44-L’inclusion des citoyens dans la planification urbaine locale

L’inclusion des citoyens dans la planification urbaine locale favorise-t-elle la transition écologique ? Enseignements du suivi-évaluation participatif de l’initiative de la commune de Saillans (2017-2020)

Identité de l’équipe :

Les acteurs de terrain sont :

  • les participants aux ateliers organisés : habitants, usagers et travailleurs de la commune, enfants des écoles ;
  • trois élus référents membres du Groupe Technique, qui coordonne la révision du PLU de Saillans (Sabine Girard, élue référente de l’environnement, l’énergie et la mobilité et porteuse principale du projet de révision du PLU ; Agnès Hatton et André Oddon, respectivement élue référente Finances et élu référent Travaux et Aménagement) ;
  • un chargé de mission démocratie participative(Ivan Pascaud) ;
  • un membre d’ARENE qui fait partie du bureau d’étudesen charge de la révision du PLU, Mathias Bourrissoux, spécialiste de la participation qui accompagne ponctuellement le Groupe Technique et le Groupe de Suivi-Évaluation sur la méthodologie ;
  • trois habitants, membres de l’Observatoire de la Participation, instance de veille de la mise en pratique de la démocratie participative dans la commune depuis les élections municipales de mars 2014 (Alixe Poncelin, Bernard Simon, Aude Cubilé).

Du côté de la recherche-action, sont impliqués :

  • l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculturevia la présence de Sabine Girard (UR Développement des Territoires de Montagne), et l’aide méthodologique à distance de Nils Ferrand et Emeline Hasseforder (UMR G-EAU) ;
  • le Groupement d’intérêt scientifique Démocratie et Participationet la Maison des Sciences de l’Homme, institut du Centre National de la Recherche Scientifique, viala participation à mi-temps, présentielle et à distance, de Prune Missoffedans une optique de recherche et d’accompagnement de la commune, à la demande de cette dernière dans le cadre du programme Cit’in.

L’équipe se compose à la fois d’acteurs de terrain et de chercheurs, dans une optique de recherche-action qui trouble volontairement une distinction nette de ces deux catégories dans la mise en place du projet. À ce titre, les habitants membres de l’Observatoire de la Participation et les chercheurs travaillent de concert au suivi-évaluation au fur et à mesure de la démarche participative dans le cadre d’un groupe créé à cet effet, le Groupe Suivi-Évaluation, animé par le chargé de mission démocratie participative et auquel est invité permanent le Garant de la Concertation désigné par la Commission Nationale de Débat Public, Jacques Archimbaud, pour faire la médiation en cas de difficulté entre les habitants et les différentes parties-prenantes.

Projets en rapport avec la transition écologique dans lesquels l’équipe est engagée :

Plusieurs Groupes Action-Projet sont en cours en relation avec la transition écologique. Ils regroupent des habitants bénévoles avec un élu référent pour réfléchir et mettre en place des actions concrètes :

  • extinction de l’éclairage publique nocturne ;
  • compost collectif autogéré ;
  • transition énergétique (sensibilisation aux économie d’énergie, incitation à l’équipement en panneau solaire thermique) ;
  • mobilité douce (pedibus, vélo électrique, covoiturage, etc.).

Par ailleurs, la municipalité est engagée dans différentes autres activités visant la transition énergétique :

  • panneaux photovoltaïques sur la toiture du bâtiment de l’école à vocation pédagogique ;
  • choix d’un nouveau prestataire de fourniture d’énergie sur des critères environnementaux ;
  • achat d’un véhicule électrique ;
  • mise en place du Plan zéro phyto sur la commune ;
  • soutien à l’ouverture d’une recyclerie ;
  • organisation d’une semaine de l’économie locale.

