Appel à communications : Congrès 2022 du GIS Démocratie et Participation

Démocratie par temps sombre : autoritarismes, participations, expérimentations

23-25 novembre 2022, MSH Paris Nord

 

L’actualité renouvelée des revendications démocratiques questionne les formes institutionnelles qui seraient aptes à les reconnaître. Ces développements impliquent pour les études sur la participation de saisir ces phénomènes de manière large, pour rendre compte des enjeux de l’interpellation citoyenne et du pouvoir d’agir. Ainsi, il faut maintenir une attention critique dans l’analyse d’instruments ou de dispositifs institutionnels, qui envisagent la démocratie participative et délibérative comme une réponse à la crise de la démocratie représentative ; avec ou sans tirage au sort et à différentes échelles (conventions citoyennes, mini-public délibératif, conseils citoyens, budgets participatifs...). Mais il convient tout autant de prêter attention aux multitudes de revendications, de mouvements sociaux et de collectifs multiformes (fonds d’interpellation citoyenne, droit d’initiative populaire, expertise solidaire, mouvements « des places » …) et à la diversité des formes de participation sociale et politique, d’interpellation citoyenne et de pouvoir d’agir. Une attention transversale oriente également le regard vers des initiatives qui interrogent la dimension économique ou écologique des processus démocratiques. Alors que les sciences humaines et sociales sont plus que jamais attaquées, il convient de défendre leur scientificité, tout en approfondissant les réflexions et les expérimentations interrogeant les conditions de production de la connaissance, et la place des citoyens et des citoyennes dans ces processus.

Depuis la création du GIS Démocratie et Participation en 2009, des enjeux majeurs ont été nouvellement posés au travers de diverses transitions (écologique, énergétique, numérique…) et de leurs effets sur le et la politique, qui redessinent les contours de la citoyenneté et de ses pratiques et les enjeux de l’égalité et de la justice sociale. Il faut y voir d’un côté une accumulation de processus destructeurs et de franchissement de seuils qui bouleversent l’équilibre des sociétés et des communautés : changement climatique accéléré et perte massive de biodiversité ; chômage de masse et attaques sans précédents contre les droits sociaux et les services publics ; poussée des régimes autoritaires et des idées d’extrême-droite, mouvement auquel s’adjoint l’islamisme radical ; contrôle de l’internet par des firmes mondiales, et extension de la surveillance des populations et des individus par les Etats ; répression des mouvements sociaux et attaques contre les libertés associatives et académiques… Ces enjeux, dont la pandémie de Covid 19 souligne l’acuité, affectent l’ensemble des mondes sociaux et mettent à mal toutes les institutions qui régulent la vie sociale, y compris la recherche scientifique. Elles sapent les bases sociales et psychologiques de la vie démocratique. Mais d’un autre côté, ces mêmes processus nourrissent la revendication d’une « démocratie réelle maintenant ! ». Ainsi, il n’y a pas un pan de la vie politique, économique et sociale qui échappe aux conflits et luttes sur ce que « faire société » et « décider en démocratie » signifient. Dans ces interstices se déploient de multiples expérimentations pour donner sens et mettre l’accent sur la démocratie comme forme de vie commune.

Aujourd’hui, poser le diagnostic que la démocratie est à refaire ne suffit plus : il s’agit de penser les réponses démocratiques que les membres de la société peuvent-elles et eux-mêmes se donner. Le GIS fait le pari que l’analyse de ces expérimentations démocratiques, de ces dispositifs institués et de leurs articulations, même paradoxales, demeure indispensable pour comprendre comment, et à quelles conditions, elles peuvent transformer les formes traditionnelles de domination politique. Ces journées visent à comprendre, par qui et comment se déploient du politique, du commun, du collaboratif, ou à l’inverse, voire en même temps, de l’autoritaire, de la répression ou de l’exclusion.

En considérant à la fois les temps sombres et les possibles éclaircies, entre reculs démocratiques et expérimentations citoyennes, ce congrès invite des communications autour des 5 axes transversaux suivants : institutions, écologie, savoirs, capitalisme et autoritarisme.

