CIFRE au Secours catholique sur l'engagement auprès des pauvres

Proposition de collaboration avec un candidat CIFRE

 

CONTEXTE

En 1996, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, le Secours Catholique est résolument entré dans une redéfinition de ses orientations politiques. Vingt ans après, il faut se rendre à l’évidence que le processus engagé à cette époque n’est toujours pas achevé. Certes, des options fortes autour de la question de la participation des personnes qui vivent des situations de pauvreté ont été posées. Le slogan central du 50ème anniversaire annonçait le projet de : « s’associer avec les pauvres pour construire une société juste et fraternelle ». Les incidences de cette affirmation sont multiples et n’ont pas fini de se déployer encore aujourd’hui, tant les changements à opérer sont profond.

Depuis 1946, la vie de l’association avait déjà connu de grandes évolutions, sans toutefois que celles-ci ne remettent en question les fondements du projet associatif, à un tel degré. « S’associer avec les pauvres » vient interroger ce qui constitue un vecteur central de l’engagement des personnes au Secours Catholique : l’aide. Comment peut-on « s’associer » et donc se situer d’égal à égal, si l’on est convaincu qu’il faut aider, ce qui constitue fondamentalement une relation asymétrique ? N’y a-t-il pas contradiction entre la réponse aux besoins de ceux qui sont dans la détresse ou l’indigence et ce que représenterait l’idée même de « s’associer » avec eux ?

L’autre difficulté est contenue dans ce même slogan : « pour construire une société juste et fraternelle ». Tout à coup, l’ambition ne se limite pas à établir des relations de solidarité fraternelle avec des personnes en difficulté. Il s’agit de se donner une perspective sociétale de lutte contre la pauvreté, en recherchant la justice, en s’inscrivant dans la dynamique de l’accès aux droits et de leur promotion. Dès lors, le projet entre dans une dimension politique.

CADRE DE LA RECHERCHE

Le doctorant mènera sa recherche avec l’équipe du Pôle animation basée à Paris et, plus particulièrement, avec l’équipe du Département Recherche Expérimentation Développement basée à Grenoble.

Le travail d’un doctorant pourrait consister, pour une part, à explorer le contexte, interne et externe, qui a prévalu à la définition de ces nouvelles orientations et s’intéresser à la réception de celles-ci par l’ensemble des acteurs du Secours Catholique.

Au-delà de cet aspect historique, il serait indispensable d’analyser les « réactions en chaîne » que ce choix de la participation, de l’implication des personnes en précarité a pu provoquer et provoque encore aujourd’hui, sur plusieurs aspects de la vie de l’association :

  1. L’engagement et la motivation des personnes qui sont désireuses de mettre leur temps, leur bonne volonté et leurs compétences au service du SCCF.
  2. Les rapports entre les personnes, les relations en sont profondément bouleversées. Ainsi la question de l’aide est-elle questionnée.
  3. L’organisation et l’image du SCCF, connaissent un impact profond de cette vision de la participation de tous. Nous ne pensons pas proposer au candidat Cifre d’aborder cet angle qui fait l’objet de plusieurs études menées par ailleurs autour des directions Ressources Humaines et Communication.

Il serait intéressant d’observer et d’analyser les mutations en cours en s’insérant dans la vie d’une dizaine de délégations, elles-mêmes représentatives d’une diversité de réalités de terrains, de contextes et d’histoire. Quels sont les indices de changement et d’évolution, les éléments porteurs qui contribuent à renforcer ce mouvement de transformation de l’action, de la typologie des membres de l’association, des fonctionnements internes à l’association ?

Pour mener à bien cette analyse, il serait opportun que le doctorant puisse effectuer des séjours d’immersion dans ces délégations afin de rencontrer directement les personnes et, par croisement d’informations, construire un point de vue analytique fiable. Il serait important d’identifier les résistances, de comprendre où elles prennent racine. Egalement, le regard pourrait être porté sur les manquements et défaillances dans l’accompagnement de la mise en œuvre de ces changements.

Les actes des Journées Nationales d’Etude de Lourdes de 2014 peuvent constituer un premier document d’appui pour le candidat (ci-joint en PDF).

L’analyse serait utilement complétée par l’expérience d’autres ONG françaises, par celle des homologues internationaux du SCCF : les Caritas. Beaucoup d’entre elles ont fait ce choix de l’empowerment, de l’augmentation du pouvoir d’agir des personnes pauvres. Elles ont vécu, avec plus ou moins de succès, cette révolution culturelle. Comment y sont-elles parvenues ? Si ce champ d’exploration est ouvert, il est immense. Il faudrait pouvoir en dessiner les contours mais il est certain qu’il présenterait un grand intérêt. Le SCCF étant une grande association, on pourrait estimer suffisant de s’y limiter mais c’est courir le risque d’une vision très repliée sur elle-même.