Problématique de la proposition (question(s) de recherche) :

Contexte. L’équipe municipale de Saillans (issue d’une liste dite « citoyenne ») met en place depuis mars 2014 une gouvernance collégiale et participative de la commune. Début 2016, la commune doit réviser son Plan Local d’Urbanisme. L’équipe municipale souhaite à cette occasion organiser un espace et un moment de réflexion, de débat et de décision collective sur l’avenir du village dans une perspective de transition écologique et énergétique. Il s’agit à travers la révision du PLU à la fois de renforcer l’implication citoyenne dans la vie publique mais aussi d’inscrire les discussions et décisions politiques locales dans un contexte de changement global de la société et de la planète. La phase de définition des objectifs de la révision, accompagnée par un bureau d’études, associe déjà les habitants de mars à septembre 2016 viades ateliers participatifs (grande carte, promenades sensibles, tales thématiques, arpentage de texte…) à la co-rédaction de six objectifs avec les élus, dont l’un est explicitement dédié à la transition énergétique.

Entrant véritablement dans la révision du PLU elle-même en avril 2017, la commune met en place un dispositif participatif, dont la mission est confiée pour 3 ans à un bureau d’étude (urbanistes, architectes, paysagistes, spécialistes de la participation), grâce à une subvention de la Fondation de France. Ce dispositif comprend :

  • un atelier participatif de cadrage de la participation, permettant de discuter les modalités de la participation à venir et les principes d’une charte de la participation
  • de nombreux ateliers participatifs, diversdans les formes, les temps et les publics mais aussi dans les objectifs de participation visés (de la consultation à la co-construction) ;
  • un Groupe de Pilotage Citoyen, composé de 12 habitants tirés au sort (sur le principe du panel citoyen), 4 élus et 2 agents mairie, qui se réunit mensuellement et constitue l’instance de pilotage et de validation des documents de PLU (y compris des règlements locaux) et dont le travail de délibération sera uniquement validé par le Conseil municipal ;
  • la désignation d’un Garant de la Concertation par la Commission Nationale de Débat Public ;
  • la mise en place d’un Groupe de Suivi-Évaluation de la démarche participative.

Les questions de rechercheportent à la fois sur 1) le processus participatif lui-même (déroulement, méthodes, contenu, parties prenantes, etc.), 2) ses résultats (produits directs) et 3) ses effets et impacts, et ce en matière tant de a) planification urbaine que de b) mise en œuvre de la transition énergétique et c)d’apprentissage et d’implication des citoyens dans l’action publique locale. Les questions portent également, de manière réflexive, sur l’évaluation participative de la participative.

  • Le dispositif participatif mis en place permet-il la participation souhaitée des habitants ? De quelle manière ? À quel niveau de participation ? À quels moments ? Quel rôle jouent les différents acteurs (élus, habitants, membres du Groupe de Pilotage Citoyen, membres du Groupe Suivi-Évaluation, bureau d’études, associations, acteurs économiques, Groupes Action-Projet, etc.) ? Quelle vision ces acteurs ont-ils du processus mis en œuvre et des autres acteurs (en particulier les membres du Groupe de Pilotage Citoyen et les non-participants) ? Quelle articulation des expertises le processus participatif permet-il ? Comment se réorganisent l’autorité, le leadership, les conflits, le rapport au politique et à la politique (en termes notamment de représentativité et de légitimité) ? Quels sont les freins et les leviers à la poursuite par le processus participatif des objectifs définis en amont par ses acteurs ? Le dispositif participatif mis en place permet-il une planification urbaine de la communeprenant en compte diversité des intérêts, produite par un compromis reflétant fidèlement la participation, répondant aux six objectifs définis dans la phase préalable de révision du PLU et appropriée par les habitants ?
  • La révision participative du PLU permet-elle le renouvellement de la participation à Saillans, en termes de nombre, de diversité des participants, d’investissement nouveau dans la vie municipale, de mode de participation offert et de niveau de participation proposé ? Permet-elle une prise de conscience sur l’intérêt ou l’importance de l’implication citoyenne dans l’action politique locale, ainsi que l’envie de participer et mettre en place des dispositifs participatifs par la suite dans la commune ou à une autre échelle ?
  • En quoi l’implication citoyenne à laquelle invite le dispositif participatif permet-elle d’intégrer les enjeux de la transition écologique tels qu’ils sont définis dans les objectifs de révision dans la planification stratégique urbaine locale (à savoir : développement urbain cohérent avec une mobilité plus douce, économies d’énergie dans la construction, la production d’énergie renouvelable, plus d’autonomie alimentaire, préservation des ressources naturelles, etc.) ? Dans quelles conditions, par quels mécanismes ? Quelle importance des facteurs de contexte, des objectifs fixés, du déroulement du processus ?
  • En quoi, comment et dans quelles conditions un dispositif participatif appliqué à la planification urbaine peut-il contribuer à former des « citoyens environnementaux » et à engager individus et collectivité locale dans un changement de comportements et de pratiques vers la mise en œuvre de la transition écologique en renouvelant la démocratie du faire ? Quelles prises de conscience et/ou quels apprentissages des participants cela permet-il en termes de définition et gestion des communs sur leur territoire, d’appropriation, d’utilisation et de respect des documents d’urbanisme, et enfin de délibérations sur des choix collectifs ? Le dispositif participatif permet-il une meilleure appropriation, utilisation, et respect  ultérieure des documents de PLU ?
  • Quelle doit être l’articulation entre l’ingénierie du dispositif participatif et l’ingénierie du suivi-évaluation afin de permettre l’adaptation de l’un et de l’autre ? C’est-à-dire, d’une part, que le suivi-évaluation permette d’identifier à quel moment le dispositif participatif devrait être modifié ; et d’autre part que le suivi-évaluation soit capable d’identifier les effets non attendus du dispositif participatif ? Y a-t-il un savoir-faire et un savoir-êtrenécessaires aux personnes participant au suivi-évaluation d’un dispositif participatif ?
  • Le Groupe Suivi-Évaluation parvient-il à accompagner le processus participatif sans intervenir sur le fond ? Quels résultats produit-il ? De quelle manière ? Quelles sont les conséquences d’une collaboration chercheurs/acteurs ? Quels sont effets et ses impacts dans les évolutions du processus ? Quelle est la réception de cette instance par les différents acteurs (habitants, élus, bureau d’études, etc.) ? Y a-t-il un consensus global de ces acteurs autour des résultats produits par ce groupe ?