  • (1) Institution(s) et pouvoir citoyen
  • (2) Écologiser la démocratie, démocratiser l’écologie
  • (3) Produire démocratiquement des savoirs
  • (4) Faire des économies démocratiques
  • (5) La participation, entre démocratisation et autoritarisme

 

Comité d’organisation : Marion Carrel, Blandine Charrier, Jean-Michel Fourniau, Catherine Neveu, Guillaume Petit, Julien Talpin, Solène Tournus

Comité scientifique : Simone Abram, Marie-Hélène Bacqué, Romain Badouard, Rémi Barbier, Loïc Blondiaux, Mathieu Brugidou, Francis Chateauraynaud, Marie-Anne Cohendet, Paula Cossart, Agnès Deboulet, Valérie Deldrève, Patrice Duran, Joan Font, Mario Gauthier, Guillaume Gourgues, Maria Inés Fernandez Alvarez, Corinne Larrue, Sylvain Lavelle, Rémi Lefebvre, Martine Legris Revel, Eeva Luhtakallio, Clément Mabi, Noortje Marres, Alice Mazeaud, Patrice Melé, Catherine Neveu, Heloïse Nez, Marion Paoletti, Emmanuel Picavet, Fabrice Ripoll, Sandrine Rui, Yves Sintomer, Marie-Gabrielle Suraud, Stéphanie Tawa Lama-Rewal, Sophie Wahnich, Stéphanie Wojcik, Joëlle Zask.

 

MODALITÉS DE RÉPONSE

  • Envoi des résumés jusqu’au 23 mai 2022 (3000-5000 signes), via https://congresgis2022.sciencesconf.org/
  • Retour suite à sélection des propositions par le comité scientifique, pour le 14 juin 2022
  • Remise des communications, jusqu’au 31 octobre 2022

Pour son congrès 2022, le GIS Démocratie et Participation invite des propositions autour des 5 axes transversaux présentés ci-dessous, qui constituent également ses axes de travail pour les années à venir. Les propositions peuvent émaner de toutes les sciences sociales.

Afin de donner à ce congrès 2022 sa dimension de refondation des axes de travail du GIS, seront privilégiées les propositions de communication qui proposeront des réflexions de portée générale résonnant avec les axes de l’appel. Si l’appui sur un matériau empirique original est bienvenu, nous attendons donc des propositions qu’elles contribuent à dépasser le compte rendu d’expériences et la restitution d’étude de cas, pour répondre aux enjeux généraux et transversaux de l’appel à contribution, sans renoncer à un appui empirique. Les recherches qui reposent sur des perspectives comparatives ou qui se décentrent par rapport à la seule étude des sociétés du Nord global ou uniquement de la période contemporaine, sont également encouragées.

Les réponses attendues à cet appel à contributions peuvent émaner, séparément ou conjointement, de chercheurs, chercheuses et d’acteurs, actrices de la participation. Elles peuvent avoir un format académique, ou des formats plus divers permettant de rendre compte des leurs initiatives, de les partager et de les mettre en discussion (ateliers thématiques, coopératifs ou prospectifs, stand, performance, affichage…)

Les propositions de contributions devront faire entre 3 000 et 5 000 signes. Elles indiqueront l’axe principal dans lequel elles s’inscrivent, 5 mots clés et le format retenu. Elles préciseront également le nom des auteurs-autrices ou contributeurs-contributrices et leurs affiliations ou organisations.

Les propositions devront être déposées, au plus tard le 23 mai 2022 (inclus), via la plateforme sciences-conf à l’adresse : https://congresgis2022.sciencesconf.org/ L’accès à la plateforme nécessite de créer un compte.

Pour toute question concernant l’AAC, le dépôt de votre proposition ou le colloque, merci d’écrire à : congresgis2022@sciencesconf.org et gis-dep@mshparisnord.fr.

Le colloque aura lieu à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, du 23 au 25 novembre 2022. 20, avenue George Sand 93210 La Plaine Saint-Denis Métro : Front Populaire (terminus ligne 12)

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1. Institution(s) et pouvoir citoyen

Les relations, les circulations, et les tensions entre les dynamiques d’institutionnalisation des formes de participation et la reconnaissance d’un pouvoir citoyen autonome des institutions étatiques appellent un approfondissement de l’analyse. On sait que l’institutionnalisation comporte des risques (dépolitisation, absorption de la critique, etc.) mais elle constitue également, dans une pensée qui se saisit de la dialectique entre instituant et institué, un potentiel d’approfondissement de la démocratie. Des formes instituées de participation peuvent par exemple venir modifier en profondeur les imaginaires, en permettant l’institutionnalisation de pratiques plus démocratiques, voire des évolutions de l'action publique.

