25-La place de l’Implicite dans l’appropriation des enjeux de transitions

La place de l’Implicite dans l’appropriation des enjeux de transitions

Anne Beauvillard – Patrick Beauvillard – Romain Gayral

I. Présentation des équipes :

L’APESA :

L'Apesa développe des expertises multiples et complémentaires pour accompagner les territoires et les organisations dans la transition vers un futur souhaitable. Elle explore les voies à suivre pour accélérer le développement économique, environnemental et sociétal des territoires. Laboratoire de nouvelles pratiques techniques, socioéconomiques, d’intelligence collective, elle fait l’interface entre solutions innovantes et besoins opérationnels.

Transition écologique, économie circulaire, et responsabilité sociétale, sont les trois mots clés que l'on retrouve en filigrane dans tout le programme de recherche de l'APESA.

Tant au niveau national qu’au niveau régional la transition écologique est en marche. Cette transition suppose la mise au point de nouvelles approches et de nouveaux outils pour accompagner le tissu économique et les territoires. L’APESA a été créée il y a 20 ans afin de répondre aux besoins des acteurs souhaitant s’inscrire dans la transition écologique.

  • Transition écologique et Appropriation sociétale :

L’APESA, conjointement avec l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et le laboratoire de recherche Passages a souhaité mettre en place un projet de recherche traitant de la transition écologique, de l’appropriation sociétale, et de la construction territoriale. Un projet de thèse doctorale en géographie et aménagement a donc vu le jour dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE).

Le sujet de cette thèse interroge le concept territoire ainsi que l’objet lui-même et la problématique de sa construction. Ce travail est conçu comme une recherche impliquée, l’objectif est de faire circuler l’information entre les acteurs des territoires choisis pour mettre en oeuvre les politiques accompagnant la transition écologique.

Ce travail conduit à un questionnement qui structure notre approche de la problématique de la transition écologique. Un questionnement quant à la construction territoriale, aux mutations sociétales, à l’appropriation de l’espace et à l’appropriation sociétale des projets développés pour accompagner la transition écologique. Qu’entendons-nous par appropriation ? Appropriation par les acteurs des territoires des projets de transition ? Les acteurs des territoires, en tant que porteurs de projets, permettent-ils une appropriation sociétale desdits projets ?

Lors de cette thèse, au-delà des terrains empiriques étudiés, nous amènerons notre réflexion autour de deux concepts fondamentaux en géographie : « le territoire » et « l’appropriation ».

Nous souhaitons apporter des réponses à ces questionnements et développer des méthodes pour comprendre la manière dont les territoires agissent et réagissent à la transition écologique qui s’impose à eux. Nous fondons notre approche sur les politiques d’économie circulaire (EC) considérant qu’elles sont à même de susciter une émulation sociale et sociétale au sein des territoires. On cherche par ces processus une mise en mouvement des territoires et des acteurs territoriaux sur les thématiques écologiques.

L’EC, choisie comme objet dans cette thèse, est vecteur de la construction du territoire mais n’est pas la seule composante de cette construction. C’est un outil de développement des projets sur les territoires, qu’il convient d’étudier, mais, afin de susciter l’appropriation de ces projets nous devons intégrer à nos recherches les acteurs, les liens entre eux, et la considération systémique de la construction territoriale. L’EC est un outil participant à la mise en oeuvre des politiques territoriales de transition écologique mais il s’intègre dans le système territorial lui-même, le façonne et en dépend.

Nous considérons qu’il ne s’agit pas de concevoir et de transposer une méthodologie mais bien de l’adapter à chaque contexte territorial en prenant en compte les différents paramètres qui la compose et notamment l’homme habitant, producteur, consommateur, agent et acteur (Di Méo, 2008).

L’Institut des Territoires Coopératifs :

L’InsTerCoop est un institut d’action-recherche-transmission sur la coopération. Il développe et transmet une connaissance spécifique, reliant savoir-être, savoir-agir et savoir-reproduire, pour mettre la coopération en action.

