Les élu·e·s aiment-ils la démocratie ?

Les élu·e·s aiment-ils la démocratie ?
Le personnel politique face à la participation citoyenne

Calendrier

  • 31 mai 2018 : Date limite d’envoi des propositions de communication
  • 30 juin 2018 : Annonce des communications sélectionnées
  • 15 octobre 2018 : Date limite d’envoi des articles pour le colloque
  • 15-16 novembre 2018 : Colloque à l’Université Lille 2

Comité d’organisation :

Rémi Lefebvre, Marion Paoletti, Guillaume Petit, Julien Talpin

Comité scientifique :

Etienne Ballan, Loïc Blondiaux, Fabien Desage, Anne-Cecile Douillet, Guillaume Gourgues, Samuel Hayat, Vanessa Jérôme, Michel Koebel, Alice Mazeaud, Sandrine Rui, Julien O’Miel, Sébastien Vignon

Organisé avec le soutien du GIS Démocratie et Participation, CERAPS (Université Lille 2), CED (Université de Bordeaux), CESSP (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Informations en ligne : https://eluesetdemo.sciencesconf.org

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Quel est le rapport des élu·e·s à la démocratie et à la participation citoyenne ? Comment perçoivent-ils leurs rôles de représentants, leurs statuts et leurs marges de manœuvre politiques? Comment appréhendent-ils le rôle des citoyens en démocratie et les compétences qui leurs sont associées ? En quoi ces enjeux délimitent-ils différents profils d’élus et différentes trajectoires politiques ? Quels sont les rapports des élus et des organisations partisanes aux réformes institutionnelles démocratiques ou à la problématique et la "cause" de la démocratisation de la démocratie ? Telles sont les questions qui seront au centre de ce colloque. Dans une démarche résolument compréhensive, nous privilégierons les recherches reposant sur des matériaux empiriques solides (entretiens, archives, observations, etc.) donnant à voir la façon dont les élus se représentent ce que doit être la « bonne participation », comment ils conçoivent la demande sociale de participation, fabriquent sur cette base des politiques de participation (souvent qualifiées de "politiques d’offre") et tirent des leçons et des enseignements sur leurs propres expériences démocratiques.

À la croisée d’interrogations touchant la sociologie de l’action publique, des rôles et des comportements politiques, ce colloque a pour ambition de faire le point sur le rapport du personnel politique à la démocratie et la participation citoyenne.

Les communications attendues pourront porter sur différents axes.

  • Axe 1 : Les perceptions ordinaires de la démocratie parmi le personnel politique
  • Axe 2 : Les élus, des agents contraints dans l’espace politique, économique, technocratique ?
  • Axe 3 : Les élus face à la participation, pour ou contre la démocratie ?

1 : Les perceptions ordinaires des élus de la participation et de leur rôle en démocratie

Discours et représentations de la participation et du rôle de représentant

Le gouvernement représentatif s’est recomposé depuis trois décennies avec l’émergence d’un impératif participatif, la multiplication des espaces de concertation et des dispositifs de démocratie participative venant interroger la place et le rôle des gouvernants dans ce contexte renouvelé. L’ambition de ce colloque est de saisir la façon dont les professionnels de la politique et les élus perçoivent ces transformations, comment ils appréhendent dans ce contexte leur rôle en tant qu’élus, mais aussi celui des citoyens. Quelles formes de démocratie les élus valorisent-ils ? Comment parlent-t-ils de la démocratie, comment problématisent-ils les attentes des citoyens ? Des communications sont attendues sur la manière dont les élus locaux ou nationaux se représentent leur rôle s’agissant de leur rapport à la société et leur travail de médiation des différents intérêts sociaux sur le territoire. Les élus ont en effet pu être objectivés comme des acteurs « peu dialogiques » du débat public dans le cadre de dispositifs participatifs officiels (Lefebvre 2007). Les conclusions des travaux sur la démocratie et la participation convergent pour souligner leurs résistances pratiques, mais leur rapport politique ou intellectuel à la participation a peu été analysé. C’est ce manque qui pourrait être comblé en mobilisant des travaux empiriques visant à recueillir leurs discours et à les décoder.