Il s’agit premièrement de poursuivre la réflexion sur les conditions, les mécanismes et les effets de l’institutionnalisation de dispositifs participatifs par les pouvoirs publics. Au-delà de l’analyse internaliste ou procédurale des usages et effets de la participation publique, il convient d’envisager les rapports de force politiques et institutionnels qui la conditionnent. Dans quelle mesure des dispositifs participatifs impulsés par les pouvoirs publics peuvent-ils modifier, réagencer, transformer la division du travail politique ? Ne faut-il y voir que des instruments aux mains des élus pour se relégitimer ou peuvent-ils constituer, et à quelles conditions, des vecteurs de démocratisation de l’action publique ? La professionnalisation de la participation l’a-t-elle fait durablement se muer en instrument de gouvernement ? Plus largement, au-delà des expérimentations, il s’agit d’approfondir la compréhension de la manière dont, le cas échéant, les dispositifs ou initiatives institutionnelles viennent réinterroger des fondamentaux de la démocratie comme la question de la représentation, ou le lien à la décision, par exemple avec la multiplication de formes de conventions citoyennes.

Un autre enjeu de cet axe est d’analyser les formes d’autonomie de la société civile, dont les expérimentations peuvent se traduire par des dispositifs identifiables de participation. Mais elles peuvent aussi s’inscrire dans un quotidien politique, dans une démocratie du faire, dont les canaux sont plus fluides, inscrits dans l’ordinaire des interactions, des discussions et des pratiques ici et maintenant. Comment saisir les effets de politisation de ces formes quotidiennes ? Comment les expérimentations conduisent-elles à des formes de reconnaissance du sens que leurs initiateurs et initiatrices leur ont donné ? A quelles conditions ces expérimentations ascendantes, s’inscrivant dans la philosophie de l’empowerment, permettent-elles l’inclusion des acteurs et actrices dominées et marginalisées du jeu politique, à commencer par les classes populaires ? Dans quelle mesure la prise en compte des formes plurielles de domination – de classe, de genre ou de race – complexifie-t-elle l’analyse de ces processus démocratiques ? Comment tenir ensemble la dimension subjective de la participation et les conditions matérielles et structurelles qui la rendent possible et la contraignent ? Quand, sur quelles dimensions (stratégiques, financières, décisionnelles…) rester autonomes est-il essentiel ? Comment penser les contributions démocratiques de formes de contre-pouvoir, et leur reconnaissance y compris en termes de financements publics par exemple ?

Plus largement, il s’agit d’envisager les circulations et effets réciproques entre dispositifs institutionnels et pratiques citoyennes. Dans quelle mesure l’offre privée ou civile (associations, fondations, entreprises) de participation reproduit-elle les écueils de la participation publique ? Les expérimentations d’empowerment ou de développement du pouvoir d’agir, et plus largement les formes ascendantes de participation, contribuent-elles à la reproduction de la domination politique ou à sa subversion et à quelles conditions ? Si la question des dits « publics éloignés » appelle à poursuivre les réflexions sur les formes permettant l’inclusion de la diversité des acteurs et actrices, la « non-participation » renvoie également à des formes de contestation radicale des formats démocratiques existants. Il convient donc de poser à nouveau frais la question de la place des collectifs et associations militantes (vs des formes plus individualisées de participation), et plus globalement celle des formes contemporaines de (dé)politisation à l’œuvre dans ces pratiques et engagements Observe-t-on des formes d’individuation et/ou la constitution de nouveaux liens collectifs en leur sein ? Des formats de participation faisant appel à des citoyens et citoyennes atomisées (comme les panels citoyens) débouchent-ils sur l’émergence de collectifs ? Quels déplacements la multiplication et l’institutionnalisation des expérimentations démocratiques ces dernières années invitent-elles à opérer quant à notre façon de concevoir le fonctionnement du gouvernement représentatif et du système politique ? Alors que les travaux se multiplient pour tenter de conceptualiser un éventuel système délibératif, quelles places y occupent les expérimentations démocratiques et diverses formes de participation citoyenne ?