Faire de la coopération un levier de transformation pour répondre aux transitions sociales, écologiques, démocratiques et économiques que nos sociétés traversent implique d’en mieux connaitre les processus. Nous collaborons souvent, mais coopérer, c’est autre chose : c’est être co-auteur d’une oeuvre commune. Ce qui freine ou facilite la coopération ne se trouve pas en surface. C’est dans des couches plus profondes qu’il faut aller chercher, que ce soit au niveau du territoire, du collectif, comme au niveau individuel. Or, la coopération est souvent appréhendée en se limitant aux seules parts visibles et conscientes, ce qui fait qu’on n’en saisit pas bien les rouages. Les marins disposent de cartes sous-marines figurant les repères invisibles dont la connaissance est essentielle à la navigation en surface.

L’InsTerCoop s’attache à étudier les processus de coopération sous l’angle de la pensée complexe, mettant l’accent sur la compréhension humaine (Morin, 2008), une pensée apte à reconnaître dialogique, récursivité et multidimensionnalité. Pour y parvenir, l’InsTerCoop développe des protocoles novateurs qui cherchent notamment à appréhender ces trois niveaux qui sont « tissés ensemble » : le territoire, matrice de l’action, les acteurs en tant que collectifs sociaux, et les personnes en tant qu’individualités, à la fois dans les domaines explicites et implicites.

  • L’Observatoire de l’Implicite :

Pour comprendre ce qui fait coopération l’ « Observatoire de l'Implicite » part à la rencontre, lors de longues itinérances pédestres, de ceux qui pratiquent la coopération, dans une démarche de phénoménologie et de maïeutique, l’objectif étant d’amener l’autre à une réflexivité qui lui permet d’explorer et de formuler son expérience de coopération.

La marche permet de s’imprégner du territoire, matrice de l’action de coopération. Elle donne le temps à sa découverte et son appropriation sensible ainsi qu’à l’introspection nécessaire pour sentir, comprendre et relier les interactions entre le territoire, le collectif, et l’individu.

En 2016, 3 itinérances ont été menées, en Pays de la Loire, en Drôme et Ardèche et en Lot-et-Garonne, soit une centaine de jours de marche. Elles ont permis de rencontrer environ 200 « héros du quotidien », acteurs de 34 initiatives coopératives citoyennes dans des domaines variés tels que des habitats partagés, coopératives d’énergie, pratiques alternatives d’enseignement, tiers-lieux, clusters d’entreprises, coopératives de production, animations de territoires, recycleries, ou magasins associatifs...

En Lot-et-Garonne, objet d’un partenariat avec le Conseil Départemental, des agents territoriaux ont participé à l’itinérance afin qu’ils s’approprient la démarche d’accès à l’implicite du territoire avant d’élaborer une nouvelle politique publique. Cette expérience a mis en évidence l’intérêt de la transmission du processus par son expérimentation.

II. Coopération InsTerCoop – Apesa :

L’Apesa et l’InsTerCoop développent deux approches complémentaires, dont la mise en commun donne lieu à un décloisonnement et un croisement des sciences politiques et des sciences humaines et sociales. Avec ce projet nous cultivons l’indiscipline, pour développer un regard transverse et élargir notre compréhension, prendre en compte la complexité, et développer la compréhension humaine.

Un projet de recherche-action, « Principes d’action de la coopération », réunit actuellement l’InsTerCoop, l’Université de Toulouse-Capitole, et l’Apesa. A partir des trois premières itinérances de l’Observatoire de l’Implicite, de la mise en lumière des rouages profonds de la coopération observés auprès des collectifs, de la prise en compte des éléments implicites issus du territoire, le projet consiste à proposer des « Principes d’action de la coopération », avec pour finalité de contribuer à faciliter l’essaimage, la dissémination et le changement d’échelle des initiatives d’innovation sociale et territoriale. Ces travaux amènent l’InsTerCoop à proposer le concept de « maturité coopérative ». Elle est définie par la capacité à se saisir d’une douzaine « d’écarts » mis en évidence via les « principes d’action », écarts tantôt complémentaires, tantôt contradictoires, pour développer des aptitudes coopératives durables, tant au niveau d’un territoire, d’un collectif, et d’une personne.