Méthodologie et terrain d’enquête :

La posture adoptée est celle d’une recherche « impliquée », basée sur une collaboration étroite entre les chercheurs/experts de la participation et les multiples acteurs de terrain (à la fois le bureau d’étude, l’équipe municipale, les habitants bénévoles de l’Observatoire de la Participation, les participants eux-mêmes de l’ensemble des dispositifs mis en place ainsi que l’observateur extérieur que constitue le Garant de la Concertation). Cette collaboration porte à la fois sur la définition de la problématique, le cadrage de la démarche méthodologique du suivi-évaluation, la collecte de donnée, l’analyse et l’interprétation des données et le partage des résultats. Cette démarche vise aussi à concevoir et tester des solutions pragmatiques, procédant par arbitrage entre exigence de rigueur scientifique et risque d’affecter le processus participatif, en mettant bien en transparence ces éléments avec les participants du projet, et les laissant opérer leurs propres choix en la matière. Les chercheurs s’engagent à proposer et adapter des outils (de collecte et d’analyse) à la situation locale et son évolution.

La démarche de suivi-évaluation de la participation s’inspire du cadre d’analyse MEPPP « Monitoring and Evaluation of Participatory Planning Processes » (Hassenforder, Pittock, Barreteau, Daniell, & Ferrand, 2016) : une évaluation qui ne vise pas à contrôler ce qui se fait localement mais à soutenir le processus participatif dans la poursuite des objectifs définis en amont par ses acteurs. Le cadre MEPPP propose les étapes suivantes (non strictement chronologiques) : la description du cas ; la définition des objectifs du suivi-évaluation en fonction des objectifs visés par le projet participatif de révision du PLU ; l’identification des variables d’analyse issues du contexte, du processus, des résultats et des impacts ainsi que le choix d’indicateurs de suivi et l’étude de la faisabilité (en fonction des moyens disponibles et du contexte local) ; la définition et la mise en œuvre de démarche de suivi-évaluation ; l’analyse des données et l’interprétation ; le partage des résultats avec la population, tout au long de la démarche.