2. Écologiser la démocratie, démocratiser l'écologie

Les tensions contemporaines entre autoritarismes et démocratisation se donnent à voir avec une acuité particulière sur les questions environnementales, écologiques et climatiques. Non seulement les capacités des démocraties à faire face aux problèmes écologiques globaux sont questionnées par des appels à des solutions autoritaires préconisant plus ou moins explicitement la « suspension » de la démocratie en situation de lutte contre le réchauffement climatique, mais, à d’autres échelles, le traitement d’urgence de certaines crises environnementales ou sanitaires peut donner lieu à des mesures d’exception. De plus, les coûts sociaux et environnementaux de stratégies unilatérales d’adaptation - ou de mal-adaptation - au changement climatique de certaines activités, groupes ou territoires sont susceptibles de produire de nouvelles inégalités et injustices environnementales.

Les mobilisations environnementales avaient conduit à l’affirmation à l’échelle internationale de droits nouveaux à l’information, la participation et l’accès à la justice (Art. 10 de la convention de Rio, Convention d’Aarhus puis d’Escazù, charte de l’environnement), qui semblaient tracer la feuille de route d’une démocratie environnementale. Or, cette perspective est en butte aujourd’hui à de multiples régressions du droit de l’environnement, à la répression des mobilisations pour la protection de l’environnement et à l’affaiblissement des institutions garantes des droits à l’information et à la participation et même de limitation des recours contentieux. Les institutions de protection de l’environnement – pourtant souvent critiquées - deviennent paradoxalement dans de nombreux contextes un bien commun à défendre.

Par ailleurs, le couplage entre participation et transition écologique est aujourd’hui discuté. De nombreuses analyses dans différents domaines de la gestion environnementale ont conduit à des conclusions pessimistes sur les effets de la participation. Si celle-ci peut offrir des espaces d’influence et de résistance face à certains porteurs d’intérêt, d’autres travaux ont identifié de nouvelles formes d’inégalités environnementales liées à l’accès aux dispositifs participatifs et d’éducation à l’environnement, ou la mise en place d’une ingénierie environnementale dépolitisant les enjeux. Pourtant, la mobilisation des Gilets jaunes a remis sur le devant la scène l’acceptabilité des coûts de la transition écologique et la nécessité d’en débattre. La Convention citoyenne pour le climat a constitué une expérimentation démontrant la capacité de citoyens et de citoyennes tirées au sort à s’emparer des enjeux politiques les plus complexes et de proposer des solutions efficaces dans un esprit de justice sociale, malgré leur très faible reprise par le gouvernement et le Parlement. Dans le cadre de processus délibératifs méthodiques, les citoyens peuvent construire des réformes politiques d’envergure pour la transition écologique.

Dans le même temps, de nombreuses mobilisations environnementales adoptent de nouveaux répertoires d’actions (action de groupe, contentieux climatique, revendications de droits pour la nature, occupations et ZAD, lutte contre les projets dits « inutiles et imposés ») qui constituent pour des groupes affichant des intentions politiques diverses des modalités d’ancrage de luttes et de « montée en particularité ». L’engagement des citoyens ouvre lui aussi des chemins extrêmement divers pour la transition écologique. Les magasins gratuits, les ressourceries, les coopératives citoyennes d’énergie, les coopératives d’habitat partagé, les épiceries sociales, les fermes urbaines, les écovillages, les communs numériques…, et autres innovations pour transformer le lien agriculture-alimentation, la relation aux déchets, l’habiter ou les usages d’Internet, semblent brouiller les séparations traditionnelles entre activités économiques, trajectoires individuelles, action collective et politisation. Les références à une démocratie du faire ou un environnementalisme du quotidien mettent l’accent sur les valeurs d’égalité et d’individualité, d’autonomie et de solidarité, d’auto-organisation et d’horizontalité, de sociabilité, d’ajustement des activités aux capacités de chacun, d’échange de pratiques et de savoirs. Certaines de ces expériences deviennent de réelles expérimentations démocratiques développant le « pouvoir d’agir » d’habitants et d’habitantes de centres urbains, de quartiers populaires ou de villages ruraux pour inventer et réinventer des modes de gestion des communs, politiser la vie quotidienne voire renouveler les formes de représentation politique.

