Innovation démocratique et dispositifs d’intervention

Appel à articles pour

Connexions n° 111 – 2019/1

Innovation démocratique et dispositifs d’intervention

Coordination : Abdelaâli Laoukili et Anne Salmon

 

Les articles doivent être envoyés pour novembre 2018

La démocratie est l’objet d’enjeux et d’attentes multiples et contradictoires. Elle est à la fois souhaitée et attendue mais aussi décriée et remise en question. Partout dans le monde, les appels à plus de démocratie sont nettement perceptibles, mais dans le même temps, des forces de détournement ou de contournement de ce désir deviennent plus subtiles et insidieuses ; Elles se traduisent par un déni de justice et de vérité ce qui fait dire à certains que nous sommes entrés dans une « société post-vérité ». La lutte pour la démocratie serait-elle devenue un combat d’actualité y compris là où elle paraît la plus solidement enracinée ?

Ce numéro se concentre sur ces tensions en explorant au sein de nos sociétés contemporaines ces deux mouvements contradictoires. Il entend mettre l’accent sur les dispositifs concrets et les modalités d’intervention produisant soit de l’affaiblissement, soit au contraire une revitalité démocratique au sein des grandes entreprises ou des pme-pmi, du secteur public et des associations, qu’elles se reconnaissent ou non dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire.

Les fragilités démocratiques

Le surcroît d’audience de partis qui pourraient confisquer la démocratie, s’explique sans doute par les frustrations que la crise financièren’a pas manqué d’exacerber. Focalisés à juste titre sur des projets de régulations macro-économiques, les responsables politiques risquent toutefois de passer à côté des conséquences microsociales du nouveau capitalisme. La fragilisation des cohésions et des coopérations liées à l’éclatement des communautés de travail et à l’individualisation a pour effet de réduire les ressources permettant aux collectifs de s’autoréguler.

Dans les grandes entreprises, c’est toute la socialité qui se délite en même temps que les solidarités : le travail soumis à l’instabilité permanente est en passe d’être réduit au silence. La révolte qui ne trouve pas de débouché dans une expression collective et publique, colle à l’individu. Le sentiment d’impuissance qui en résulte peut se métamorphoser en violence : violence que l’on retourne contre soi (malaise, souffrance et parfois suicides), violence à l’égard des autres (harcèlements, agressions), mais aussi, de façon plus discrète mais non moins préoccupante, violences contre l’outil de travail. (Les sabotages par des professionnels qualifiés font l’objet de récits précis, même si le phénomène est difficilement mesurable.)

La dérégulation des rapports sociaux à la source d’une augmentation de l’insécurité existentielle et d’une violence multiforme dans la sphère du travail peut faire l’objet de récupérations. L’exaltation des peurs et des haines tout autant que les appels à l’ordre s’alimenteraient de ce dérèglement vécu au niveau des expériences quotidiennes.

Comment les institutions démocratiques peuvent-elles affronter la question des modes de régulation sociale sans tomber dans un autoritarisme hypertrophié où les citoyens troqueraient leur liberté pour plus de sécurité ?

Les répliques démocratiques

Loin d’être étouffées, des répliques démocratiques apparaissent dans les interstices d’une domination du néolibéralisme et des réactions autoritaires qui en sont le complément.

Dans les grandes entreprises, des syndicalistes commencent à repenser leurs modes d’action. Des pistes sont d’ores et déjà expérimentées autour de nouvelles formes de consultation des salariés. À travers un syndicalisme de proximité et une démocratisation des pratiques syndicales, des équipes entendent retisser des liens entre les individus isolés par la nouvelle organisation, mais aussi réarticuler l’expression d’une souffrance individuelle et l’expression d’une contestation collective.

La grande entreprise n’est pas le seul lieu de résistance. On l’oublie trop souvent. Des témoignages d’une réticence forte à l’enfermement dans le modèle étriqué de l’homo œconomicus sont perceptibles au sein des petites et moyennes entreprises.

De leur côté, les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire revendiquent une nécessaire démocratisation de l’économie combinée à un projet de préservation de la diversité des mobiles d’action.

Autant de leviers pour renverser les tendances et mettre en doute l’idée selon laquelle l’action dérégulatrice du nouveau capitalisme annonce le déclin inéluctable des pouvoirs démocratiques et que l’homo œconomicus et ses motivations tronquées sont notre seul horizon.

Une centration sur les modalités d’intervention et les dispositifs

En proposant de se focaliser sur les modalités d’intervention, il s’agit aussi d’ouvrir le numéro aux enjeux épistémologiques relatifs à la co-production de dispositifs de participation à enjeux démocratiques. Il s’agit donc de mettre en rapport les moyens et les fins afin de tenir compte des ambivalences liées au développement de modèles politiques censés mettre le peuple au centre des décisions qui, parallèlement, s’appuient sur un système puissant d’invalidation du sens commun à travers une certaine conception de la science.

De ce point de vue, les sciences sociales ont une responsabilité. Elles peuvent considérer que le savoir légitime est l’émanation du nouvel esprit scientifique qui se forme au début du xxe siècle contre la nature et contre le sens commun.Mais elles peuvent aussi chercher le biais par lequel, malgré toute une tradition de la pensée occidentale, les personnes ordinaires sont à la source d’une formulation pertinente des problèmes et des solutions. C’est d’ailleurs ce que suggère Aristote : de la multitude se dégage une sagesse reposant sur la diversité des points de vue. Le peuple non seulement connaît la beauté mais il peut en élaborer des critères pertinents parce que des milliers de regards peuvent, mieux qu’un seul ou qu’un petit nombre, appréhender les multiples facettes des belles choses observées sous des angles différents. Les vérités populaires sont alors fonction de la préservation de la diversité qu’Aristote entend défendre contre le modèle platonicien qui consiste au contraire à penser la société comme une grande famille unie parce qu’uniforme. Et si l’un valait tout compte fait moins que le multiple ? Et si la variété faisait vaciller l’uniformité ?

La question très actuelle de la préservation de la biodiversité rencontre ainsi des questions relatives à la socio-diversité, condition d’une démocratie vivante élargie à la production du savoir. Ce problème politique et épistémologique est fondamental si l’on recherche d’autres lieux à partir desquels pourraient s’établir de nouveaux critères de validité en vue d’évaluer la pertinence des propositions technocratiques pour « raviver la démocratie ».

Les contributions attendues peuvent porter sur les axes suivants :

  • faire le point sur les recherches, les concepts et les dispositifs de fonctionnement démocratique dans les groupes et les institutions
  • produire des analyses critiques des formes « tronquées » de démocratie dans la société et dans les organisations
  • rendre compte de dispositifs innovants en la matière dans différents secteurs.

Les articles doivent être envoyés pour novembre 2018