29-La portée (écologique) des observatoires participatifs de l’environnement

La portée (écologique) des observatoires participatifs de l’environnement

Structure porteuse du Projet :

Muséum national d’Histoire naturelle

Coordinateurs

Romain Julliard, PR Muséum, CESCO (UMR 7204) ;

Frédérique Chlous, PR Muséum, PALOC (UMR 208), Directrice du département Homme et Environnement du MNHN

Membres :

 

Luc Semal, MCF Muséum, CESCO (UMR 7204);

Stéphanie Duvail, CR IRD, PALOC (UMR 208) ;

Elise Demeulenaere, CR CNRS, Ecoanthropologie ethnobiologie (UMR 7206) ;

Aymeric Luneau, post-doc inter-unité.

 

Équipe concernée

Le département « Homme et environnement » (H&E) du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), dirigé par Frédérique Chlous, regroupe plusieurs laboratoires ayant initié, depuis plusieurs années, une dynamique de recherche collective sur les relations entre sociétés et biodiversité. Ce travail tire profit de l’opportunité, offerte par le MNHN, de développer des approches interdisciplinaires associant étroitement sciences sociales et sciences de la vie.

La montée en puissance de la notion de « transition écologique », qui supplante progressivement celle de développement durable, amène aujourd’hui nos équipes à approfondir ces réflexions en questionnant les synergies ou les tensions qui se dessinent entre démocratie participative d’une part, et sciences participatives d’autre part. Dans ce contexte, les membres de l’équipe se sont engagés dans une réflexion questionnant les apports scientifiques et politiques des approches participatives qu’ils contribuent à développer à l’heure où l’impératif de transition écologique questionne les référentiels spatiaux (finitude, limites globales, fragilisation des biens communs mondiaux) et temporels (enjeux de long terme, horizon catastrophiste, perspectives d’un effondrement socio-écologique) de l’agir démocratique.

Au sein du département « Homme et environnement », les laboratoires intéressés par le programme Cit’In (ci-après : l’équipe) sont, par ordre alphabétique, les suivants :

  • Le Cesco (Centre d’écologie et des sciences de la conservation, UMR 7204) associe sciences de la vie et sciences sociales. Il accueille les plateformes de sciences participatives « Vigie-nature ». Ces représentants dans l’équipe sont : Romain Julliard, Luc Semal (sciences politiques) et Aymeric Luneau (sociologie).

  • Le laboratoire d’Éco-anthropologie et ethnobiologie (UMR 7206) accueille des recherches mêlant sciences de la vie et sciences humaines et sociales afin d’étudier les interactions entre l’homme et le milieu naturel. Il est représenté par Elise Demeulenaere (anthropologie sociale), dont les travaux sur les projets de sélection participative des semences paysannes et l’engagement des publics dans des observatoires participatif de la biodiversité nourrissent une réflexion plus générale sur les modalités de participation dans la recherche (projet de recherche LEVANA 2012-2015 ; co-encadrement avec R. Julliard de la thèse d’Emmanuel Charonnet).

  • Le laboratoire Paloc (UMR 208), regroupe des anthropologues, géographes, ethno-botanistes, archéologues et muséologues s’intéressent aux dynamiques environnementales, socioculturelles et politiques associées aux processus de patrimonialisation dans le monde en prêtant une attention particulière aux démarches d’hybridations des savoirs. Il est représenté dans l’équipe par Frédérique Chlous et Stéphanie Duvail.

Travaux de recherche en cours : les dynamiques de transformation des observatoires de l’environnement

La dernière décennie a été marquée par une implication croissante du public dans la production des savoirs selon des modalités variées (Haklay, 2016). Cette pluralité des dispositifs, qui existe au sein même du département H&E, est en partie corrélée à la pluralité des « champs de recherche » alimentant les réflexions sur la manière de penser et de mettre en pratique des « sciences participatives ». Une première opération pour « mettre en ordre » cette pluralité consiste à positionner les dispositifs et les modèles de sciences participatives qu’ils impliquent selon le degré de symétrie de la relation entre « chercheurs professionnels » et bénévoles; l’« origine » des procédures ; ou les finalités (instrumentalisation versus émancipation).

Ce travail nécessaire de catégorisation ne doit pas conduire à une vision stéréotypée qui associerait systématiquement citizen sciences, procédures descendantes et instrumentalisation d’un côté ; « recherche participative », procédures ascendantes et émancipation de l’autre. Ainsi, l’implication des populations locales dans la gestion de territoires peut être mobilisée par certains acteurs comme un outil pour affaiblir l’emprise d’un État (Ongolo et Badoux 2017). Tandis que les agriculteurs participant à l’« Observatoire agricole de la biodiversité » ont amené les coordinateurs à modifier le dispositif destiné « à dresser de grandes tendances sur plusieurs décennies » vers un « outil d’évaluation des pratiques et d’accompagnement du changement » (Deschamps et Demeulenaere 2017).