Ces mouvements construisent de nouvelles voies pour représenter la nature et promouvoir le souci du long terme et de la justice écologique. L’exercice d’une citoyenneté plus directement liée à la défense de l’habitabilité de la planète, l’élargissement de la communauté politique au-delà des humains pour prendre en compte les générations futures et les communautés non humaines qui ne peuvent pas se représenter elles-mêmes, ouvrent en retour de nouvelles questions démocratiques et réclament de nouvelles institutions délibératives à inventer à toutes les échelles des politiques publiques.

Ce contexte ouvre la perspective de travaux qui questionnent, à différentes échelles, ces tendances et les replacent dans une perspective internationale : comment saisir les tensions entre politisation et dépolitisation des enjeux environnementaux ? Quelles sont les modalités de résistance des acteurs de l’environnement à l’affaiblissement des politiques publiques de l’environnement ? Comment qualifier les innovations démocratiques associant les citoyens à la gouvernance des enjeux écologiques et les institutions d’une démocratie écologique ? Comment analyser la diversité des formes d’engagement dans la transition écologique, des pratiques et des intentions politiques qui les animent, ainsi que les formes d’essaimage et de maillage produites par ces expérimentations ? Comment saisir les relations entre expérimentations locales et contextes institutionnels, entre institutionnalisation, instrumentalisation et résistance ? Quels sont les imaginaires et les émotions politiques et démocratiques liées aux transitions écologiques ?

3. Produire démocratiquement des savoirs

La question de la dimension démocratique de la production des savoirs et des connaissances est clairement posée par les collectifs citoyens ou mouvements sociaux qui interpellent les pouvoirs publics ou élaborent des alternatives au sein d’expérimentations. Il s’agit dans un premier temps de réfléchir à l’érosion de la légitimité des savoirs scientifiques, aux modalités de leur construction, mais aussi aux obstacles dressés à l’encontre des collectifs citoyens souhaitant contribuer à la production de connaissances sur la société. Il s’agit également d’explorer à la fois la recherche scientifique comme action citoyenne et démocratique, dans ses modalités de dialogue et d’ouverture ; et les apports de la reconnaissance d’une diversité de savoirs et/ou de modes de production de savoir dans la production des connaissances (épistémologies féministes, épistémologies des Suds). Dans les expérimentations citoyennes, on assiste fréquemment à la réhabilitation de savoirs vernaculaires qui avaient été confisqués avec le développement du capitalisme et du patriarcat, comme avait pu être observé le déploiement de savoirs citoyens dans le domaine de l’urbanisme. La crise pandémique que nous traversons rend d’autant plus cruciales les analyses sur les capacités des personnes vulnérables, des habitants et habitantes des quartiers populaires, des personnes en situation de handicap, etc., à exprimer ces savoirs et à être considéré.es comme des citoyens et des citoyennes à part entière.

Par ailleurs, le regain des recherches participatives témoigne d’un retour d’intérêt pour les formes de recherche-action développées dans les années 1970, qui pour certaines proposaient une lecture radicale des rapports entre production des connaissances et inégalités sociales, en appelant à « briser le monopole dans la production de connaissances ». Ce mouvement s’inscrit dans un contexte de crise de la démocratie représentative et de questionnement sur les fondements et la légitimité du savoir scientifique, révélant ou actualisant des enjeux de pouvoir et de légitimité entre différentes sources de connaissances. Toutefois, les recherches participatives se développent sans constituer un ensemble homogène, tant la variété des projets et des méthodes est grande, avec des démarches plus ou moins critiques de coproduction de connaissances, et une pluralité d’enjeux politiques, épistémologiques, méthodologiques et éthiques. La radicalité de la période précédente se serait-elle émoussée ? Dans quelle mesure les expérimentations en matière de recherche participatives continuent-elles d’interroger justice, inégalités, démocratie, à travers la question des formes de coproduction des savoirs ? Quels sont les fondements épistémologiques, les déclinaisons et les effets des démarches de croisement des savoirs, de recherche-action collaborative, d’écologie des savoirs ? Permettent-t-elles d’alimenter les imaginaires démocratiques et de susciter la confrontation démocratique entre des choix de société ?