Quel que soit le sujet choisi, il est essentiel que la recherche puisse s’appuyer sur le recueil direct de paroles de personnes en précarité, dans leur expression originale. En effet, nous pensons qu’il y a là une source inestimable d’inspiration pour renouveler notre pensée et notre action.

QUELQUES DIRECTIONS POSSIBLES POUR LA RECHERCHE

1. Les mutations de l’engagement :

Aujourd’hui, l’engagement est marqué par plusieurs mutations importantes.

  • Des personnes en situation de précarité souhaitent s’engager au sein du Secours Catholique avec des motivations complexes. On peut déjà avancer celles de retrouver une utilité sociale, d’avoir un lieu où tisser des liens et nourrir son besoin de reconnaissance.

Le candidat Cifre pourrait être inséré dans la réalité de délégations afin de regarder comment s’effectue l’itinéraire de ces personnes, participer à leur accueil et leur intégration, produire des éléments de compréhension de leurs profils, leurs motivations, proposer des formations ou des rencontres pour leur accompagnement avec l’avis des bénévoles et salariés déjà présents. Le choix des délégations se ferait sur la base d’un croisement Urbain-Rural.

  • Des cadres bénévoles de l’association ont longtemps été recrutés dans des mouvements et services d’Eglise épousant la pédagogie de l’action catholique (Voir Juger et Agir), proche de la pédagogie du Secours Catholique. Aujourd’hui un nouveau bénévolat arrive au Secours Catholique avec des méthodes managériales plus poussées, une culture du résultat et de l’efficacité accrue. Ce quasi « choc » des cultures crée des tensions internes et bouscule les habitudes de travail.

Le candidat Cifre pourrait accompagner 3 bureaux de délégations pour étudier les motivations de ces bénévoles récents, issus du monde l’entreprise, pour mieux sonder leur motivation et proposer des pistes d’accompagnement adaptées à leurs profils. Cela viserait la fois ces bénévoles et les personnes qui travaillent avec eux. Des pistes pourraient être proposées pour les modules d’intégration nationaux des nouveaux membres de bureau.

  • Des jeunes actifs (30-50 ans) s’engagent aujourd’hui au Secours Catholique pour des missions ponctuelles centrées sur des actions ou des projets à mettre en œuvre.

Le Cifre accompagnerait certains de ces bénévoles pour mieux comprendre leur besoin et leurs motivations dans l’engagement. Il pourrait interroger une Caritas Team  (groupe de bénévoles qui courent à pied au profit du Secours Catholique) et des bénévoles dans une action ponctuelle sur un atelier d’apprentissage du français, par exemple. Il proposerait un cycle de formation et d’intégration de ces personnes au sein du Secours Catholique en créant les conditions d’un approfondissement du projet associatif.

2.    Les Chantiers Prioritaires

Au-delà de l’existant et de l’analyse du chemin parcouru par l’association au long de plusieurs décennies, avec ses obstacles et ses avancées, la recherche pourrait porter sur ce qui pourrait advenir, ce qui pourrait favoriser le processus, voire l’accélérer. Le doctorant pourrait, pour ce faire, prendre appui sur la démarche des Chantiers Prioritaires.

En effet, en 2011, le SCCF a décidé de donner un coup d’accélérateur à cette démarche d’évolution collective en identifiant 10 domaines prioritaires sur lesquels il souhaitait renforcer son action. Il s’agit de : la famille, l’emploi, les territoires ruraux et urbains, les migrants, l’interculturel, la solidarité internationale, l’engagement des jeunes, la diaconie en Eglise et la recherche de sens. Peu à peu, les équipes qui ont conduit chacun de ces 10 Chantiers sont devenues des espaces de recherche, entrant dans une méthodologie plus systématique.

La question de la participation des personnes en précarité est devenue centrale pour l’ensemble des Chantiers, tout en prenant des formes diversifiées. Chaque équipe Chantier est elle-même devenue lieu d’expérimentation d’une nouvelle forme de coopération entre divers niveaux du SCCF, du local au national, mêlant dans un même objectif des acteurs divers : bénévoles, salariés, dans une grande mixité sociale.

Dans la mesure où les équipes des Chantiers prioritaires ont mis en évidence des actions innovantes dans lesquelles l’implication des personnes en précarité est particulièrement forte, il serait intéressant de regarder comment elles questionnent l’action traditionnelle d’aide au Secours Catholique.

En revanche, sur le premier point, je verrais bien le regard du Cifre sur quelques actions signes et expérimentations. Il regarderait comment cela questionne l’action traditionnelle d’aide du Secours Catholique. Comment cela met même l’aide de côté voire l’évince. Dans cette nouvelle action, questionner la place du Secours Catholique ; son insertion dans le champ associatif, la place des personnes en précarité, des bénévoles et des salariés.

