39-Le financement participatif – outils et collectifs dans la construction de communs energetiques

Le financement participatif – outils et collectifs dans la construction de communs energetiques

Identité de l’équipe

Ce projet s’inscrit dans le processus de thèse de doctorat d’Arnaud Assié (doctorant CIRED-ENPC) sous la direction d’Alain Nadaï (Directeur de recherche HDR CIRD / CNRS), thèse commencée en juin 2017 et intitulée « Le financement participatif des énergies renouvelables comme processus collectifs de construction de valeurs partagées ».

Projets en rapport avec la transition écologique dans lesquels l’équipe est déjà engagée

Alain Nadaï est animateur du Groupe de Travail « Sociologie et Prospective Economique » de la cellule Energie du CNRS. Ses travaux actuels portent notamment sur :

  • les nouveaux collectifs de la transition énergétique (transnationaux, nationaux, locaux) ;

  • les politiques des énergies renouvelables (solaire, éolien, réseaux intelligents, captage et stockage géologique du CO2) ;

  • les recompositions sociales, territoriales et paysagères en contexte de transition énergétique.

Il est intervenant lors du séminaire « Approches socio-historiques des transitions énergétiques, du XVIIIe au XXIe siècle, à l’EHESS ».

Arnaud Assié a rejoint le CIRED après plusieurs années de conseil en bureau d’études spécialisé dans l’accompagnement politique juridique et financier des collectivités locales pour la conception et la mise en œuvre de leurs politiques énergétiques.

Problématique de la proposition

Le projet vise à étudier la contribution possible des dispositifs du financement participatif et citoyen – à-travers ses dispositifs variés aux valeurs apparemment divergentes - à la démocratisation de la transition énergétique.

Alors que le contexte juridique et réglementaire français (Loi relative à la Transition Energétique pour la Croissance Verte d’août 2015, appels d’offres pour la réalisation d’infrastructures de production d’énergies renouvelables, dits appels d’offres CRE 4, lancés par la Commission de Régulation de l’Energie à partir d’août 2016) favorise le financement des installations par les citoyens « riverains » et/ou les collectivités en y associant un bonus sur le prix du MWh, et  le consacre ainsi comme un quasi prérequis pour les porteurs de projets, plusieurs modèles économiques voire politiques, porteurs de valeurs distinctes, s’affirment.

Récemment pourvu d’un cadre juridique, le secteur du financement participatif (crowdfunding) développe une activité de financement des énergies renouvelables à laquelle se consacrent, par le biais de sites Internet et d’outils numériques, des « plateformes » spécialisées (Lumo, Enerfip, Lendosphere) ou généralistes (WiSeed, Lendopolis), visant à mettre en relation particuliers « prêteurs » et porteurs de projets « emprunteurs ».

Souvent critiques de ces acteurs à la vision (néo)libérale, avec lesquels ils nouent cependant parfois un dialogue, les collectifs citoyens, pour nombre d’entre eux adhérents à l’association Energie Partagée, critiquent des pratiques qui ne favorisent pas un accès des citoyens au capital et donc à à la gouvernance des projets. Ils plaident pour d’autres modèles économiques caractérisés par leur diversité, leur adaptabilité aux spécificités du territoire. Ils nourrissent, ce faisant, une vision politisée de la transition énergétique, valorisant des enjeux de solidarité et d’autonomie énergétique.

Les acteurs déjà présents dans le paysage français de la production des EnR sont tenus de se positionner face à ces dispositifs émergents. Bien qu’en partie contraints par l’évolution des mécanismes de soutien à la production d’EnR qui considèrent désormais la place des collectivités et des citoyens dans le financement des infrastructures de production EnR, certains industriels espèrent du financement participatif une amélioration de leurs conditions de financement et de leurs relations avec le public. Les banques observent avec prudence l’émergence d’instances de financement à la fois complémentaires et concurrentes. L’Etat considère avec intérêt la mobilisation de l’épargne des ménages vers des projets contribuant à la réalisation de ses objectifs environnementaux.

L’émergence du financement participatif est aussi susceptible d’apporter des développements à l’étude de l’enjeu d’acceptabilité caractérisant certaines énergies renouvelables, notamment l’éolien. Hypothétiquement, le recours au financement citoyen, ou participatif à destination des riverains, affaiblit la position des collectifs citoyens s’opposant à des installations considérées comme industrielles et ne bénéficiant qu’à des acteurs extérieurs aux territoires. La participation financière des citoyens, même riverains, n’est cependant pas forcément synonyme d’implication dans la gouvernance ni de répartition égale entre les parties prenantes « des profits et des peines » de la transition énergétique. La position des collectivités, enfin, est incertaine, alors que les dispositifs leur assurant une place dans le financement des installations sont parfois jugés institutionnellement inadéquats et que d’autres aspects économiques – notamment la répartition des recettes fiscales – peuvent apparaître prioritaires.