Ces questionnements invitent aussi à déconstruire la figure de l’élu, pour rappeler l’hétérogénéité, la différenciation et la hiérarchisation de ce groupe, tant entre les échelons qu’à chaque niveau. Les effets de sélection sociale (Koebel 2012; Boelaert, Michon, et Ollion 2017), genrée (Paoletti et Rui 2015) et raciale (Avanza 2010; Geisser et Soum 2008) dans l’accès aux positions électives et dans la hiérarchie de ces différentes positions, sont connus. Mais est-il possible de prolonger ces analyses au prisme des rapports que les élus entretiennent à la démocratie ? On note en ce sens la différence entre petits et grands élus (Rui 2004), qui peuvent plus ou moins instrumentaliser la participation. Comment les élus intègrent-ils à leur action la thématique des « innovations » démocratiques, notamment au travers du développement circonstancié d’une offre de participation publique (Gourgues 2013; O’Miel 2015) ?

La question du rapport des élus à la démocratie interroge plus largement les modalités et les moyens auxquels les élus ont recours pour affirmer leur représentativité et leur légitimité. Alors que la théorie politique s’intéresse de façon croissante aux « prétentions à la représentation » (Saward 2009; Dutoya et Hayat 2016), nous nous pencherons ici sur la façon dont les élus tentent d’incarner - par la présentation de soi, l’hexis ou le discours - certaines conceptions du peuple et de ce qu’être un bon représentant signifie à leurs yeux.

Les élus et le réformisme institutionnel. Dans quelle mesure les transformations du métier de représentant façonnent-elles leur rapport à la participation ?

Quel rapport ces différents élus entretiennent-ils avec le réformisme institutionnel, notamment en ce qui concerne les volets qui ont pour visée la déprofessionnalisation du politique ou une participation citoyenne plus intense ? Ces entreprises contemporaines de déspécialisation politique touchent directement les élus, notamment concernant le cumul des mandats, à travers la loi de décumul de 2014 mise en œuvre depuis 2017 (Marrel, Morrand, 2018). Ces discours critiques sur la professionnalisation politique, produisant des effets à travers de nouvelles règles de limitation des mandats par exemple, affectent-ils la manière dont les élus se représentent leur rôle ? Ces réformes et discours critiques produisent-ils des effets participatifs ou au contraire des postures de défense du gouvernement représentatif ?

D’ailleurs, au-delà des clivages partisans, observe-t-on un corporatisme électif, visant à conserver le monopole de la décision publique ou les attributs qui y sont liés ? A partir de quels protocoles méthodologiques peut-on observer les coulisses des scènes politiques où, par-delà les discours convenus, les élus et leurs entourages prennent des décisions et jugent la participation des citoyens ? L’incapacité de la démocratie participative à réenchanter le lien représentatif après plusieurs décennies marquées par une forte institutionnalisation génère-t-elle chez les représentant.e.s politique un discours critique systématisé, sur l’inutilité, l’inanité ou le risque du recours à la participation ?

En quoi ces conceptions ordinaires de la démocratie ont elles un effet sur la démocratie partisane ?

L’échelle nationale pourra être légitimement convoquée, pour inclure des travaux sur les parlementaires, les gouvernements ou les partis politiques. Quelles organisations politiques investissent le créneau du participatif ou du réformisme institutionnel ? Avec quels effets et quelles limites ? Dans le cas des partis politiques, on pense par exemple aux références à la 6ème République, au tirage au sort ou au budget participatif, aussi bien en termes de postures dans le débat public et la compétition politique, qu’en termes de démocratie interne dans ces organisations. Parmi tous les volets du réformisme institutionnel, quelles propositions se concentrent davantage sur la participation des citoyens ? Qui les portent ? Autour de quels référentiels ? Comment ce réformisme démocratique, initialement confiné à des espaces militants et académiques, a-t-il gagné certains élus centraux du champ politique ? Comment les élu·e·s recherchent-ils de nouvelles légitimités et de nouvelles définitions de leurs fonctions ? En quoi cela fait écho à d’autres enjeux de la compétition politique (renouvellement politique, générationnel, paritaire…) ?

2 : Les élus, des agents contraints dans l’espace politique, économique, technocratique ?

Des contraintes structurelles ? Crise de la représentation, austérité et impuissance du politique