3.    La question de l’aide

Depuis sa fondation, le Secours Catholique pratique l’aide matérielle qu’elle soit en en nature ou pas. Des efforts permanents sont menés pour sortir d’une logique distributive et entrer dans une logique contributive. Force est de constater que la logique distributive perdure encore aujourd’hui dans la pratique. L’environnement sociétal et parfois ecclésial nous cantonne d’ailleurs dans cette approche comme association « caritative » donc aidante dans une logique distributive acceptée comme nécessaire et attendue.

  • Le candidat CIFRE serait en immersion dans des délégations qui essaient de sortir de ces logiques distributives et tentent de mettre en place des logiques contributives et d’entraide.
  • Le candidat accompagnerait des démarches d’entraide au sein de l’association pour pouvoir capitaliser leur savoir-faire et le transmettre. Il proposerait des formations aux pratiques d’entraide à partir des capitalisations effectuées dans les délégations observées.
  • Le candidat ferait une étude des récits des personnes engagées dans ces démarches et valorisera ces paroles d’expérience pour encourager et montrer les résultats de ces démarches sur la vie quotidienne de ces personnes et de leur entourage.
  • Il pourrait vivre une immersion dans un centre social centré sur le pouvoir d’agir des habitants pour effectuer une benchmark et proposer une collaboration renforcée entre nos structures à partir de nos démarches conjointes.

4.    Autre piste possible : la question de la pertinence de la participation des personnes dans les actions de lutte contre la pauvreté.

Pour simplifier, la lutte contre la pauvreté se manifeste sur différents registres qui peuvent, à bien des égards, mettre en jeu la participation, l’implication des personnes en situation de précarité. Il s’agit de :

-    L’urgence.
Comment les sinistrés sont-ils partie-prenante des actions dont ils sont, le plus souvent, les destinataires directs, alors qu’ils se retrouvent subitement dans l’insécurité la plus complète ? Comment peuvent-ils contribuer à la phase de réhabilitation qui va suivre ?
-    L’accompagnement des personnes.
Il peut prendre la forme d’un accompagnement social individualisé ou de séances collectives, souvent des activités où la convivialité joue un grand rôle, destinées à provoquer un mieux-être. La plupart de ces différentes formes d’accompagnement sont prises en charge par des bénévoles. Comment, dans ces circonstances, les personnes accompagnées peuvent-elles être partie-prenantes des actions qui les concernent et jusqu’à quel point ?
-    L’entraide.
De plus en plus, le SCCF favorise la création d’espaces de rencontres qui vont mettre en lien des personnes et provoquer des échanges de services, de savoirs, stimuler des actions communes à visée revendicatrice (respect des droits, accès aux droits…). L’intérêt commun de ces personnes est le vecteur qui va provoquer leur mobilisation. La dimension du plaidoyer et celle de la citoyenneté sont souvent présentes dans ces modalités d’action. Comment les personnes en précarité et les bénévoles plus « classiques » peuvent-ils faire alliance dans ces circonstances ? Des expérimentations en cours pourraient apporter des éclairages très utiles sur ces questions.
-    Le développement.
Il met en jeu la population d’un territoire. Comment les démarches d’approche d’une population (aller vers), de stimulation des dynamiques de mobilisation, d’auto organisation pour des actions menées en vue du bien commun, se concrétisent-elles ? La dimension du plaidoyer, à un niveau local ou national, est un enjeu essentiel. Comment ces démarches peuvent-elles être menées avec efficacité ? La contribution des personnes concernées par les carences législatives, les dénis du droit, est-elle un facteur de réussite ? Les contextes urbains ou ruraux ont-ils une influence importante ? Là encore, des expérimentations disséminées dans diverses délégations en France et Outre-mer pourraient éclairer concrètement les interrogations sur la participation de tous.

Bien entendu, ces divers registres d’actions mettent en jeu des acteurs de statuts différents : bénévoles, personnes en précarité au premier chef mais aussi des salariés permanents du SCCF à divers échelons de la hiérarchie, des partenaires institutionnels, associatifs, d’Eglise locaux ou d’états-majors nationaux… Autant d’angles d’analyse possible.

Il est envisageable de croiser ces diverses approches, soit en étant centré sur la métamorphose en cours de l’association, à partir de la perspective qu’apporte la participation des personnes en précarité, soit étant plutôt orientée vers l’incidence de cette même participation sur la lutte contre la pauvreté, dans ses diverses modalités.

La matière étant pléthorique, il faudra probablement opérer des choix. Quoi qu’il en soit, l’intérêt du Secours Catholique pour ce travail est certain et ses résultats sont très attendus.
 

Claude Bobey responsable du Pôle Animation
Jean-Luc Graven responsable du Département Recherche Expérimentations Développement

claude.bobey@secours-catholique.org
jeanluc.graven@secours-catholique.org