Un tournant participatif mondial ?

« Un tournant participatif mondial ?
Les circulations internationales de l’ingénierie participative »

Journée d’étude
organisée par A. Mazeaud, M. Nonjon et R. Parizet

Vendredi 23 janvier 2015, IEP d'Aix-en-Provence

Programme

  • Eric Cheynis : « Le tournant participatif marocain comme espace de reclassement social. Reconversions militantes, académiques, professionnelles. »
  • Mélanie Pommerieux : « L’offre de participation dans le domaine de l’environnement et du développement durable en Afrique du Sud  »
  • Mélike Yalcin-Riollet : « L’Agenda 21 local en Turquie : Acteurs, objets et canaux de transfert »
  • Julien O'Miel : « Convergence des standards, divergence des pratiques. Circulation transnationale et réappropriations locales du modèle de la commission nationale du débat public »
  • Osmany Porto : « Les ambassadeurs du Budget Participatif et les institutions internationales: du Forum Social à la Banque Mondiale  »

Appel à communication

La multitude et la diversité des pratiques participatives observables dans de nombreux pays font aujourd’hui l’objet d’un constat largement admis et partagé. Nombre de travaux comparatifs ont ainsi célébré la diversité des pratiques participatives et/ou la plasticité et « l’ambiguïté » de dispositifs qui circulent et sont mis en œuvre dans des configurations variées (Neveu, 2007 ; Bacqué et al.2010). La célébration de la diversité des pratiques participatives suffit souvent à assoir la légitimité des discours sur l’existence d’un tournant participatif mondial : la participation serait devenue la « norme fondatrice d’une nouvelle ingénierie institutionnelle » internationale (Goirand, 2013).

Et pourtant la dimension internationale de ce tournant participatif est encore de nos jours plus postulée, invoquée, mythifiée, que véritablement étudiée. Deux postures semblent en effet largement privilégiées. Tout d’abord, le caractère mondial de ce tournant participatif peut tout d’abord être invoqué comme la preuve que la participation s’inscrirait dans un « nouvel esprit de la démocratie » (Blondiaux, 2008). La dimension internationale des pratiques participatives sert alors avant tout de prétexte voire de variable explicative au développement et à la mise en œuvre des expérimentations participatives (Cornwall, Brock, 2005, Jennings, 2000). C’est précisément le cas de toute une littérature produite par les organisations internationales (PNUD, FAO, Banque Mondiale, etc.) elles-mêmes. Ensuite, les travaux qui s’inscrivent explicitement dans une démarche de comparaison internationale ne prennent pas vraiment pour objet la dimension internationale de la participation. Plus souvent invoquées que véritablement analysées empiriquement, la dimension internationale s’inscrit alors dans des démarches comparatives visant à évaluer la qualité démocratique des dispositifs (très récemment Sintomer et al.2013 ; Geissel, Joas, 2013) ou alors de support à la critique de la « tyrannie » ou « l’orthodoxie » d’une participation imposée par les organisations internationales (Cooke, Kothari, 2001, Cornwall, 2003, Cornwall, Brock, 2005). Dans les deux cas, la focale généralement retenue est celle des dynamiques d’importation ou d’exportation de dispositifs modèles dont les déclinaisons locales et nationales sont plus en ou moins conformes au modèle original (Sintomer et al.2008, 2013 ; Ganuza, Baiocchi, 2012).

L’objectif de cette journée d’études est d’engager des réflexions sur les processus circulatoires de l’ingénierie participative. Pour ce faire, nous proposons de réaliser un double décentrement. D’une part, dans la continuité de travaux qui envisagent la participation comme une offre (Gourgues, 2012, Mazeaud, Nonjon, 2015), il s’agit d’analyser la dimension internationale et/ou transnationale de l’ingénierie participative, définie à la fois par les outils et dispositifs qui incarnent aujourd’hui la participation mais également par les acteurs qui conçoivent ces mêmes outils et qui sont chargés de mettre en œuvre la participation. D’autre part, il semble important de ré-inscrire l’analyse de la dimension internationale du tournant participatif dans les travaux récents sur la transnationalisation de l’action publique (Hassenteufel, Maillard (de), 2013). En effet, les approches qui n’envisagent que la « réussite » ou le « succès » du transfert semblent souvent se confronter à des écueils normatifs et donc analytiques (Delpeuch, 2009). L’enjeu est alors de rompre avec l’approche normative de l’étude des transferts pour envisager les processus d’appropriation, de traduction et d’hybridation au cœur de la circulation des idées et des pratiques (Parizet, 2013).

Pour cela, deux axes de réflexion nous semblent particulièrement heuristiques :

1) Abandonner la logique de transfert à la faveur de celle de la circulation des pratiques participatives.