Parmi les outils, ont déjà été mis en œuvre ou sont prévus les suivants :

  • observation de réunions du Groupe de Pilotage Citoyen, ateliers participatifs, réunions publiques, réunions de quartier, réunions avec les agriculteurs, etc., à l’aide de grilles d’observation ;
  • conception d’un questionnaire initial (afin préparer au mieux les prochaines étapes de la révision du PLU) et final (afin de juger des apprentissages) à destination des habitants et de tous les acteurs de la commune visant à collecter leurs connaissances, points de vue et pratiques ;
  • conception de questionnaires courts d’auto-évaluations remplis par les participants après chaque réunion du Groupe de Pilotage Citoyen (suivi longitudinal) et après chaque activité participative ;
  • élaboration d’un tableau de suivi des participants tout au long du processus ;
  • élaboration d’un tableau de suivi des activités participatives et autres événements avec de nombreux indicateurs descriptifs relatifs à l’organisation, au mode d’animation et productions des réunions, etc ;
  • entretiens semi-directifs initiaux, de mi-parcours et finaux avec les membres du Groupe de Pilotage Citoyen, s’appuyant notamment sur l’outil de la lettre à soi-même

Dans la logique de recherche-action adoptée, il est prévu une analyse et restitution des résultats auprès des acteurs de terrain tout au long de la démarche, en particulier :

  • élaboration d’un calendrier de synthèse de l’ensemble des événements touchant à la révision du PLU dans une optique de publication auprès des habitants pour favoriser la transparence du processus ;
  • organisation de réunions de restitution du suivi-évaluation à destination des habitants ;
  • contact régulier avec le bureau d’études en charge de la révision du PLU en vue d’une amélioration en continu du processus participatif, et en particulier de son animation des réunions du Groupe de Pilotage Citoyen.

Type de résultat escompté :

Le Groupe de Suivi-Évaluation du processus participatif a pour objectif de :

  • analyser si les objectifs du dispositif participatif tels que fixés en début de processus ont été atteints ;
  • rendre compte de ces analyses au fur et à mesure de la démarche, afin que la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre du projet puisse éventuellement faire évoluer le processus au fur et à mesure ;
  • tirer des enseignements de cette expérience particulière sur la pertinence, les intérêts, les difficultés d’un tel niveau et de telles modalités de participation citoyenne dans la définition d’une stratégie de planification urbaine et l’écriture d’une réglementation locale, enseignements qui pourraient être généralisables et/ou utiles à des personnes extérieures à la commune ;
  • suivre et évaluer les résultats et impacts du processus participatif, incluant ceux qui ne lui seraient pas directement liés et/ou qui n’avaient pas été anticipés au départ ;
  • valoriser et partager ces résultats, en mettant notamment en exergue les réussites, les échecs et les points possibles d’amélioration pour une expérience future, mais aussi de conclusions pratiques pour le terrain, et ce régulièrement (au moins 2 fois sur la durée du projet) : restitution auprès du Groupe de Pilotage citoyen et en réunions publiques ; écriture d’une synthèse pédagogique grand public ; rédaction de communication ou d’article scientifique acteurs et chercheurs.

Le cadre financier actuel, permettant un investissement à mi-temps de Prune Missoffe dans le Groupe de Suivi-Évaluation, est un élément clef du dispositif de suivi-évaluation, au vu de la présence active de seulement deux chercheures et de son extériorité vis-à-vis de la mairie. Ce n’est que dans le cadre d’un prolongement de plusieurs mois de sa présence (à temps plein) dans ce groupe que

  • les outils suivants pourront être mis en œuvre : entretiens semi-directifs de mi-parcours avec les membres du Groupe de Pilotage Citoyen (permettant de produire une première analyse des évolutions) ; entretiens semi-directifs avec des non-participants (principalement, personnes tirées au sort qui ne se sont pas portées volontaires, et personnes tirées au sort volontaires qui n’ont pas été finalement tirées au sort) : quel rapport entretiennent-elles à la participation ensuite ?
  • une analyse approfondie pourra être faite de la matière récoltée à partir des outils suivants : entretiens semi-directifs initiaux ; notes d’observation des réunions (à mettre notamment en perspective avec les compte-rendus officiels) ;
  • une écriture fine d’articles scientifiques etd’une synthèse pédagogique grand publiccomplète.