Les dispositifs participatifs ou citoyens de financement des infrastructures de production d’EnR, malgré leurs probables insuffisances, offrent cependant aux citoyens, directement ou à-travers le rôle des collectivités, un autre statut que celui du riverain neutre ou de l’opposant passif auxquels ils sont souvent cantonnés à l’issue des éventuelles phases de consultation ou concertation. Elles interrogent la capacité d’une opération de financement à devenir, ou simplement à encourager, une opération de participation citoyenne. Les opérations de levée de fonds auprès des citoyens et des collectivités, de suivi de la réalisation et de l’exploitation des installations, éventuellement de gouvernance de certains projets, offrent autant d’occasions pour la tenue de forums physiques, sous différentes formes, à proximité des installations.

Par ailleurs les acteurs principaux du financement participatif, juridiquement définis – par l’ordonnance sur le financement participatif de mai 2014 – comme des plateformes numériques, permettent, sur Internet, une interaction nouvelle entre citoyens/épargnants et porteurs de projets / entrepreneurs (ce clivage étant plus ou moins opérant suivant les dispositifs), que nous comptons observer à l’aide des techniques de la sociologie numérique. Cette interaction consiste a minima en un échange de flux financiers, mais s’étend le plus souvent – y compris en-dehors des plateformes elles-mêmes, notamment sur les principaux réseaux sociaux - à un dialogue portant sur les caractéristiques techniques et géographiques des projets, sur les montages financiers auxquels ils recourent, sur le suivi de la réalisation puis de l’exploitation du projet… La gouvernance naissant de telles interactions peut être appréhendée sous l’angle des communs numériques…

Ces dialogues plus ou moins étendus, prenant comme origine la valorisation financière d’un projet de production EnR – et par là de chacune des composantes de ce projet : « source » d’énergie primaire, terrain d’implantation, dispositif technique choisi, habileté technique du constructeur et financière de l’exploitant, caractère plus ou moins favorable de l’environnement politique local et national… – nous semblent autant d’occasion pour observer le dialogue de valeurs, convergentes ou non, sous-tendant le développement d’un projet de production d’EnR, et le processus éventuel de construction, autour d’un dispositif technique comme d’un dispositif financier et politique, de valeurs partagées, soutenant une démocratisation de la transition écologique.

Méthodologie et terrain d’enquête

Le synoptique du travail de thèse est présenté ci-dessous :

Outre l’approfondissement du cadre théorique (A), le travail comporte : trois pans d’analyse au niveau national concernant le suivi de l’évolution de la politique de transition énergétique (B),  l’analyse des acteurs de la filière EnR (C), l’analyse des dispositifs de financement participatifs et de leur évolution (cadre réglementaire, acteurs …) (D) trois cas d’études de projets participatifs incluant l’analyse détaillée de leur montage et de leur financement au travers d’intermédiaires de financement participatif.

Ces analyses seront conduites sur la base d’archives, de littérature grise ou académiques et d’entretiens semi-directifs.

En fonction des recherches de financement en cours, il sera, nous l’espérons, possible d’associe à un travail d’analyse digitale des échanges ayant lieu sur et autour des plateformes de financement participatif et citoyen, un travail classique de terrain permettant d’appréhender, dans un environnement hors-numérique, les conséquences du recours au financement participatif ou citoyen sur l’appropriation par les citoyens riverains ou non de valeurs relatives à la transition énergétique.

Type de résultat escompté

Sur le plan formel, il est attendu d’Arnaud Assié la rédaction de trois articles scientifiques et la participation à au moins deux colloques. Les sujets anticipés à ce stade pour les trois articles sont :

  • Un examen des dispositifs de financement participatif et citoyen pour les énergies renouvelables en France et des valeurs sous-tendues par ces divers dispositifs ;

  • Un panorama des opérations de financement participatif pour les EnR réalisées en France : des expériences d’installations « d’énergie citoyenne » au questionnement de l’élaboration en cours du financement participatif de la transition énergétique par les plateformes comme commun numérique ;

  • Un cas d’étude ou une analyse comparée de deux à trois cas d’études recourant à différents outils de la gamme du financement participatif et citoyen.

Le projet recouvre particulièrement trois des perspectives de recherche ouvertes par l’AMI CIT’In :

  • Axe 2. La portée démocratique des expérimentations citoyennes, à travers l’étude des mécanismes délibératifs et l’intérêt porté à l’enchâssement de ces dispositifs dans des logiques financières et militantes, à première vue peu compatibles.

  • Axe 3. Numérique et transition des civic techs aux communs informationnels, par l’examen de l’articulation entre les mécanismes de gouvernance « hors-numérique » et ceux créés ou entretenus par l’utilisation d’une plateforme ou d’un autre outil numérique de financement participatif ou citoyen, et par l’exploration d’une figure du lien entre communs énergétiques et communs informationnels

  • Axe 5. La citoyenneté environnementale : à travers l’étude de l’épargnant comme nouvelle figure du citoyen environnemental, et des relations entre celle-ci et des figures mieux connues : électeur, consommateur, militant sur le terrain ou les réseaux sociaux, etc.