Les mutations démocratiques et électroniques de l’action publique locale en Europe : REvolution ou E-volution ?

Colloque OLA-CCRE
Lille (France) et Bruxelles (Belgique)
Septembre2017

Les mutations démocratiques et électroniques de l’action publique locale en Europe : REvolution ou E-volution ?

Appel à communications

Les Etats européens ont chacun exploité à leur façon les opportunités offertes par le développement technologique et la dématérialisation, avec des succès variables, évoluant entre E-volution et REvolution. L’objectif de ce colloque est de mettre à contribution des spécialistes de nombreux pays européens, d’horizons scientifiques variés (sociologues, politistes, économistes, juristes, gestionnaires, géographes, historiens, etc.), mais aussi des data managers, des experts sur les open-data et la transparence, des représentants des services recherche et intelligence des collectivités locales, etc., afin de dégager un bilan des mutations démocratiques, électroniques et numériques de l’action et des services publics locaux, de partager diverses expériences nationales et d’offrir une projection vers les perspectives possibles.

À cette fin, deux angles d’approche ont été choisis : les mutations de la participation du public à l’action publique locale (1) ainsi que les mutations, numérisées et dématérialisées, de l’administration locale (aussi bien en termes de services numériques et que d’utilisation de données libres (open data) afin d’améliorer la prestation de service) (2). Cependant, ces angles se croisent et se rejoignent, de sorte que des participations mêlant participation et administration locale seront naturellement les bienvenues.

Thème n°1 : La participation du public à l’action publique locale

L’abondante littérature autour de la question de la participation du public à l’action publique connaît un renouveau autour de la question des formes non institutionnelles de participation, et autour des questions de partage et de collecte de données (recherche participative, crowdsourcing, living lab, etc.). Ainsi de nouvelles tensions apparaissent, entre l’institutionnalisation et la professionnalisation de la participation du public à l’action publique, d’une part, et son débordement par des initiatives informelles de participation d’autre part, mais aussi autour des objectifs de la participation, octroyée par les politiques comme instrument de gouvernement de l’action publique ou revendiquée par des collectifs comme pouvoir d’opposition ou d’émancipation.

La démocratie participative, conçue comme modalité de prise en compte et d’association des citoyens et/ou des habitants à la vie publique, est traversée par de nouveaux enjeux : transition écologique, révolution numérique, la « démocratie du faire » (fablab, do it yourself, etc.) ou la coproduction et le partage de connaissances. Ainsi de nouvelles formes « d’innovation publique » émergent, qui côtoient des dispositifs institutionnels plus classiques de participation.

Ce colloque sera l’occasion d’analyser la manière, dont ces différentes formes de participation se croisent, s’opposent ou se complètent, dans des contextes européens très contrastés. Le degré d’implication des citoyens, de même que la valorisation de leur participation, variant d’un Etat à l’autre. Plusieurs questions se posent, dont nous présentons les traits principaux.

Tout d’abord la question de la portée de ces dispositifs, mouvements, est centrale. La plupart des approches suggèrent des listes de facteurs ou d’impacts potentiels, plus ou moins directs, de la participation du public aux processus décisionnels. Les travaux sur les effets des dispositifs participatifs, depuis la fameuse échelle d’Arnstein, en passant par le « cube » de Fung, tentent ainsi d’élaborer des outils qui permettent d’évaluer la portée des dispositifs participatifs. La majorité des travaux montrent la difficulté d’un tel exercice, le plus souvent restreint aux limites du dispositif matériel lui-même, et font état de la faiblesse des effets constatés. Partant, la portée normative des modalités de participation sera nécessairement questionnée, tant les solutions retenues à cet égard divergent selon les États.

Ensuite, la question de l’étude de l’articulation entre ces dispositifs et la décision ou le projet concerné retient aussi l’attention et soulève de nombreuses critiques. La déconnexion entre l’arène de délibération du public et ses conclusions d’avec la décision finale limite radicalement l’intérêt à participer. Il s’agirait, dans la plupart des cas, davantage de consultation ou de concertation que de participation au sens de contribution à la discussion et à la décision. L’investigation des modalités de la décision est donc essentielle. La dématérialisation peut ici constituer une solution louable, puisqu’elle rend possibles une meilleure information et un suivi renforcé des effets de la participation.

De plus, il s’agit d’une « participation octroyée » par les élus, plutôt que conquise par les citoyens et/ou habitants. Le contrôle institutionnel des dispositifs maintient généralement les sujets soumis aux citoyens à l’échelle micro locale, et à des enjeux rarement politisés ou réellement polémiques. Plus encore, il s’agirait d’aborder les sujets « en amont », ou « à froid », c’est-à-dire en dehors des moments de controverse. Des mécanismes tels que, notamment, le pétitionnement en ligne y contribuent. Est donc intéressante, par exemple, l’évocation circonstanciée des dispositifs plus innovants ou de ceux visant à faire adopter une décision locale par référendum (comme en Suisse) ou destituant un maire (comme en Pologne ou dans certains Länder allemands). La question, ici, qui peut être étudiée en profondeur est celle de la responsabilité des élus et des décideurs. Si les citoyens, ou les habitants, prennent part à la prise de décision, et s’imposent dans les débats, cela peut augmenter la responsabilité et la réactivité des décideurs locaux.

