impacts sociaux de la transition écologique et énergétique pour mettre en évidence la capacité d’appropriation citoyenne de pratiques de consommation plus sobres comme la capacité de décision et de critique de la société civile et tout particulièrement des citoyen·ne·s : responsabilités par rapport aux générations futures et aux générations actuelles qui partagent la même planète ; prise en compte des risques, de la réalité internationale et de la globalisation des enjeux, de la diversité des territoires et des formes de vie dans lesquels ancrer les politiques de transition ; attention aux questions quotidiennes et immédiates (les prix, la précarité, les nuisances et les injustices environnementales ordinaires) en les reliant aux préoccupations à long terme. Ainsi, les multiples initiatives citoyennes pour la transition écologique et énergétique pointent vers les questions de la sobriété et de l’éthique des besoins, vers les conditions et les indicateurs d’une vie heureuse, et vers les manières d’en délibérer collectivement du local au global. Elles valorisent les démarches croisant le savoir venant de l’action, le savoir venant de l’existence et le savoir venant de l’objectivation scientifique. Le programme de recherche interrogera les expérimentations citoyennes quant à leurs capacités à inventer d’autres formes de redistribution, à leurs effets en termes de justice sociale. Il invitera à réfléchir à la pertinence de rythmes différentielsde transition en fonction des catégories d’acteurs, à considérer les fondements démocratiques par lesquels ces rythmes différentiels pourraient être construits, articulés, légitimés, à examiner les formes de participation les plus aptes à activer des capacités d’action sur les territoires, notamment pour les acteurs les plus démunis, et des responsabilités d’action, notamment pour les plus aisés, tout en les laissant libres de choisir leur vie.

5. La citoyenneté environnementale

Quand elles mettent en œuvre des incitations pour réorienter les comportements, quand elles font appel à des valeurs altruistes et à la responsabilité des citoyen·ne·s pour transformer leurs habitudes de consommation, quand elles modifient l’architecture des choix pour transformer silencieusement les pratiques, quand elles cherchent à limiter les impacts de ces dernières par des sanctions pratiques et économiques, ou quand elles élargissent la communauté morale et politique à de nouvelles entités, les politiques publiques ne mobilisent pas la même conception du citoyen environnemental, acteur de nouvelles solutions et destinataire de l’action publique pour la transition écologique et énergétique. De plus, « penser globalement et agir localement », l’adage classique de l’agir environnemental, altruiste, paternaliste ou utilitariste, est lui-même mis à mal par la vision systémique des grands équilibres écologiques conduisant trop souvent à un catastrophisme éclairé, faisant douter de la capacité des projets citoyens locaux à éviter la catastrophe annoncée au niveau planétaire, et pouvant conduire à un sentiment d’impuissance face à l’ampleur des défis et à la lenteur des changements collectifs. Au contraire, l’engagement de collectifs de la société civile pour améliorer et transformer leur environnement, instaure l’écologie en ressource commune et institue conjointement des communautés de pratiquesarticulant fortement l’agir environnemental aux trois dimensions qui définissent les communs : une ressource partagée ; un régime collectif d’usage de la ressource définissant des droits et des obligations ; un mode de gouvernance de cette communauté d’usage. Le programme de recherche permettra d’approfondir ces paradoxes d’un agir environnemental qui ouvrent à différentes conceptions de la citoyenneté écologique et de la place de la politique dans les choix pour une transition écologique et énergétique, entre inéluctabilité d’un changement radical des modes de vie dans les pays industrialisés et possibilité d’un débat démocratique sur le monde commun à habiter ici et maintenant et à léguer aux générations futures. Il approfondira également les enjeux d’une articulation de la démocratie du faire, de la gestion des communs et de la délibération sur les choix collectifs.

6. Les temporalités de l’agir environnemental

Bon nombre de discours contemporains sur la crise écologique s’appuient sur des anticipations ayant comme horizon inéluctable la catastrophe globale (climat, extinction des espèces), voire l’effondrement de nos sociétés. La logique de l’urgence qui en découle déstructure notre relation au temps. L’ampleur des processus de recomposition des sociétés et des territoires, la vive concurrence entre les cadrages de la modernisation écologique nécessaire, tout comme celle entre les divers espaces de fabrication de solutions et de régulations, ouvrent pourtant, à rebours des discours catastrophistes, une pluralité de chemins pour la transition écologique et énergétique, invitant à penser la multiplicité des temporalités, à déployer notre capacité de représentation de l’avenir, en intégrant sans l’y réduire la possibilité d’une catastrophe. Le futur n’est pas prédéterminé, il est au contraire objet d’expérimentations multiples qui réinterrogent les normes sociales présentes pour les transformer. Ces expérimentations prennent corps dans un élargissement de l’expression de la conscience citoyenne s’accordant mieux au sentiment d’une existence à l’échelle de l’humanité, dans la prise de conscience sociale d’un nouvel horizon temporel de la raison publique, nécessaires à l’approfondissement de l’idée démocratique. Alors que l’anticipation est au cœur des débats autour du changement climatique pour lequel modèles de prédiction, scénarisation des possibles et simulations sont devenus des outils tout aussi scientifiques que politiques, le programme s’intéresseraen particulier à la manière dont les expérimentations citoyennes questionnent les savoirs sur le futur, interrogent les pratiques sociales de production de modèles, de scénarios et de visions d’avenir, les facteurs, normes et valeurs, les processus, controverses et épreuves sociales qui contribuent à leur robustesse scientifique et à leur portée politique et institutionnelle, et les reconfigurations des partages entre expertises savantes et ordinaires qui en découlent.