Il semble alors crucial de poursuivre les travaux sur les recherches participatives, collaboratives, sur les moyens de produire de la connaissance autrement, sur les liens entre connaissance et action. A cet égard, la question de la place et des évolutions des médias, d’internet, y compris dans les expérimentations participatives, mérite d’être posée sous l’angle de la production et de la circulation de connaissances. On assiste à un retour de débats ou positions opposant « radicalisation » ou recul de la rationalité d’une part et raison, science et objectivité d’autre part. Ce débat se déploie dans un contexte d’érosion de la légitimité des savoirs scientifiques. Les sciences sociales sont régulièrement accusées dans l’espace public, y compris par les institutions, d’être partisanes. Elles sont fragilisées sur le plan symbolique comme sur le plan budgétaire. Les conditions de production de savoirs critiques sont clairement posées. Dans le même temps, on assiste au développement des fake news, amplifiées par leur circulation sur les réseaux sociaux. La question des savoirs ouvre ainsi aux modalités démocratiques de fabrique et de discussion sur l’expertise, les connaissances, le consensus scientifique. Comment sont construits les faits sur lesquels on débat, on s’organise collectivement en société ? Peut-on délibérer quand tout le monde ne partage pas la même définition de la réalité ? Qui participe à l’enquête, quels savoirs sont convoqués dans la fabrique des indicateurs, des controverses, des faits ? Quelles régulations et quelles discussions sur la construction de connaissances se déploient-elles dans la société, en premier lieu au sein des réseaux sociaux ?

4. Faire des économies démocratiques

Comment le capitalisme fait-il l’économie de la démocratie ? Est-il possible de bâtir des économies qui soient démocratiques ? A ces anciennes questions, s’ajoutent les débats récents sur l’uberisation de la société, sur l’économie de plateforme, se structurent autour de l’opposition entre le collaboratif et le coopératif (formes collaboratives de consommation vs formes coopératives de production) et soulèvent la question des valeurs qui sous-tendent ces nouvelles formes économiques. La dimension collaborative de la nouvelle économie peut se transformer rapidement par la concentration financière des offreurs en une économie de la prédation. Par ailleurs, les débats sur les rapports entre travail et emploi ou sur la question des activités utiles à la société, particulièrement mises en lumière par la crise sanitaire, interrogent fondamentalement la participation. La question des dimensions économiques des activités démocratiques (élections, organisation collective, occupations, vie associative) doit également faire l’objet d’une attention particulière, tant les conditions même de déploiement du capitalisme néolibéral viennent heurter et peser sur les dynamiques démocratiques.

Si l’attention portée par les sciences sociales à l’introduction de dimensions « participatives » dans le fonctionnement des entreprises et plus largement dans le monde du travail n'est pas nouvelle, elle prend dans ce contexte une importance particulière. En effet, l’ambition d’une démocratisation de la société par la participation a rapidement imposé comme condition sine qua non la réforme profonde de la subordination salariale et de l’arbitraire patronal/actionnarial que constituent les entreprises en situation capitaliste. Toutefois, la circulation des rhétoriques et expérimentations participatives dans les pratiques managériales et les réformes du code du travail ou les réappropriations concurrentes du terme de « démocratie sociale » interroge à nouveaux frais le lien entre participation, entreprise et capitalisme. Ces évolutions rappellent notamment que le rapport au travail est une dimension constitutive de la citoyenneté : l’expérience de la subordination, de l’exploitation mais également des solidarités collectives et des résistances façonnent le comportement politique des individus. S’agit-il alors de repenser la gouvernance des entreprises ou de favoriser le management participatif ? D’expérimenter des formes plus radicales de coopération économique égalitaire, y compris en sortant du statut salarial ? L’affaiblissement des contre-pouvoirs syndicaux et des capacités de résistance des travailleurs et des travailleuses salariées signifie-t-elle une dé-démocratisation des entreprises ? A quelles conditions et jusqu’où le fonctionnement même des entreprises est-il en mesure d’atteindre une forme de démocratie qui subvertisse concrètement les limites que lui assigne habituellement le capitalisme (rapport de subordination, arbitraire patronal, division du travail, recherche illimitée de profits) ?