Enfin, la théorie de la délibération a prévalu sur l’approche rhétorique ou sur l’approche post dialogique qui laissent une place aux émotions et au conflit. Le modèle dialogique, qui repose sur l’échange d’arguments rationnels, supposant l’égalité des conditions de l’échange ainsi que la possibilité d’un consensus. Quelle est la place donnée au conflit et au désaccord ? La majeure partie des dispositifs sont pensés et animés de manière à évacuer le conflit et les émotions au nom d’une rationalisation des arguments, qui reflète elle-même la dominance d’une classe sociale. La pauvreté de l’usage et de la réflexion d’inventions procédurales à même d’aider à la réflexion collective souligne aussi la tendance à cantonner les exercices participatifs à un pur échange oral d’arguments qui exclut toute autre forme d’interaction, et favorise de facto certains acteurs.

Thème n°2 : Les mutations électroniques de l’action et des services publics locaux, et l'utilisation de l'open data

Le développement exponentiel de l’informatique depuis les années 1970 a profondément remis en cause les modes classiques de fonctionnement de l’administration. La bureaucratie de papier n’est aujourd’hui plus tolérable par les administrés, qui souhaitent une interaction rapide et efficace avec l’ensemble des services publics. Défi majeur, cette évolution constitue également une opportunité de premier ordre, en ce qu’elle peut permettre aux services publics de gagner en efficience en satisfaisant à moindre coût, et grâce à une meilleure communication interne, les exigences croissantes des administrés. Quatre enjeux majeurs semblent a minima pouvoir être dégagés.

En premier lieu, la dématérialisation des services publics offre de nouvelles perspectives d’échanges entre administration et administrés, ce qui permet d’améliorer l’efficacité des services publics préexistants. Des formalités fiscales dématérialisées à la commande d’actes d’État civil en ligne, les échanges physiques et postaux se réduisent. Cela aboutit nécessairement à une réorganisation en profondeur des services. Comment l’administration s’adapte-t-elle à ces nouvelles perspectives et à ces nouveaux besoins ? S’agit-il effectivement d’une source d’économies ? Quelles sont les conséquences d'une transformation digitale et de l'utilisation des open data sur les conditions d'emploi au sein des collectivités locales ? Et sur les principales compétences demandées aux travailleurs dans ce secteur ? Cette dématérialisation apporte-t-elle réellement une satisfaction accrue aux administrés ? Comment ces mutations sont-elles évaluées ? Leurs résultats sont-ils discutés et aboutissent-ils à des modifications ou adaptations des dispositifs mis en place ou à l'utilisation des open data et de dispositifs électroniques pour les services « traditionnels » ? Et si oui, lesquelles ? Toutefois se pose la question de l'accès des classes sociales défavorisées, voire des personnes âgées, aux outils et produits informatiques, au risque d'accroître pour ces dernières leur sentiment d'exclusion sociale. Que faire alors pour y remédier, mais aussi pour les former à l'usage de tels outils et produits ?

En second lieu, des services inédits et l'utilisation des open data sont désormais possibles grâce aux progrès technologiques, ce qui permet de faire entrer le service public dans une nouvelle ère. Ce faisant, les attentes des administrés changent et la relation entre l’administration et les administrés mute. Les collectivités territoriales innovent pour fournir des services nouveaux, au point que, parfois, une concurrence s’installe entre elles. L’administration peut-elle alors devenir, du point de vue de l’usager/client, un prestataire de services « ordinaire » contraint à l’innovation et à l’interaction permanente ? Au point, peut-être, de faire perdre à l’action publique sa singularité, son exorbitance. De même se pose la question de savoir si les agents publics sont préparés et/ou formés à de telles évolutions. Les chefs de service ne sont pas, non plus, toujours prêts à gérer ces changements et peuvent être, parfois, en opposition sur le sujet avec leurs subordonnés. À l’inverse, les subordonnés également peuvent être opposés au changement organisé par la hiérarchie. De plus, et pour tous les agents publics locaux, supérieurs ou subordonnés, afin de gérer cette E-volution ou cette REvolution, une ou plusieurs formations s’avèrent nécessaires.

En troisième lieu, le stock de données traité par les administrations ne cesse de croître, offrant ainsi de nouvelles perspectives. C’est l’ère de l’open data, ouverture massive des données (archivées ou « actives »), gage apparent de transparence administrative. Mais ces données peuvent aussi être économiquement valorisées, sous certaines conditions. Les administrations doivent-elles diffuser gratuitement des données valorisables ? Les entreprises commerciales les utilisent pour des analyses de données importantes et ont plus de ressources pour cela que les collectivités locales. Au-delà de ce questionnement, quelle place doit-on accorder à la protection des données personnelles des administrés, notamment face aux possibilités inédites d’interconnexion de fichiers et au contexte sécuritaire actuel ?

Enfin, en quatrième lieu, se pose la question de l’influence de ces évolutions sur les structures administratives et leur action même, mais aussi sur leur coût voire l’économie, réelle ou supposée, que génèrent ces mutations électroniques. En effet, la dématérialisation n’est pas une simple question technologique. Elle nécessite généralement, à peine d’échec, une profonde remise en cause des mécanismes administratifs (décloisonnement des services, formation et réorganisation des moyens humains, etc.). Le numérique est donc à la fois l’une des modalités et l’un des éléments déclencheurs du new public management. Ce faisant, l’administration électronique ne sera pas appréhendée pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle induit en termes de changements structurels profonds, ceci afin de tenter de répondre in fine à la question : REvolution ou Evolutions ?

À noter :

Les communications qui répondent à ces questions, et qui, tout en respectant la rigueur universitaire, allient analyse théorique, enquêtes et résultats de terrain, ainsi que solutions opérationnelles dans leurs conclusions, sont encouragées. Les études comparatives, ou celles se plaçant dans une perspective européenne, seront également privilégiées.

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