Les prises de position des élus doivent aussi se comprendre au regard de leurs positions dans différents espaces et en fonction des contraintes avec lesquelles ils doivent composer ou qu’ils instrumentalisent. Ainsi, des éclairages sont attendus sur les différents enjeux structurels et effets de contexte qui déterminent les prises de positions des élus sur les enjeux démocratiques. Post-démocratie (Crouch 2004; Brown 2015), impuissance du politique, dépolitisation, impératif délibératif (Blondiaux et Sintomer 2002), crise de la représentation, voire « mise en crise » faisant de cette notion « une entreprise de maîtrise symbolique destinée à préserver le jeu politique » (Mazeaud 2014)… En quoi ces évolutions signeraient-elles une nouvelle métamorphose du gouvernement représentatif (Manin 1995) et comment la question de la participation des citoyens s’y intègre ? Faut-il valider l’hypothèse que « c’est au moment où le politique semble perdre de sa capacité à agir sur le monde social que ceux qui détiennent le pouvoir sont contraints de le partager » (Lefebvre 2007). Ces questions générales pourront ici être revisitées à l’aune de la question de la participation citoyenne, pour évoquer les effets sur le politique des évolutions globales de la démocratie, mais aussi plus concrètement des contraintes qu’exercent les cadres normatifs, juridiques, budgétaires et organisationnels sur l’action des politiques.

Elus, fonctionnaires et luttes d’institution : le poids du politico-administratif

Dans l’étude de ce que signifie représenter, l’élu·e est aussi reconsidéré.e comme nom propre d’une entreprise collective, « la représentation saisie par les équipes » (Paoletti 2014, 119) : les collaborateurs et les entourages, du champ politique et de ses champs adventices (Offerlé 2004) font ainsi partie de l’analyse de la construction du pouvoir politique, autant dans ses aspects organisationnels qu’idéologiques. Ainsi, il faudrait questionner les effets des luttes d’institutions sur la démocratie, en soulignant comment élus, fonctionnaires, consultants et groupes d’intérêts y jouent un rôle (Mazeaud et Nonjon 2018). Des développements circonstanciés sur différentes coalitions de cause, « élus-DGS-directeur de cabinet » semblent une entrée fructueuse pour concrétiser empiriquement ces aspects. On avance ainsi souvent que les innovations démocratiques les plus « radicales » doivent être portées par les acteurs politiques centraux (Maires, Présidents de région, etc.) et leurs entourages (DGS, DGA, etc.), mais dispose-t-on d’éléments plus systématiques à cet égard (Sintomer, Herzberg, et Röcke 2008; Mazeaud 2010). De même on entend distinguer différentes catégories d’élus, selon leurs positions, leurs statuts, leurs délégations, et interroger en quoi ces différentes positions déterminent tendanciellement prises de (non)position sur les enjeux démocratiques ? On pourra aussi aborder les effets micro-relationnels au travers de la restitution du suivi rapproché d’équipes politico-administratives et de leurs interactions, tout comme les effets se rapportant directement aux parcours biographiques de ces « élus (plus ou moins) participatifs ».

Les élus face aux contre-pouvoirs : instrumentalisation ou répression de la participation ?

Enfin, ces propositions permettent en creux d’interroger le rapport des élu·e·s à la « contre-démocratie » (Rosanvallon 2006) et aux contre-pouvoirs. Quelles places ont le conflit, la démocratie agonistique (Mouffe 1999, 2005), la démocratie d’interpellation (Bacqué et Mechmache 2013; Cossart et Talpin 2015), l’empowerment (Biewener et Bacqué 2013) dans l’univers mental et pratique des élu·e·s ? Quelles sont les réactions (d’indifférence ? d’enrôlement ?) des élu.e.s concerné..e.s face aux expérimentations démocratiques éventuellement menées sur le territoire de l’élection ? Quelles tactiques et stratégies sont mises en œuvre pour coopter, contrôler ou domestiquer des acteurs qui viendraient mettre en cause la légitimité élective (Talpin 2016) ?

3 : Les élus face à la participation, pour ou contre la démocratie ?

Les élus et la fabrique de l’action publique démocratique du local au national

La démocratie participative, entendue comme production d’une opinion publique entre deux élections à travers des dispositifs et procédures s’est fortement institutionnalisée depuis le début des années 1990 (Blondiaux 2005, 2008), notamment au plan local, et génère en même temps déception, insatisfaction, critiques et peut-être repli vers d’autres modes d’exercice du pouvoir politique ou indifférence. L’offre publique de participation (émanant des autorités politiques) peine à rencontrer l’offre civile (émanant de la société civile), et plus encore de réelle demande sociale, alors même que la critique de la politique peut être interprétée par une catégorie de personnel politique comme une demande d’autorité, de leadership, d’efficacité. Y-a-t-il chez les élus une tentation technocratique qui irait à rebours de l’impératif délibératif ? Les élus alimentent-ils une certaine « haine de la démocratie » (Rancière 2005) dans leurs rapports à la participation ? Alors que les recherches sur la démocratie participative se sont multipliées depuis une quinzaine d’années (Blondiaux et Fourniau 2011), il n’existe quasiment aucuns travaux prenant pour objet de façon centrale le rôle et la place des élus dans ce contexte de transformation du gouvernement représentatif. De nombreuses recherches ont souligné la responsabilité centrale des représentants non seulement dans l’insatisfaction associée aux expériences participatives mais aussi dans des processus de dédémocratisation (Brown 2015), pour autant ces acteurs - aussi bien leurs perceptions de ces processus que leurs pratiques - ne sont quasiment jamais étudiés sous ce prisme problématique spécifique. L’ambition de ce colloque est dès lors de poser les jalons d’une sociologie du rapport des élus à la démocratie. Nous invitons en ce sens à aller observer au plus près la fabrique de l’action publique démocratique dans son travail politique dédié ou spécialisé.