Les recherches en cours menées par l’équipe sont donc attentives aux dynamiques de transformation des observatoires participatifs de l’environnement. Le travail d’Aymeric Luneau, commencé en septembre 2017, consiste à analyser les trajectoires des sciences participatives de l’environnement. Inspiré du programme de « sociologie pragmatique des transformations » (Chateauraynaud et Debaz 2017), nous supposons que les dispositifs de science participative sont à la fois le produit et le lieu de « frictions » entre des logiques différentes. En s’appuyant sur des méthodes d’analyse de corpus de textes, de réseaux d’acteurs et ethnographiques, cette recherche permettra de comprendre les logiques participant aux convergences ou aux incommensurabilités observées entre les « formes » de sciences participatives de l’environnement. Le travail de recherche d’Aymeric Luneau vise également à comprendre les transformations produites par les dispositifs de sciences participatives sur les sphères publiques ou scientifiques.

Quelle implication des sciences participatives de l’environnement dans la transition écologique ?

Dans le cadre du programme Cit’in, nous avons proposé d’articuler l’analyse des transformations liées aux sciences participatives de l’environnement à la transition écologique en partant de la notion de portée (écologique) des observatoires participatifs. Par « portée » (Chateauraynaud et Debaz 2017), nous entendons les effets de ces observatoires sur les jeux d’acteurs, les arguments, les cadres de l’action collective entrant dans la configuration de la transition écologique.

Les observatoires participatifs de l’environnement comme espaces d’expression des expériences de la transition écologique

Pour comprendre le rôle des sciences participatives de l’environnement sur la « mise en mouvement » que serait la transition écologique, il nous semble intéressant d’étudier comment celles-ci ouvrent des espaces d’expression (Luneau 2015) à l’intérieur desquels les acteurs peuvent faire émerger une attention collective. Une hypothèse est que les sciences participatives peuvent faciliter le travail d’expression des « troubles écologiques » en offrant d’abord un cadre permettant d’en faire l’expérience, puis un dispositif de collecte de ces expériences. L’enjeu sera de saisir ensuite comment la collection de ces expériences circule dans les sphères de la régulation et des discours publics ou impriment les visions du futurs.

Toutefois, les travaux menés par Elise Demeulenaere montrent que l’accroissement des financements qui sont accordés aux projets de sélection participative des semences suppose une formalisation potentiellement contraire aux valeurs d’émancipation paysanne et de justice cognitive sur lesquelles une « sélection participative buissonnière » s’est construite (Demeulenaere et al., à paraître). Le travail sur les réseaux de lépidoptéristes conduit par Emmanuel Charonnet dans le cadre du projet Levana puis de sa thèse montre aussi que les programmes de suivi participatifs comme le STERF placent les naturaliste dans un univers « probabiliste » et non plus « expérientiel ». En contrepoint de l’hypothèse précédemment formulé, les dispositifs de sciences participatives pourraient donc contraindre la créativité de l’agir environnementale en uniformisant et limitant, via les protocoles notamment, le type d’expérience pris en compte ou en transformant la dynamique d’enquête en routine détachée du trouble initial.

Les sciences participatives de l’environnement comme fabriques de la « citoyenneté environnementale »

Les potentiels effets standardisant des dispositifs de sciences participatives invitent à être attentif aux conceptions de la « citoyenneté environnementale » qu’ils portent. Plus précisément, toute expérience de science participative définit le type de rapport existant entre les connaissances scientifiques et les connaissances dites profanes, locales, traditionnelles ou autochtones. En présupposant que la « justice cognitive » est un élément central de la « citoyenneté environnementale », il s’agit de saisir les « normes cognitives » et le type de citoyen et citoyenne que les sciences participatives contribuent à dessiner.

Enfin, dans la mesure où les sciences participatives s’inscrivent dans le mouvement de reconnaissance d’un droit de chacun et chacune à prendre part au processus d’élaboration des connaissances, elles soulèvent nécessairement le problème de l’accès à ce type d’expérience. Ce problème invite par exemple à être attentif aux phénomènes de structuration de communautés de « bénévoles », devenus spécialistes sans être nécessairement naturalistes, qui accroitraient les coûts d’entrée dans les observatoires. À travers la question des « absents », l’étude des observatoires de l’environnement offre un moyen pour appréhender les conditions permettant d’avoir prise sur la transition écologique ou les mouvements d’ironie (Barbier 2005) face aux nouvelles injonctions participatives et environnementales.