Il s’agira d’étudier empiriquement les acteursqui font exister ce tournant, les espacesoù cette convergence transnationale se donne à voir, ainsi que les procédures et lamatérialitéà travers lesquelles la participation circule. Pour interroger la dimension véritablement transnationale de la participation, l’accent sera mis sur le rôle des organisations internationales (la Banque Mondiale, l’OCDE, le PNUD...), des réseaux de coopération décentralisée (URBAL, réseaux de villes...) ou de professionnels dans la circulation des idées, des pratiques et des traductions qu’en font les acteurs concernés en fonction des secteurs et des contextes nationaux. Qui sont les acteurs et les réseaux qui font circuler les dispositifs et l’argumentaire d’un pays à l’autre ? Qu’est-ce qui concrètement circule (des idées, des instruments, des discours, des acteurs) ? Quelle est la matérialité de cette circulation (guides, rapports, « bonnes pratiques ») ? Peut-on observer l’existence d’arènes transnationales dans lesquelles la norme participative serait produite ? À partir de quelles modalités s’impose t-elle et/ou est-elle mobilisée par les acteurs locaux ? Toutes ces questions semblent indispensables à poser dès lors que l’on cherche à questionner l’existence et les modalités d’une convergence discursive et/ou cognitive des acteurs locaux, nationaux, transnationaux dans le domaine de la participation. En effet, le caractère transnational de ces acteurs et de ces réseaux ne va pas de soi ; seule une approche multi-scalaire sera de nature à apprécier la réalité locale d’une influence internationale.

2) Réinterroger l’unicité/univocité du tournant participatif.

Il s’agira de questionner l’existence d’une convergence en matière de participation en étudiant les degrés de fragmentation/segmentation de l’offre participative internationale. Dans la mesure où la participation ne renvoie pas aux mêmes réalités selon les espaces et les secteurs (développement, environnement, etc.) – « faire participer le pauvre » dans les politiques de développement versusparticipation des stakeholdersen environnement...- on peut s’interroger sur l’existence d’une convergence de l’ingénierie participative. En quoi les déclinaisons locales et nationales de l’offre participative sont-elles convergentes ? Dans leur dimension cognitive, instrumentale, procédurale ? Au contraire en quoi les segmentations de l’ingénierie participative (community organizing / participation publique / démocratie participative / développement durable/ délibération) nous montrent-elles des modalités d’institutionnalisation de la participation résolument ancrées dans des traditions politiques et intellectuelles nationales ? La question des cadres nationaux pourra en effet être utilement mobilisée afin de mettre en évidence des éventuels sentiers de dépendance ou contraintes nationales qui pèsent sur ces ingénieries participatives.

Références bibliographiques

 

  • Bacqué M-H. et al (dir), 2010, La démocratie participative inachevée, ADELS/yves Michel.
  • Cooke B., Kothari U., (eds.), 2001, Participation: The New Tyranny?, London, Zed Books.
  • Cornwall A., 2003, «  Whose Voices? Whose Choices? Reflections on Gender and Participatory Development », World Development, vol. 31, n°8.
  • Cornwall A., Brock K., 2005, « What Do Buzzwords Do for Development Policy ? A Critical Look at “Participation”, “Empowerment” and “Poverty Reduction” », Third World Quarterly, vol. 26, n°7.
  • Delpeuch T., 2009, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, n°43, 2009, pp.  153-165.
  • Ganuza E., Baiocchi G., 2012, The Power of Ambiguity: How Participatory Budgeting Travels the Globe » Journal of Public Deliberation,Vol. 8: Iss. 2, Article 8.
  • Geissel B., Joas M., 2013, Participatory democratic innovations in Europe. Improving the quality of democracy, Budrich Publishers.
  • Goirand C., 2013, « Penser la participation politique en Amérique latine : questionnements et méthodes d’enquête », Participations, n°5, 2013, pp. 227-242.
  • Gourgues G. (dir), 2012, « Produire la démocratie. Ingénieries et ingénieurs de l’offre publique de participation », Quaderni, 79.
  • Hassenteufel P., Maillard J. (de) (dir), 2013, « Convergence, transferts et traduction », dossier Gouvernement et action publique, n°3.
  • Jennings R., 2000, « Participatory Development as New Paradigm: The Transition of Development Professionalism », Conference Washington, DC, « Community Based Reintegration and Rehabilitation in Post-Conflict Settings ».
  • Mazeaud A., Nonjon M., Le marché de la démocratie participative, Ed. Du Croquant, à paraître.
  • Neveu C., (dir), 2007, Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives, L'Harmathan.
  • Parizet R., 2013, Le politique du développement Les usages politiques des savoirs experts et de la participation des populations indiennes au Mexique,  Thèse pour le doctorat en science politique de l’Université Lille 2.
  • Sintomer Y. et al. (dir), 2013, Participatory Budgeting in Asia and Europe, Palgrave Mac Millan.

 

Cette journée d’étude vise à réunir des travaux qui dialoguent peu (le développement participatif, la facilitation de la négociation entre stakeholders, les budgets participatifs, la gestion participative des ressources naturelles, les jurys citoyens, le community organizing etc.) et des chercheurs qui travaillent sur l’offre participative et/ou ont déjà mené des enquêtes ayant une dimension internationale mais qui n’ont pas creusé la problématique de la circulation, ou réciproquement des chercheurs spécialistes des arènes internationales mais qui ne sont pas particulièrement intéressés à l’ingénierie participative.

Les propositions de communication, d’une longueur d’une à deux pages, développant le terrain d’étude et les matériaux mobilisés ainsi que la problématique retenue, devront être envoyées simultanément aux trois organisatrices de la journée d’étude au plus tard le 15 octobre 2014.

Alice Mazeaud : alicemazeaud@yahoo.fr

Magali Nonjon : mnonjon@yahoo.fr

Raphaëlle Parizet : raphaelle.parizet@gmail.com

La publication d'un dossier comprenant une sélection d'articles issus de la journée d'études est prévue dans la revue Participations.

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