On s’interrogera également sur la nécessaire prise en compte des dimensions économiques des pratiques démocratiques ; comment se pense aujourd’hui leur financement, entre réaffirmation du caractère démocratique de la subvention face à son instrumentalisation dans les relations entre institutions publiques (ou privées) et monde associatif ou mobilisations ? Comment les enjeux économiques et financiers viennent-ils impacter les processus électoraux eux-mêmes, que ce soit par les moyens directs dont disposent les candidats et candidates ou par l’influence croissante de puissants empires financiers et médiatiques dans le débat public ?

5. La participation, entre démocratisation et autoritarisme

La dernière décennie a été marquée par l’évolution plus ou moins brutale de nombreux régimes vers des formes qualifiées d’autoritaires ou illibérales. La dé-démocratisation est clairement à l’œuvre dans l’Inde de Modi, le Brésil de Bolsonaro ou les Etats-Unis de Trump, pour ne citer que quelques exemples. Des régimes qualifiés de démocratiques ont ainsi pu connaître des attaques contre la liberté de la presse et les journalistes ou l’autonomie des juges. Ceci s’accompagne de la criminalisation des lanceurs d’alerte, la répression violente des mouvements sociaux ou encore la restriction des libertés associatives et académiques. Ce faisant, c'est la séparation des pouvoirs qui se trouve fragilisée, comme la place qu’occupent les contre-pouvoirs et plus largement la critique en démocratie. On a ainsi vu apparaître de nouvelles catégories de régimes politiques telles que « l’autoritarisme compétitif », les « démocraties illibérales » ou les « autocraties électorales », qui soulignent la nécessité de questionner les associations habituelles entre démocratie, élections et pluralisme. Au-delà du cas chinois, qui montre la parfaite compatibilité entre autoritarisme et démocratie participative au niveau local, une série de travaux récents invitent à se déprendre de certitudes visiblement infondées concernant la qualité démocratique des « grandes démocraties ». La pandémie qui sévit depuis deux ans n’a fait que confirmer leur vision pessimiste. Ce contexte oblige à repenser les relations entre démocratie et participation. Plusieurs phénomènes contemporains nous rappellent en effet que la participation, entendue comme engagement et mobilisation des citoyens et des citoyennes, et notamment de celles et ceux dits « ordinaires » (ni élu.es, ni militant.es), dans le débat public et l’action collective, peut nourrir le fascisme tout autant que la démocratie. Ainsi la surveillance participative, exercée de façon horizontale et sur une base volontaire, s’observe aussi bien en ligne que dans de multiples formes de vigilantisme qui se déploient notamment dans les villes, et s’articule à des formes de surveillance plus verticales et/ou dictées par des logiques néo-libérales. Ainsi également de la haine, la polarisation et la désinformation qui s’épanouissent sur les réseaux sociaux. Il convient également de s’interroger sur l’articulation de ces phénomènes. En particulier, peut-on penser ensemble – comme les deux piliers d’une même gouvernementalité néo-libérale – l’institutionnalisation de la démocratie participative et la répression des mouvements sociaux ? A l’instar du Grand débat national, faut-il voir dans la participation instituée un moyen de légitimer les gouvernants quand ils sont fragilisés par des contestations sociales qui se multiplient dans un contexte d’accroissement des inégalités économiques et environnementales ?

Face à ce constat, nous invitons des propositions permettant de mieux comprendre à quelles conditions la mobilisation, l’expression, la communication horizontales peuvent nourrir des dynamiques démocratiques, ou au contraire anti-démocratiques. Si les procédures (élection, consultation, discussion) sont neutres, cela implique-t-il un retour à une définition plus substantielle de la démocratie, et donc des analyses plus attentives aux valeurs et aux normes promues à travers, et au-delà, des procédures ? Et dans ce cas, comment éviter de retomber dans l’écueil d’une perspective excessivement normative, eurocentrique et abstraite ?

Les propositions peuvent concerner à la fois l’étude des entraves et attaques institutionnelles à l’action collective et à la participation citoyenne (modalités de financement et canalisation, disqualification des militants, répression judiciaire ou policière, marginalisation des dispositifs participatifs) et l’usage de technologies participatives à des fins de contrôle social, de discipline et de surveillance de la population.