Nous développons des approches innovantes afin d’aller à la rencontre des citoyennes, citoyens et d’explorer la pluralité des futurs possibles (Elissalde, 2000) et des actions de transition écologique. L’analyse des multiples expériences des territoires permet de comprendre et de se plonger dans le for intérieur des projets, à travers l’implicite du territoire-matrice et des individus-auteurs.

L’observation, le « décryptage » de ces expériences par les acteurs eux-mêmes, et à travers le prisme de l’appropriation sociétale et de la construction territoriale nous permettent de mettre en exergue les leviers de la transition écologique et de définir les modalités de la fabrique participative.

A partir des projets de recherche-action initiaux, d’autres projets communs sont envisagés, afin de mener une réflexion approfondie sur l’appropriation sociétale des projets développés pour accompagner la transition écologique et démocratique.

III. Travaux de recherche envisagés :

L’entrée par l’appropriation invite à ne jamais perdre de vue les inégalités sociales et rapports de force ou de pouvoir qui traversent toute société, et plus encore à les mettre en relation, à les appréhender dans leurs dynamiques. (Veschambre & Ripoll, 2005)

Nos territoires ne se résument pas à une photographie aérienne, à une carte IGN ou aux statistiques INSEE. Chaque territoire recèle sa part d’implicite. Chaque habitant en tire par induction une manière d’être et d’agir, souvent inconsciemment. Apprendre à saisir ce lien est indispensable à la

compréhension du territoire et de ce qui s’y joue. Il nous apparait intéressant de vérifier si le concept de « maturité coopérative » peut être validé et utilisé comme moyen d’évaluation des expérimentations citoyennes. Croitre en « maturité coopérative » permet de développer des aptitudes coopératives durables. Les itinérances, comme processus de croissance en maturité coopérative, peuvent–elles être définies comme un projet d’éducation, et particulièrement à la sobriété et à la transition écologique destiné aux acteurs des territoires ? L’analyse de l’appropriation sociale, sociétale et de l’espace, nous permettra de distinguer le savoir venant de l’action, de l’existence et de l’implicite, et de l’objectivation scientifique.

Trois itinérances ont été réalisées au sein de territoires développant des initiatives citoyennes, une mise en abyme des projets de territoires. Ce projet de recherche est pour nous l’occasion de revenir sur ces territoires et comprendre la portée démocratique des projets existants. De nouvelles itinérances menées en 2018-2019, centrées sur les initiatives collectives citoyennes et l’appropriation citoyenne des projets de transition écologique viendront compléter les apports des travaux précédents. De plus, une itinérance au coeur des TePos (Territoires à énergie Positive), accompagnés par l’Apesa lors de l’appel à manifestation d’intérêt de la Région Aquitaine en 2014, nous permettra de développer l’étude de la fabrique participative des politiques publiques, d’avoir un retour d’expérience de ces projets, au coeur de l’Implicite. Elle rendra possible le croisement de la méthodologie développée par l’Observatoire de l’Implicite, caractérisée par la mise en réflexivité des acteurs et les méthodes de projet développées par l’Apesa, caractérisées par la création et l’animation de réseau d’acteurs. Les apports respectifs et les limites de chaque approche pourront être comparées afin de mieux comprendre les modalités de la fabrique participative et la conduite démocratique des politiques publiques.

Croiser l’approche de InsTerCoop inspirée de la pensée complexe et l’approche géographique de l’Apesa nous permet de faire vivre le lien permanent et nécessaire entre une approche de terrain, au coeur des territoires, des personnes, et une « prise de hauteur » conceptuelle. La mise en réflexivité des acteurs et des territoires est un outil pertinent à développer dans le protocole d’appropriation sociétale de la transition écologique.

IV. Bibliographie :

DI MEO, G., (2008), Une géographie sociale entre représentations et action, Montagnes méditerranéennes et développement territorial, n°23 (Numéro Spécial Représentation, Action, Territoire), p. 13–21. ELISSALDE, B., (2000), Géographie, temps et changement spatial, Espace géographique, vol. 29, n°3, p. 224‑236. MORIN, E., (2008), Pourquoi enseigner la compréhension humaine ?, Synergies Espagne, n°1, p. 25–31. VESCHAMBRE, V. & RIPOLL, F., (2005), La notion d’appropriation, Norois. Environnement, aménagement, société, n°195, p. 115‑116.