Une typologie des élus fonction de leur rapport à la participation

Ce colloque servira également à tester et discuter une typologie - qu’on ne peut qu’esquisser ici - du rapport des élus à participation. Qui sont les adjoints à la participation dans les villes ou les villages ? Les Vice-présidents en charge de ces questions dans les régions, les départements et les EPCI ? Quel est le poids des variables de genre et d’orientation partisane dans la spécialisation de certains élus sur les thématiques démocratiques ? Ce colloque s’intéressera tant aux élus sectoriels spécialisés sur les questions de participation et de citoyenneté, qu’au rapport des élus en général à la participation des citoyens, tel qu’il peut émaner des débats parlementaires sur la démocratie de proximité ou la politique de la ville. Les "élus" attendus ne sont pas seulement locaux. Ils peuvent être des parlementaires ou des ministres impliqués dans des démarches de participation.

Au-delà d’une focale sur les « élus participationnistes » (Petit 2017), peut-on construire des idéaux-types d’élus selon ce critère du rapport aux enjeux démocratiques et aux principes participatifs. Qui sont les élu.e.s participationnistes ? Et en creux, celles et ceux qui ne le sont pas ? Trois types d’élus peuvent à ce titre être distingués: (1) les croyants (et parmi eux les croyants-managériaux, qui voient dans la participation un moyen efficace de moderniser l’action publique et de prévenir les conflits, et les croyants-militants, qui défendent une démocratisation de la démocratie); (2) les opposants, qui critiquent plus ou moins ouvertement la participation et ne s’y plient que sous la contrainte et à reculons (nous chercherons également ici à interroger les conditions d’énonciation - en public et face au chercheur - d’une critique de la participation) ; (3) les agnostiques. Il conviendra dans tous les cas d’interroger le poids de la variable partisane et générationnelle (et des socialisations militantes et politiques des représentants) dans le façonnement du rapport à la participation des élus. Ce faisant, ce colloque invite à retravailler le rôle des croyances dans l’action publique.

Cette journée accueillera des travaux sociologiques ancrés empiriquement, relatifs à différentes situations historiques, contextes nationaux ou locaux, et conjonctures routinières ou critiques. Les propositions de communication pourront traiter un ou plusieurs des axes de réflexion listés ci-dessus. Toutes les approches méthodologiques et théoriques sont les bienvenues, et les échanges permettront d’éprouver relationnellement les techniques d’enquête sur ces questions. Les propositions de communication pourront s’appuyer sur des recherches en cours ou terminées, ou sur la réanalyse de travaux ne portant pas de façon centrale initialement sur ces questions jusqu’alors peu explorées. Le développement proposé invite à faire dialoguer entre elles différentes perspectives. Les travaux sur la démocratie participative, les élus et le personnel politique ou administratif, les partis politiques ou l’action publique, au niveau local comme au niveau national ou européen, sont tout autant compris comme permettant d’éclairer un pan du questionnement. Ainsi ce nouvel éclairage pour les études sur la participation et la démocratie, vise aussi à travailler aux conditions d’un désenclavement avec des travaux proches en sociologie de l’action publique ou en sociologie des élites et du champ politique. L’entrée attendue est bien celle des élus et du personnel politique, leurs pratiques et leurs représentations, plutôt qu’une entrée centrée sur des politiques publiques ou des dispositifs participatifs.

Les propositions de communication de deux pages maximum (ou 6000 signes), sont à envoyer d’ici au 31 mai 2018, via la plateforme : https://eluesetdemo.sciencesconf.org

Elles devront indiquer le statut et l’affiliation des proposant.e.s, un titre et un résumé de la communication envisagée. Ce dernier devra notamment préciser les terrains et méthodes mobilisés dans la recherche.